Tendues, les négociations du budget européen et du plan de relance jouent les prolongations
Publié le 19-07-2020 à 08h02 - Mis à jour le 15-10-2020 à 17h10
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Ténu est le fil qui mène à un compromis à l’unanimité des Vingt-sept sur le cadre budgétaire européen 2021-2027 et sur le plan de 750 milliards destiné à relancer l’économie européenne, ébranlée par la pandémie de Covid-19. Ténu et fragile, tant sont nombreuses, importantes et persistantes les divergences entre Etats membres qui barrent la voie à un accord. Ténu, mais pas encore rompu.
Les chefs d'Etat et de gouvernement se sont quittés samedi peu avant 23h30, à l'issue du dîner qui a clôturé la longue deuxième journée de négociations. Les progrès vers un accord sont lents, difficiles et incertains. Ils ont cependant été jugés suffisants pour que le président du Conseil européen Charles Michel annonce la reprise des travaux, dimanche à midi. Il devrait alors présenter aux leaders européens une nouvelle proposition de compromis.
De là à dire que les Vingt-sept parviendront à s'accorder, il y a beaucoup plus qu'un pas. L'atmosphère est singulièrement tendues entre plusieurs leaders, et le débat sur le lien entre le respect de l'état de droit et le versement de fonds européens qui s'est tenu au dîner n'a pas contribué à l'apaiser. Le Premier ministre hongrois Viktor Orban ne veut pas entendre parler, son homologue polonais Morawiecki guère plus. En revanche d’autres pays, notamment ceux de l'ouest et du nord de l'Union, préviennent que c’est un élément incontournable du paquet. Pas de conditionnalité "état de droit", pas d'accord sur le budget européen, ni sur le plan de relance.
Charles Michel tente d'amadouer les frugaux
Par ailleurs, si la nouvelle formule proposée par Charles Michel relative à l'architecture du plan de relance de 750 milliards a été qualifiée par les uns d'acceptable et par les autres de bonne base de discussion, tout reste encore à faire pour transformer l'essai en accord.
Le plan de la Commission prévoit que 500 des 750 milliards soient octroyés aux Etats membres sous formes de subventions, afin de ne pas alourdir la dette, déjà élevée des pays comme l'Italie ou l'Espagne, qui subissent de plein fouet les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19. C'est inacceptable pour cinq pays, opposés par principe aux subventions : les Pays-Bas, de l'Autriche, du Danemark et de la Suède, rassemblé au sein du club des autoproclamés frugaux, fermement appuyés par la Finlande. "Les quatre frugaux sont désormais cinq, comme les Trois mousquetaires étaient quatre", constate un insider, avec une ironie amère.
Charles Michel a proposé de ramener à 450 milliards le volume de subventions et d'augmenter celui des prêts pour qu'il atteigne 350 milliards. Mais afin que ne soient pas lésés les pays qui, comme l’Italie ou l’Espagne, devraient être parmi les plus importants bénéficiaires des subventions, cette nouvelle formule de compromis augmentait de 310 à 325 milliards le volume des aides attribuées via la Facilité résilience et relance (RRF), le principal volet du plan de relance.
En revanche, l’instrument Solvency destinés à aider les entreprises en difficulté passe à la trappe avec ses 26 milliards, tandis que les montants dévolus au programme Horizon 2020 sont taillés de 2 milliards, à la grande colère à la fois du Conseil européen de recherche et de la fédération patronale BusinessEurope.
Puisqu'ils souhaitent ramener à rien le montant des subventions, les quatre frugaux devenus cinq estiment que le pas effectué dans leur direction est trop timide. A l'inverse, plusieurs des Etats membres qui défendent la construction du plan de relance refusent catégoriquement que la part de subventions descende en-deça de 400 milliards d'euros.
Tous les dossiers sont liés entre eux
De la résolution de ce premier et colossal problème découle celle d'autres dossiers, comme la question sensible des rabais à la contribution au budget européen dont bénéficient les quatre frugaux et l'Allemagne. Charles Michel avait déjà proposé, en présentant sa première boîte de négociations, qu'ils continuent à jouir de ce traitement d'exception, bien que la Commission et plusieurs Etats membres, dont la Belgique, souhaitent en finir avec ce système hérité d’un rabais britannique et qui, Brexit oblige, n’a plus lieu d’être.
Le président du Conseil européen est allé plus loin en proposant d'augmenter de 25 millions par an la “ristourne” accordée au Danemark et à la Suède (qui économiseraient respectivement 222 et 823 millions par ans lors du cycle budgétaire 2021-2027) et de 50 millions celle de l’Autriche (bénéficiaires d’un rabais annuel de 287 millions).
Les rabais de l’Allemagne et des Pays-Bas resteraient inchangés, mais les deux pays pourraient continuer à conserver 20%, et non plus 15%, comme initialement proposé, des droits de douane qu’ils collectent au nom de l’Union européenne. Une proposition de nature à ravir la Belgique : la part retenue sur les droits de douanes des marchandises non-européennes transitant par les ports d’Anvers et de Zeebrugge lui rapporte quelque 550 millions d’euros par an.
Les frugaux fâchent les pays du Sud, Merkel, et Macron
Le président Michel a aussi cherché à déminer la bombe placée par Mark Rutte sous le volet “gouvernance” du fond de relance. Le Néerlandais exige que les recommandations de la Commission pour le déboursements des subventions prévues dans le cadre de la Facilité de résilience et de relance soient approuvés à l’unanimité des Etats membres - bref, il réclame un droit de veto sans le dire clairement.
Les Pays-Bas justifie cette position, qu’ils sont la seule à tenir, au prétexte qu’ils n’ont qu’une confiance limitée en la capacité de la Commission à assurer que les Etats bénéficiaires des fonds mettront vraiment en œuvre les réformes promises. L'insistance du Premier ministre néerlandais avait conduit à la fin abrupte de la première journée de négociations, vendredi soir, vers 23h30.
Sans donner exactement à Mark Rutte ce qu’il demandait, Charles Michel propose de mettre en place une procédure d’urgence qui pourrait déclencher un seul Etat membre s’il estime qu’un plan de relance présenté est inadéquat. Reviendrait alors soit aux leaders européens, soit aux ministres des Finances de régler la question “de manière satisfaisante” (sans plus de précision sur ce que cela peut bien vouloir dire).
L’idée suscite l'hostilité des leaders des pays du Sud, dont celle de l'Italien Conte en particulier, qui redoutent qu’au final, les autres Etats membres leur dictent, par la bande, les réformes à entreprendre en les menaçant d'un veto. Le président du Conseil italien fait aussi valoir un point soulevé par d'autres pays qui jugent qu’un tel mécanisme affaiblirait la Commission.
Enfin, l'ampleur du montant final des subventions aura également un impact sur les conditions de remboursement des emprunts consentis par la Commission pour financer le plan de relance. Et, partant, sur les discussions relatives à la création de nouvelles ressources propres pour le budget europen, qui est alimenté, à plus de 70% par des contributions nationales basées sur le revenu national brut. "Tout est lié", confirme la même source.
Ce ne sera pas simple de défaire le noeud d'autant que la tension est de plus en plus palpable. Charles Michel avait convié les leaders des frugaux à une réunion après le repas, en compagnie du président français Emmanuel Macron et de la chancelière allemande Angela Merkel, les deux "parrains politiques" de la proposition de créer un fonds de relance. Ces deux derniers ont quitté la réunion, excédés par l'intransigeance des frugaux.
Charles Michel consulte sur sa terrasse avec vue sur la ville...
Durant toute la journée, Charles Michel, a pourtant tenté de rapprocher les positions sur base de cette nouvelle proposition de compromis présentée, en fin de matinée, lors de la seule réunion plénière des Vingt-sept leaders.
Pour tenter de résoudre la quadrature du cercle, le président du Conseil européen a abondamment usé de la tactique éprouvée du confessionnal. Tout au long de la journée, sa terrasse avec vue sur Bruxelles a ainsi vu successivement défiler, en solo, duo, ou en groupe, les leaders polonais Morawiecki, tchèque Babis, hongrois Orban, Mark Rutte, le tandem franco-allemand Macron-Merkel, le duo des Premiers ministres espagnol et italien Sanchez et Conte, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen et enfin le Suédois Lofven.
La Première ministre belge Sophie Wilmès n’a pas été invitée à un colloque particulier avec son prédécesseur- la Belgique n’a pas d’objections majeures aux propositions sur la table. Elle a donc profité d’une pause pour aller jusqu’à la place Jourdan avec le Premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel pour manger des frites (sauce andalouse pour elle, samouraï pour lui). Ils ont ensuite été rejoints à une terrasse de café par les leaders estonien Ratas et maltais Abela.
A bonnes sources, on a appris lors de la première plénière, que la Première s'est agacée du comportement des pays “ronchons” qui répètent à l’infini qu’ils ne sont pas d’accord avec la proposition sans se montrer constructifs. Après une intervention de l'Autrichien Sebastian Kurz, Sophie Wilmès a insisté sur le fait que ce dont les Vingt-sept débattent va bien au-delà d'une question de chiffres et de calculs. Elle a rappelé que l'Union n'en a pas fini avec la crise sanitaire et que les pays qui avaient été jusqu'ici les moins touchés pourraient être les plus affectés demain. A bon entendeur.
Faut-il ou non poursuivre la discussion ?: là est la question
Charles Michel devait avoir un entretien avec Emmanuel Macron et Angela Merkel dimanche matin, vers 9h30. A son arrivée au bâtiment Europa, où se tiennent les discussions, Angela Merkel a exprimé ses doutes quant à une issue heureuse. "Il y a beaucoup de bonne volonté (...) mais il est aussi possible qu'aucun résultat ne soit obtenu aujourd'hui". A sa suite, Emmanuel Macron a déclaré qu'à son estime, il était encore possible de trouver un compromis, "mais pas au prix d'une ambition au rabais".
Les frugaux tenaient une réunion de leur côté, dans les quartiers de la délégation suédoise. Viktor Orban, quant à lui, jugé largement responsable du blocage sur la question de l'état de droit, cherchait à dévier les reproches sur Mark Rutte. "Je ne sais pas quelle est la raison personnelle pour laquelle le Premier ministre néerlandais me hait, moi ou la Hongrie, mais il attaque si durement. Et il dit très clairement que parce que la Hongrie, selon lui, ne respecte pas l'État de droit, elle doit être punie financièrement", s'est-il plaint devant la presse, sur le chemin de la réunion.
A 13 heures, la réunion plénière, prévue pour midi, n'avait pas encore débuté. Charles Michel présentait une dernière proposition aux frugaux. De leur réponse dépendait la poursuite du sommet.