Boris Johnson teste la patience de l’Union européenne en mangeant sa parole
Le gouvernement dépose un projet de loi qui revoit des dispositions de l’accord de retrait conclu avec l’UE.
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- Publié le 09-09-2020 à 21h39
- Mis à jour le 10-09-2020 à 09h05
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Il y a tout juste un an, Boris Johnson clamait vouloir "un Brexit coûte que coûte le 31 octobre". Le Premier ministre britannique assurait que s’il était impossible de conclure un accord sur un retrait du Royaume-Uni de l’UE avec les Vingt-sept à cette date, ces derniers devraient affronter les conséquences d’un Brexit dur. Finalement, Johnson a fini par lâcher du lest pour décrocher un accord in extremis. Pour y parvenir, il avait desserré le lien entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord.
Ces derniers jours, l’occupant du 10 Downing Street a adopté une tactique similaire. Il réclame la conclusion d’un accord sur la future relation entre son pays et l’UE au plus tard pour le 15 octobre. Passée cette date, il rompra les négociations. Mais il y a plus. Si les deux parties n’arrivent pas à s’entendre, le Royaume-Uni interprétera à sa manière le protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord de l’accord de Brexit, qui définit les modalités permettant d’éviter le retour d’une frontière dure entre les deux parties de l’île. "Mon travail est de maintenir (...) le processus de paix nord-irlandais et l’accord du Vendredi saint", a expliqué M. Johnson mercredi à la Chambre des communes. "Pour ce faire, nous avons besoin d’un filet de sécurité juridique pour protéger notre pays contre des interprétations irrationnelles du protocole, qui pourraient mener à l’érection d’une frontière dans la mer d’Irlande."
Des conséquences "imprévues"
Le porte-parole du 10 Downing Street a légitimé ce retour en arrière par le fait que l’accord de Brexit "avait été accepté rapidement dans les circonstances politiques les plus difficiles possibles". Ainsi, des conséquences "imprévues" sont apparues lors des négociations commerciales avec les Européens. Selon The Sun, ces derniers auraient aussi menacé d’interdire l’accès de la nourriture en provenance de Grande-Bretagne en Irlande du Nord.
Outre qu’elles ne donnent guère une image professionnelle du gouvernement, ces justifications ne sont rien moins que mensongères et erronées. Les conséquences de l’accord sur l’Irlande du Nord avaient été présentées après la signature de l’accord par Boris Johnson. Le Parti démocratique unioniste (DUP) avait ainsi déclaré se sentir trahi. Ensuite, les négociateurs européens ont simplement expliqué que si le régime phytosanitaire britannique n’est pas reconnu par l’Union avant le 1er janvier, en l’absence d’accord commercial, les biens alimentaires britanniques ne seront pas autorisés en Irlande du Nord, d’où ils pourraient entrer, par l’Irlande, dans le marché intérieur européen. Selon l’accord de retrait, l’Irlande du Nord continue d’appliquer une partie des règles du marché unique, pour permettre la circulation des biens avec l’Irlande, alors que le Royaume-Uni sera un pays tiers.
Le 10 Downing Street justifie enfin l’interprétation britannique par le fait que certains éléments imprécis du protocole devaient être déterminés plus tardivement. Il semble omettre que c’était justement le but de la création du Comité mixte sur l’Irlande du Nord : la décision devait être collégiale, pas unilatérale. Et surtout, elle ne concernait pas l’un des points modifiés par Londres : le projet de loi dévoilé mercredi indique notamment que la question des aides publiques ne relèvera ni "du ressort de la Cour de justice de l’UE" ni "d’un acte législatif européen". L’accord précise l’inverse.
Inverser le rapport de force
L’annonce de la création de ce filet de sécurité juridique semble être dictée par la volonté d’inverser le rapport de force dans les négociations. Le projet de loi ne sera en effet peut-être jamais appliqué : il entame seulement son processus législatif et n’entrera en vigueur qu’en cas de no deal. Ce coup de bluff a pourtant des effets pervers. En agissant de la sorte, le gouvernement britannique écorne son image. Même si cette violation du droit international n’est que "spécifique et limitée" comme l’a qualifiée mardi le ministre pour l’Irlande du Nord, Brandon Lewis, cette menace éthique se révèle assez forte pour avoir entraîné mardi la démission du secrétaire permanent du département juridique du gouvernement. Elle sape la confiance des partenaires et met en péril les négociations.