"Il est temps d’agir, il est temps de décider": Charles Michel dévoile sa boîte de négociations
Le président du Conseil européen a présenté sa boîte de négociation du budget européen et du plan de relance. Le Belge a tenté de concilier les positions très divergentes des États membres. Sera-ce suffisant pour obtenir un accord dès le sommet du 17 juillet ?
- Publié le 12-07-2020 à 12h28
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Si l’on en croit la sagesse populaire, il est impossible de contenter tout le monde et son père. Le président du Conseil européen Charles Michel s’est quand même essayé à concilier les positions divergentes des États membres concernant le cadre budgétaire européen 2021-2027 et le plan de relance de l’économie européenne. Le Belge a présenté sa "boîte de négociation", vendredi matin, à une semaine du sommet extraordinaire consacré à ce sujet. Construite à partir de la proposition de la Commission et alimentée par les contacts bilatéraux que M. Michel a eus avec chaque État membre, cette nego box servira de base aux discussions des chefs d’Etat et de gouvernement, vendredi prochain, à Bruxelles. Ce que le président du Conseil européen met sur la table répond, selon lui, aux trois objectifs de la stratégie européenne de relance : "D’abord la convergence, ensuite la résilience, enfin la transformation de nos sociétés".
"Il est temps d’agir, il est temps de décider", a insisté Charles Michel qui espère que l’assemblage des éléments de la boîte de négociations permettra de trouver un compromis à l’unanimité des Vingt-sept, que pourra ensuite accepter le Parlement européen. Quels sont ces éléments ?
1. Des coupes dans le budget "ma non troppo"
La proposition de Charles Michel revoit à la baisse les ambitions affichées par la Commission. Celle-ci proposait un cadre financier pluriannuel (CFP) de 1100 milliards d’euros. Charles Michel l’a ramené à 1074 milliards, soit 20 milliards de moins que sa proposition de février. Celle-ci était encore considérée comme trop élevée par les pays dits frugaux (Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suède). La réduction du budget est "un premier pas dans notre direction" a reconnu le chancelier autrichien Kurz.
Mais il faut aussi considérer qu’il n’existe pas de séparation étanche entre le budget et le plan de relance. Par exemple, si le programme de recherche Horizon 2020 se voit amputer de 5 milliards dans le CFP par rapport à la nego box de février, il "gagne" 13,5 milliards de financement dans le cadre du plan de relance.
L’autre geste, attendu, envers l'Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède, est le maintien du rabais de la contribution au budget européen dont ils bénéficiaient (ainsi que l’Allemagne). En revanche, Charles Michel n’a pas répondu à l’appel des frugaux de couper dans les montants dévolus à la Politique agricole commune et aux politiques de cohésion, à la grande satisfaction des pays du Sud, d’Europe centrale et orientale, mais aussi de la France et de la Belgique.
2. L’architecture du plan de relance reste inchangée, ou presque
Le montant global du plan de relance - 750 milliards d’euros - reste inchangé, de même que la proportion de subventions (500 milliards) et de prêts (250 milliards). Justification du président Michel : il s’agit de ne pas "surcharger les États qui ont déjà un niveau de dette élevé", comme l’Italie et l’Espagne, principales bénéficiaires du plan, et de "prévenir l’accroissement de la fragmentation et des disparités du marché intérieur". Les frugaux qui privilégient l’aide sous forme de prêts grincent des dents, la Finlande leur emboîte le pas. Cela reste l’un des points les plus épineux de la négociation.
Par contre, en réponse aux demandes des Etats membres, M. Michel a quelque peu revu le mécanisme de répartition des fonds imaginé par la Commission. Quelque 70 % des fonds de la "facilité pour la reprise et la résilience" (le principal élément du plan de relance, lourd de 310 milliards d'euros) seront attribués selon les critères de la Commission (taille de la population, évolution du produit intérieur brut et du taux de chômage des cinq dernières années) en 2021-2022. Les 30 % restants seront attribués à partir de 2023 sur base de l’évolution du PIB lors des deux années précédentes.
3. Un contrôle accru des États membres sur l’utilisation du fonds
"Le but n’est pas de brûler l’argent, mais d’investir et de réformer", assure Charles Michel. Les États membres devront soumettre des plans de relance à la Commission. Celle-ci vérifiera qu’ils sont en ligne avec les objectifs (climatiques et numériques, notamment) et les orientations économiques de l’Union avant de débourser l’argent. La boîte de négociation précise que l’aval du Conseil, c’est-à-dire les États membres, à la majorité qualifiée sera requis.
Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte en veut plus et réclame que le Conseil se prononce à l’unanimité. Bref, un droit de veto. "C’est politiquement impossible et sur le plan légal, on ne décide pas à l’unanimité des questions budgétaires", soupire une source européenne. La Haye, toutefois, ne lâche pas ce levier de négociations.
La conditionnalité liée au respect de l’état de droit subsiste, mais le mécanisme retenu est moins contraignant que celui proposé par la Commission. Il ne faudra plus une majorité qualifiée d’États pour s’opposer à une sanction proposée par la Commission (ce qui rendrait celle-ci quasi automatique), mais pour approuver cette sanction. D’aucuns le déplorent, d’autres soulignent que c’est le prix à payer pour associer à un compromis la Pologne et la Hongrie, qui se sentent, à raison, les premières visées. "Et elles estiment déjà que la proposition de Charles Michel va trop loin", glisse la même source.
4. La pression augmente pour créer de nouvelles ressources propres pour le budget
La Commission proposait de lancer le remboursement des emprunts européens qui financent la relance dès 2028 (et jusqu'en 2058). Charles Michel avance cette date à 2026. De cette façon, il espère pousser les États membres à travailler sérieusement au projet de doter le budget de nouvelles ressources propres - sans cela, la note sera plus salée pour les caisses nationales. Le Belge propose d’inclure un prélèvement sur les taxes nationales sur les déchets plastique, dès 2021.
Il invite la Commission à faire des propositions, "dès le premier semestre 2021" pour un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et un prélèvement sur les activités des géants du numérique. Les autres pistes lancées par la Commission - un prélèvement des recettes nationales du système d’échange quotas carbone et une contribution des grandes entreprises actives dans le marché intérieur - ne sont pas mûres.
5. L’accord sera-t-il pour ce sommet ou pour plus tard ?
C’est la question à laquelle personne n’est en mesure de répondre. Le sommet commencera le 17 juillet et pourra s’étendre jusqu’au 18. Dans le meilleur des cas, il se terminera sur un succès. Il est cependant probable que les Vingt-sept aient besoin d’un second sommet pour conclure, d’ici la fin du mois. Les plus pessimistes, ou réalistes, estiment qu’il faudra bien l’été pour trouver un accord.