Angela Merkel et Emmanuel Macron invitent l'Europe à accomplir un grand bond en avant
- Publié le 18-05-2020 à 22h02
- Mis à jour le 19-05-2020 à 20h48
Depuis combien de temps Paris et Berlin n’avaient-ils pas proposé ensemble un plan susceptible d’avoir un impact majeur sur la construction européenne ? L’avenir (très) proche dira si l’“initiative franco-allemande pour une relance européenne face à la crise du coronavirus”, présentée ce lundi par le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel, entre dans cette catégorie.
Ce qui est certain, c’est que cette initiative comporte des éléments novateurs - une Europe de la santé, une attention accrue portée à la protection des secteurs économiques stratégiques - et même peut-être révolutionnaires.
Un fonds de relance de 500 milliards d'euros, destinés en priorité aux régions et aux secteurs les plus frappés par l'épidémie
Ainsi en va-t-il de la partie de la proposition relative au fonds de relance temporaire qui doit aider à remettre d’aplomb les économies des États membres de l’Union européenne, ébranlées par la pandémie de Covid-19. La chancelière et le président suggèrent de doter ce fonds de 500 milliards d’euros, qui seraient empruntés sur les marchés par la Commission européenne, grâce à la garantie du cadre financier pluriannel (CFP) de l’Union pour 2021-2027.
Ce fonds de 500 milliards viendra en complément du paquet de mesures de 540 milliards d'euros déjà approuvé par les ministres des Finances pour aider les pays de la zone euro (via le Mécanisme européen de stabilité), les entreprises (via la Banque européenne d'investissement) et à soutenir le maintien de l'emploi en Europe (via l'instrument SURE).
Avec ce fonds de solidarité tel que proposé par Berlin et Paris, il s’agit rien moins, a précisé Emmanuel Macron, que de créer “de la dette commune” et de l’utiliser pour financer “les secteurs les plus touchés et les régions les plus impactées” par la crise économique et sanitaire. Le Français évoque “de vrais transferts” financiers, mot et concept tabou en Europe du Nord mais aussi, en Allemagne, où l’on est traditionnellement méfiant, pour dire le moins, face aux proposition de mutualisation des dettes au niveau européen.
Le pas de géant d’Angela Merkel
C’est dire le pas de géant qu’a accepté d’effectuer Angela Merkel, même si elle parle de “dépenses budgétaires” plutôt que de transferts. Plus réputée pour sa propension à peser longuement le pour et le contre que pour son audace, la chancelière, dont c’est le quatrième et dernier mandat, pose là un geste qui déterminera son héritage européen.
L’Allemande a saisi le péril qui menace l’Union européenne et la zone euro, si la crise creuse encore davantage les divergences entre les économies du nord et du sud.
Elle a également saisi la portée du jugement rendu le 5 avril par la Cour constitutionnelle fédérale allemande, qui risque d'entraver l'action de la Banque centrale européenne pour atténuer le choc économique, mais défie également l'autorité de la Cour de justice de l'UE.
La semaine dernière, Angela Merkel a donc affirmé devant le Bundestag qu'elle considère que l'arrêt de la Cour de Karlsruhe oblige les Etats membres à en faire plus en matière de politique économique et à poursuivre l'intégration de la zone euro, en complétant l'union monétaire par "une union politique". La proposition franco-allemande pour le fonds de relance est un pas effectué dans cette direction.
Angela Merkel parle “d’un effort indispensable”, qui “permettra de garantir la cohésion de l’UE” et “[sa] viabilité pour les années à venir”. Le texte franco-allemand souligne que si le fonds renforcera la résilience des économies, il doit aussi favoriser les investissements dans les domaines prioritaires de l’UE, au premier rang desquels la transition écologique et la transformation numérique.
La chancelière ne lâche cependant pas complètement la bride. Les dépenses seront concentrées lors des premières années du CFP 2021-2027 mais cette “dette commune devra être remboursée” sur le long terme. Ce qui est neuf, c'est que le remboursement ne s'effectuerait pas en fonction des bénéfices obtenus du fonds - on n'est plus dans le principe du "juste retour", a souligné Emmanuel Macron, mais au prorata des contributions des États membres au budget européen. "C'est ça, la solidarité européenne", a défendu Angela Merkel.
Pour Emmanuel Macron, le ralliement de la chancelière est une victoire politique. Ce que propose le duo franco-allemand ressemble de très près au plan de fonds de solidarité proposé par le ministre français de l'Economie Bruno Le Maire.
À la Commission de jouer, à présent
Angela Merkel et Emmanuel Macron ont posé un cadre, sans s’avancer en ce qui concerne les détails. Le montant de 500 milliards d'euros sera-t-il suffisant ? Sur quelle base distribuer l’argent ? Quelle sera la maturité des prêts ? Comment seront-ils remboursés ? Quel sera le montant du CFP et son plafond de dépenses, garantie des emprunts de la Commission.
Ce sera à la Commission de répondre à ces questions, le 27 mai prochain, lorsqu’elle proposera un nouveau projet de CFP et un plan pour le fonds de relance, comme le lui ont demandé les leaders européens, le 23 avril.
Sans surprise, la présidente Ursula von der Leyen a dit, par communiqué, “se réjouir” de l’initiative franco-allemande “qui va dans le sens de celle préparée par la Commission”. Il faut dire que la proposition des deux grands Etats membres lui déblaie le terrain politique.
Il faudra convaincre les pays "frugaux"
Cependant, reste à présent à convaincre les autres États membres, mais aussi le Parlement européen, qui devra approuver le CFP et a voté la semaine dernière une résolution réclamant un fonds de relance de 2 000 milliards d’euros. La chancelière et le président ont tâté le terrain à Rome, Madrid ou La Haye.
L’initiative franco-allemande répond en grande partie à ce qu’attendaient l’Italie et l’Espagne, les deux pays les plus lourdement frappés par la crise. Sera-t-elle jugée acceptable par les "frugaux", c'est-à-dire les Pays-Bas, l’Autriche et les pays nordiques, à la fois opposés à une hausse du budget européen, à la mutualisation des dettes et à ce que la solidarité s’exprime par des subventions, et non des prêts ?
Selon l'adage, rien en Europe ne se décide sans la France et l'Allemagne, mais la France et l'Allemagne ne décident pas seules de tout, comme l'a d'ailleurs admis Emmanuel Macron. “Si la France et l’Allemagne donnent une impulsion, cela facilite certainement la prise de décision au niveau des Vingt-sept”, a toutefois assuré la chancelière Merkel. On verra rapidement si le moteur franco-allemand a recommencé à tourner et s'il a toujours la puissance (politique) qui permet à l'Europe d'avancer.