Le parti Aube dorée est condamné, mais la Grèce n’en a pas fini avec l’extrême droite
Le parti d’extrême droite a été reconnu comme “organisation criminelle” et les Grecs attendent désormais les peines infligées au leader de ce parti. Cette condamnation ne fait pas disparaître l’extrême droite du paysage politique grec pour autant.
Publié le 12-10-2020 à 09h58 - Mis à jour le 13-10-2021 à 20h32
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"Mon fils tu as gagné, ils sont coupables !" La Cour pénale d'Athènes vient de déclarer Aube dorée "organisation criminelle". Un cri de joie sauvage couvre les rues de la capitale grecque. Une liesse s'empare de la foule de plus de 40 000 personnes réunies dans la rue devant le tribunal. Ce cri de la rue, si longtemps contenu, fait écho à celui de Magda Fyssa, la mère de Pavlos, ce rappeur assassiné en septembre 2013 par un cadre d'Aube dorée, dont la mort a permis l'ouverture des poursuites judiciaires contre cette nébuleuse criminelle.
Très digne, Magda a d'abord applaudi dans la salle d'audience le verdict de la Cour, puis elle est sortie, soutenue par Takis, son mari, et Irini sa fille, hurler, les bras levés, sa rage et son soulagement de voir ses sept années de douleur et de lutte enfin aboutir. "Mon fils ! Mon fils ! Tu as réussi tout seul ! Ils sont condamnés. Tu as gagné !"
Les journalistes présents, les rares qui ont suivi ce procès de bout en bout, peinaient à travailler tant l'émotion était profonde. Les larmes brouillaient l'objectif, nouaient la gorge. Pendant plusieurs minutes, Magda a hurlé le nom de son fils Pavlos, devenu signe de ralliement du mouvement antifasciste en Europe et pas seulement. La joie a très vite fait place à la colère. Tout près du tribunal éclataient les premières bombes lacrymogènes, puis les canons à eau se sont mis en branle. Rapidement, même sur le parvis couvert du tribunal, les yeux et la gorge ont souffert. "Pourquoi ils font ça ? Tous ceux qui sont dehors sont mes enfants ! Je veux parler aux MAT (NdlR : forces antiémeute). Qu'elles arrêtent de charger la foule."
Magda interpellait les policiers présents près d'elle. Sa famille a rencontré toutes les peines du monde pour l'empêcher d'aller dans la rue. "T'inquiète pas Madga, le verdict est trop lourd pour la police, elle nous le fait payer", lui criait de derrière les grilles, hilare, une manifestante les yeux rougis par les gaz.
La réaction de la police massivement présente dans tout le centre d’Athènes dès les premières heures du matin, était le signe avant-coureur de ce qui allait suivre. Un peu comme si ce verdict était le minimum syndical pour éviter que la colère des Grecs, qui étaient dans la rue - et pas seulement - ne tourne à l’émeute.
L’attente des peines, "un supplice" pour Magda
Depuis l'annonce du verdict, en effet, c'est l'attente. "C'est un supplice", lâche Magda, présente tous les jours au procès, à quelques exceptions près, depuis le 20 avril 2015. L'annonce des peines, qui peuvent aller de 5 à 15 ans de prison ferme ou de 2 à 8 ans, si des circonstances atténuantes sont reconnues, est sans cesse repoussée.
Mercredi, jour du verdict, le tribunal a siégé jusqu'à minuit, et cinq jours plus tard, après des heures et des heures de débats entre la Cour et les avocats de la défense qui invoquent des vices de forme et font tout pour que ces circonstances atténuantes soient de fait reconnues, l'attente est toujours de mise. Un temps mort mis à profit pour certains avocats d'Aube dorée pour oser des affirmations comme : "Ce procès n'est pas un procès digne d'un pays démocratique mais d'un régime d'un autre temps". Une sentence lancée par un avocat qui n'est autre que le frère du fondateur de ce parti, celui qui aime se faire appeler "Furher, Nikos Michaloliakos".
De son côté, l'avocat de l'ex-député Arvanitis, grand admirateur de la junte des colonels, du régime de Pétain et d'Hitler, a pris la Cour à témoin : "Regardez, tout ce qu'ils voulaient (le public), c'est que vous déclariez Aube dorée organisation criminelle, ils ont tous quitté la salle, vous pouvez bien maintenant accorder à tous nos clients les circonstances atténuantes."
Enfin, la palme des déclarations revient à l'avocat de l'ex-député Michos, accusé de diriger avec six autres acolytes Aube dorée. Cet avocat n'a pas hésité à lâcher que "les partis nazis sont partout autorisés en Europe et vous, vous avez fait de ce procès criminel un procès politique".
Dans le meilleur des cas, les peines pourraient être prononcées aujourd’hui, lundi. Dans le cas contraire, il faudra patienter jusqu’à demain voire après-demain, mercredi.
"L’Aube dorisme" n’est pas fini en Grèce
Un laps de temps que les militants d’Aube dorée ont mis à profit pour rappeler que pour eux la partie n’est pas encore perdue.
Ainsi, alors qu’une manifestation d’environ 400 membres d’Aube dorée avait lieu vendredi soir en toute impunité à Thessalonnique, dans le nord du pays, les bureaux du parti Syriza - gauche centriste - étaient saccagés, le méandre, emblème d’Aube dorée tagué sur ses murs. Pire, à Athènes et au Pirée, les drapeaux rouges frappés de ce méandre flottent toujours sur les bureaux d’Aube dorée qui restent ouverts et son site internet fonctionne normalement.
Alors organisation criminelle ou pas ? Si oui, comment expliquer qu'une organisation criminelle ait pignon sur rue, flambeau au vent ? Sinon, quelle est la réelle portée de ce verdict ? "La constitution grecque ne permet pas la fermeture d'un parti politique quel qu'il soit. Même condamné, il ne peut être hors la loi", rappelle Thanassis Kabayiannis, avocat des ouvriers égyptiens, victimes d'un terrible pogrom d'Aube dorée en 2013. "Pour que les bureaux ferment, il faut que le Conseil d'État donne son feu vert. Cela ne va pas se faire tout de suite, reconnaît-il. Mais on est sur le bon chemin".
Ce chemin risque d'être long, très long, surtout si l'appel que les accusés ne vont pas manquer d'interjeter est déclaré suspensif. Les accusés resteraient alors en liberté le temps que l'appel soit jugé, ce qui, en Grèce, peut prendre jusqu'à six ans. "Je ne le supporterais pas. Je ne supporterais pas de les voir libres dehors", a murmuré Magda, quand on lui a expliqué que c'était une possibilité.
Dimitris Psaras, journaliste d'investigation qui a écrit plusieurs livres sur Aube dorée, n'y croit pas trop. "La Cour ne peut se désavouer ainsi." Pour ce témoin à charge dans le procès, ce verdict est "historique" car "il marque la fin du nazisme dans le pays et la fin des sections d'assaut dans les rues". Yiannis Androulakis, journaliste, en convient mais avec un bémol de taille. "Ce procès marque la fin d'Aube dorée mais pas celle de l'extrême droite et du racisme. On a toujours un parti d'extrême droite au Parlement, la Solution Grecque, et quatre ministres ou vice-ministres d'extrême droite au gouvernement".
Outre la reconnaissance du caractère criminel d’Aube dorée, ce qui était attendu et ce qui l’est toujours, c’est que les liens d’Aube dorée, dont les racines remontent à l’occupation nazie de la Grèce et à l’arrivée des "collabos" dans les rouages des institutions du pays, soient coupés. Que les policiers ouvertement favorables à Aube Dorée, ceux qui ont tenté de couvrir l’assassinat de Pavlos Fyssas ou l’attaque contre les ouvriers égyptiens, soient suspendus et jugés. Désormais, c’est ici que se trouve le véritable enjeu de ce procès.
Tout le monde se découvre antifasciste
En attendant, depuis l'annonce de ce verdict, d'un seul coup, tout le monde se découvre antifasciste. Tous les politiciens, ceux qui s'étaient déclarés prêts à collaborer avec cette Aube dorée "sérieuse", toutes les chaînes télé, celles qui étaient ouvertement pro Aube dorée, n'en finissent pas d'interviewer les victimes qu'elles découvrent en toute bonne conscience. Des signaux peu rassurants. qui démontrent que l'occasion donnée par ce verdict d'une catharsis de la société grecque qui, trois fois de suite, a envoyé les députés néo-nazis au Parlement même après le meurtre de Pavlos Fyssas, ne sera saisie. Irene Kondaridou, professeure de lettres, préfère regarder le bon côté des choses : "Désormais, je peux critiquer devant mes élèves Aube dorée car ce n'est plus un parti mais une organisation criminelle et c'est la justice qui le dit. Avant j'étais passible de suspension. Cela fait huit ans que j'attendais cela."