L’énigme des sarcophages voyageurs: des archéologues belges mènent l’enquête
Frédéric Colin, Héloïse Smets et Garance Clapuyt sont trois Belges qui ont contribué aux importantes découvertes faites lors des fouilles menées en 2018 et 2019 sur le site d’El-Assassif, petite vallée nichée entre Louxor et Deir el Bahari, de l’autre côté du Nil.
Publié le 08-06-2020 à 14h34 - Mis à jour le 08-06-2020 à 14h37
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Frédéric Colin, un archéologue belge à Strasbourg, mène l’enquête.
"Trouver un site inviolé à El-Assassif et Louxor - qui sont à l’archéologie ce que Chamonix est à l’escalade - a été une chance extraordinaire", souligne le professeur Frédéric Colin, directeur de l’institut d’Égyptologie et conservateur de la collection égyptienne de l’université de Strasbourg.
Archéologue et alpiniste à ses heures, comme le révèle son trait d’humour, ce Strasbourgeois d’adoption est Belge et s’est formé à l’ULB avant de rédiger sa thèse dans le cadre du FNRS.
Cocorico donc ! C’est l’un de nos compatriotes qui a supervisé les importantes découvertes faites lors des fouilles menées en 2018 et 2019 sur le site d’El-Assassif, petite vallée nichée entre Louxor et Deir el Bahari, de l’autre côté du Nil.
Une équipe européenne
Mais, "l’archéologie est un travail d’équipe", souligne-t-il, et la sienne - assistée de collaborateurs égyptiens - est "fondamentalement européenne". S’y retrouvent une Française, Cassandre Hartenstein ; une Grecque, Evita Dionysopoulou ; un Italien, Filipo Mi ; et trois Belges, lui-même ainsi qu’Héloïse Smets et Garance Clapuyt. Tous issus de programmes inter-universitaires et tous férus d’Égypte depuis leurs plus jeunes années sauf… Frédéric Colin qui en sourit.
Levés aux aurores lors des fouilles (un horaire auquel il faut se préparer progressivement avant le départ, racontent-ils), ils avaient chacun leur "spécialité". Filipo était ainsi chargé des croquis restituant les étapes de fouille, travail toujours nécessaire à l’heure des "moulages virtuels" issus de la photogrammétrie car "un dessin vaut 50 notes d’explications écrites".
C’est ainsi que l’équipe a restitué les étapes de ce "travail long" au cours duquel, note Héloïse, "on se concentre sur le boulot" sans se faire de film sur le résultat.
Un labeur rigoureux avec "des moments d’épiphanie", selon le mot de Garance qui se souvient de ce qu’elle a éprouvé en voyant "sortir de terre un sarcophage déposé là depuis 3 500 ans". "Une sorte de naissance", confirme Frédéric Colin, "et on est responsable de son bon déroulé."
Des découvertes et des questions
Ce moment d’épiphanie, ils l’ont vécu à plus d’une reprise puisque ce sont cinq sarcophages peints qui ont été exhumés à Al-Assassif - deux en 2018 et trois fin 2019 -, sans compter une superbe stèle et cinq briques estampillées au nom du roi "Hékataouy", c’est-à-dire probablement Ahmosis, fondateur de la XVIIIe dynastie. Marquée par l’unification de la Haute et de la Basse Égypte, celle-ci est souvent assimilée à l’apogée de la civilisation égyptienne antique. Toutankhamon en est l’un des pharaons.
Ces mentions témoignent - pour la première fois - d’une activité de construction au nom d’Ahmosis dans cette zone de l’Assassif. Un bâtiment remarquable reste-t-il à découvrir à proximité ? La question est d’autant plus passionnante que le lieu d’inhumation du roi fait l’objet de débat.
Les sarcophages suscitent aussi nombre d’interrogations.
Tous étaient complètement enterrés dans un remblai de construction alors que l’usage en Egypte antique aurait voulu qu’ils soient déposés dans des pièces vides à l’intérieur de monuments funéraires.
Enterrés et même ré-enterrés, comme en atteste le fait qu’ils datent d’une époque plus ancienne que la couche archéologique dans laquelle ils ont été trouvés et des traces prouvant que plusieurs fermetures ont été forcées.
"Nous sommes donc face à une inhumation multiple puisque plusieurs corps ont été retrouvés au même endroit, secondaire puisqu’il ne s’agit pas du premier lieu de sépulture et simultanée dans la mesure où les sarcophages ont été ré-enterrés au même moment."
Sur la route du dieu Amon
Autant de constats, autant de questions. Et des réponses pour l’heure encore hypothétiques.
Frédéric Colin ne pense pas que les défunts aient été déposés en "position de relégation". Les sarcophages étaient soigneusement placés dans des zones bien définies et stabilisées, juste sous la chaussée processionnelle du temple de Thoutmosis III, successeur de la reine Hatchepsout.
Une position privilégiée qui permettait aux défunts de profiter des cultes réservés au pharaon lors de grandes fêtes où la barque du dieu Amon traversait le Nil en direction de la nécropole de Deir al-Bahari.
Reste à résoudre aussi la question de l’emplacement des premières inhumations.
Les sarcophages se trouvaient-ils sur le parcours de la voie processionnelle lors de la construction de celle-ci ? Les tombes dans lesquelles ils avaient été placés ont-elles été pillées ? Funeste destin dont on aurait voulu les préserver ensuite… Ou bien s’agit-il d’une pratique funéraire jusqu’ici inconnue qui rapprocherait des défunts privés des grands rituels divins et royaux ?
"Il ne serait pas surprenant, lors de nos prochaines fouilles, de trouver des tombes primaires, c’est-à-dire des sépultures qui, dès le départ, devaient se retrouver sous la chaussée", pressent Frédéric Colin.
Il s’agirait alors de la mise en lumière d’un geste funéraire de l’Égypte ancienne jusqu’ici inconnu.Véronique Leblanc