L'Europe va consacrer 750 milliards d'euros à la relance: en voici le mode d'emploi
C’est ce mercredi en début d’après-midi que la présidente Ursula von der Leyen présentera devant le Parlement européen, à Bruxelles, le nouveau projet de budget européen de la Commission pour 2021-2027 ainsi que son plan pour la création d’un fonds de relance, qui devrait être doté de 750 milliards d'euros.
- Publié le 27-05-2020 à 08h49
- Mis à jour le 27-05-2020 à 17h03
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La présidente Ursula von der Leyen a présenté ce mercredi devant le Parlement européen le projet de la Commission pour le budget européen 2021-2027, ainsi que sa proposition pour la création d'un fond de relance de l'économie européenne. Le premier sera lourd de 1100 milliards d'euros, tandis que second pèsera 750 milliards d'euros.
1. Pourquoi un nouveau budget et un plan de relance ?
C’est en fait le deuxième projet de cadre financier pluriannuel pour la période (CFP) 2021-2027 que présente la Commission européenne. Le premier avait été élaboré au printemps 2018 par la précédente Commission.
Les négociations entre États membres sur le montant global et les priorités n’avaient pas encore abouti lorsque la pandémie a atteint l’Europe. La présidente von der Leyen a proposé de faire du budget européen septennal la base d’un "plan Marshall" européen destiné à amortir le choc économique et à préparer la relance.
L’avantage du budget européen est que c'est un instrument qui existe déjà, et qu’il ne faut pas inventer quelque chose de neuf à partir d’une feuille blanche. C’est aussi la traduction de la solidarité financière par excellence, alors que les conséquences économiques de la pandémie se font ressentir beaucoup plus douloureusement dans certains pays de l’Union que d’autres.
Un budget "traditionnel" ne suffirait cependant pas à atteindre cet objectif, alors que l’Europe est frappée par une récession d’une ampleur inédite depuis près d’un siècle. Les Vingt-sept ont confié la tâche à la Commission, lui demandant également de plancher sur un plan de relance, adossé au budget européen. Tous les États membres, on l’a dit, ne sont pas égaux devant la crise et ne disposent pas des mêmes moyens pour y répondre.
"L’Italie a plus souffert que l’Allemagne, mais elle a moins de capacités budgétaires pour réagir", épingle le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders. Les moyens levés (par des emprunts européens) sur les marchés pour alimenter le fonds serviront aux régions et aux secteurs les plus touchés par la crise pour éviter que les divergences économiques ne s’accroissent encore davantage, au risque de déstabiliser la zone euro et le marché unique.
2. 1100 milliards d'euros pour le budget 2021-2027; 750 milliards d'euros pour le fonds de relance ?
La Commission propose un cadre financier pluriannuel de 1100 milliards d'euros pour la période 2021-2027 et un montant global de 750 milliards d'euros pour le fonds de relance, baptisé Next Generation EU.
Quelles sont les chances que ces propositions soient acceptées, à l'unanimité, par les leaders des Vingt-sept ?
Les discussions sur le montant global du CFP avaient déjà tourné au vinaigre en février dernier, lorsque les leaders européens n’ont pas réussi à s’entendre sur la proposition du président du Conseil européen Charles Michel sur un budget dont le montant équivaudrait à 1,07 % du revenu national brut de l’Union. Le groupe des "frugaux" (Autriche, Pays-Bas, Danemark, Suède) campait sur son refus de verser un centime en plus que le 1 % du RNB de l’UE prévu pour l’actuel CFP 2014-2020.
Vu l'urgence de la situation, l’exécutif européen "ne [pouvait] pas complètement refaire toute la proposition du CFP. Elle était déjà conçue pour répondre aux défis à venir de l’UE, préserver les équilibres Est-Ouest, Nord-Sud, aussi entre les pays riches et moins riches, entre les défenseurs des politiques traditionnelles et les partisans d’un budget modernisé", prévient une autre source européenne.
Dès lors, tant sur la structure que du point de vue de la taille, le CFP est globalement resté dans les clous de ce qui était déjà sur la table du Conseil européen avant la pandémie. Il est néanmoins en légère augmentation, ce qui sera sans doute plus difficile de faire avaler aux frugaux la pilule d’un fonds de relance chichement doté de plusieurs centaines de milliards d'euros. Ce n’est pas gagné : "Nous parlons de tellement de milliards alors que nous ne connaissons toujours pas les conséquences réelles de la crise ni comment nous voulons dépenser cet argent", nous glisse, irritée, une source du groupe des frugaux.
En ce qui concerne le plan de relance, la Commission va mettre la barre plus haut que le plan franco-allemand qui évoquait 500 milliards d’euros. Le commissaire européen à l'Economie, Paolo Gentiloni a vendu la mèche, un peu plus d'une heure avant la présentation de la présidente von der Leyen, en annonçant sur Twitter le chiffre de 750 milliards d'euros. Quelque 500 milliards d'euros seront distribués sous forme d'aide budgétaire directe; 250 milliards d'euros via des prêts.
3. Et d’où vient cet argent, s’il vous plaît ?
Les contributions nationales basées sur le produit intérieur brut représentent un peu plus de 70 % des "ressources propres" du budget européen, auxquelles il faut ajouter les droits de douane ou la ressource TVA et d’autres recettes de moindre importance.
Ce que la Commission va proposer est d’augmenter non le plafond du budget, mais celui des ressources propres (actuellement de 1,23 % du RNB de l’UE). Ce plafond indique le maximum exigible des États membres en cas d’urgence.
C’est sur base des garanties que la Commission, forte de sa notation triple A, ira sur les marchés emprunter l’argent qui ira ensuite dans les États membres pour financer la relance.
C’est qu’il faudra rembourser, sur le long terme, ces emprunts, à partir de 2028 et jusqu’en 2058. L’idée, qui ne fait pas consensus parmi les États membres, est que chacun rembourse en fonction de ce qu’il verse au budget européen, et non selon ce qu’il aura reçu comme fonds.
Annoncer un montant trop élevé aurait pour effet de rendre plus réticents encore les frugaux.
4. À quoi va servir cet argent ?
C’est l’intégrité et le fonctionnement du marché unique qui est en jeu. L’objectif est de pallier, tant que possible, les disparités entre États membres que cette crise sanitaire a exacerbées. Les aides seront donc dirigées vers les régions et secteurs les plus affectés par les mesures de confinement.
Mais l’UE aura à cœur également de promouvoir les investissements dans les secteurs prioritaires et des réformes, en ligne avec les objectifs, notamment de transformation numérique et de transition écologique fixés par la Commission et endossés par les Etats membres.
A cette fin, la Commission voudrait renforcer InvestEU, jadis connu sous le nom de "Plan Juncker". Elle suggère aussi de créer, pour la première fois, un instrument pour les investissements stratégiques, pour accroître l'autonomie de l'Union, dans plusieurs domaines, dont le secteur pharmaceutique. La crise sanitaire a fait comprendre aux Européens le risque posé par le fait d'être très largement dépendants d'acteurs comme la Chine pour la production de médicaments (à 90% pour la péniciline) ou de matériel médical.
Enfin, la Commission propose de renforcer les programmes qui ont démontré leur utilité pendant la crise sanitaire, tel RescEU et Horizon Europe, et de créer un programme santé spécifique.
5. Des prêts, des dons, ou un mélange des deux ?
Encore faudra-t-il déterminer si ces aides européennes parviendront aux États membres emballés dans du papier cadeau ou sous forme d’un contrat de prêt.
Beaucoup arguent qu’alourdir le poids (déjà conséquent) de la dette des États du Sud ne serait pas judicieux - la dette espagnole devrait dépasser 116% de son PIB en 2020, le ratio de la dette italienne se rapproche de 160%, celui de la dette grecque de 200%.
Ce ne serait pertinent ni du point de vue purement économique, ni de celui de la solidarité européenne, alors que ces pays ont été parmi les plus touchés par l’épidémie de coronavirus. "Si cette crise sert à rendre les plus forts encore plus forts, si on se limite aux prêts, dans quatre ou cinq ans, on va se retrouver dans la même situation", met en garde un diplomate européen.
Néanmoins, d’autres États membres, notamment ceux du groupe des frugaux mais aussi de l’Est, restent sceptiques - c’est un euphémisme - et plaident pour des prêts, accompagnés d’exigences de réformes structurelles.
Il va de soi que la Commission prévoira, dans son Instrument de relance, tant des prêts que des subventions aux États membres, même si celles-ci devraient prévaloir (entre 60 % ou 70 % du montant, nous dit-on).
6. Avec ou sans conditions attachées ?
Mais la question des conditions qui accompagneront ces aides sera le deuxième point de résistance. "Il faut une certaine conditionnalité pour pousser vers des politiques d’avenir sinon c’est vraiment de l’argent gâché", estime une des sources européennes. "Je ne pense pas qu’un seul État membre pense qu’on pourra continuer sans faire la moindre réforme. Il faudra se mettre d’accord sur des réformes qui ont du sens", renchérit un diplomate d’un État du Sud.
7. Le budget sera-t-il fait de nouvelles ressources propres ?
L’idée de doter l’Union de nouvelles ressources pour renflouer ses caisses est dans l’air depuis plusieurs mois, voire années. En 2018, la Commission Juncker avait proposé de réserver à l’UE 20 % des recettes du système d’échange de quotas d’émissions et d’imposer un taux d’appel de 3 % appliqué à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, ainsi qu’une taxe européenne sur les déchets plastiques non recyclés.
Pas plus tard qu’il y a deux semaines, le Parlement européen a proposé des taxes sur les services numériques et les transactions financières (deux sujets qui divisent les Vingt-sept). Il est aussi question d’une taxe carbone aux frontières extérieures de l’UE.
La Commission a maintenant "une opportunité historique de travailler à de nouvelles ressources propres", glisse un haut fonctionnaire européen. En effet, la question est actuellement d’autant plus pertinente, comme l’explique une source diplomatique : "On aura besoin de nouvelles ressources propres, parce qu’il faudra rembourser les prêts que fera la Commission sur les marchés (pour financer le plan de relance). La contribution des États membres sur base de leur PIB sera moindre", puisqu’on enregistre une baisse généralisée du produit intérieur brut des Vingt-sept.
8. Et que se passe-t-il maintenant ?
Une fois que la Commission européenne aura présenté sa proposition de CFP, qui inclut cette fois un Instrument de relance, on aura passé la première étape du processus d’adoption (généralement long) du budget européen 2021-2027. Le projet de CFP doit ensuite faire l’objet de négociations entre le Conseil de l’UE et le Parlement européen, qui se prononce sur le texte "à la majorité des membres qui le composent". Entendez : le Parlement européen peut (théoriquement) mettre son veto s’il estime que sa voix n’a pas été suffisamment entendue.
Dans les faits, les négociations sur le CFP se déroulent au sommet, directement entre les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement. Selon l’article 15 du traité sur l'Union européenne si le "Conseil européen n’exerce pas de fonction législative", il a "pour rôle de définit les orientations et les politiques générales" de l’UE.
Une discussion entre les Vingt-sept devrait donc être prochainement organisée par le président du Conseil européen Charles Michel. Difficile d’imaginer qu’un consensus soit trouvé du premier coup. D’autant plus si l’épidémie les prive à nouveau d’une réunion physique, des traditionnels apartés entre deux ou une poignée de leaders et de manière générale, de toute la complexe chorégraphie qui permet aux leaders de vingt-sept États membres d’accorder leurs violons.