Un accord "historique" : le versement des fonds européens sera lié au respect de l’état de droit par les États membres
Les représentants du Parlement européen et la présidence allemande du Conseil ont conclu un pré-accord sur un mécanisme dédié à cet effet. Son efficacité dépendra beaucoup de la volonté politique des Etats membres d'en faire usage. En attendant, cet accord sur l'état de droit pourrait contribuer à débloquer les négociations sur le budget 2021-2027, qui patinent depuis plusieurs semaines.
Publié le 05-11-2020 à 23h41 - Mis à jour le 06-11-2020 à 18h35
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Le budget européen n’a pas vocation à financer les États membres qui ne respectent pas l’état de droit et les valeurs de l’Union. Le principe ne souffrait guère la contestation ; la façon de faire en sorte qu’il soit concrètement appliqué était l’objet depuis trois semaines d’intenses négociations qui ont pris fin, ce jeudi à Bruxelles. Les représentants du Parlement européen et la présidence allemande du Conseil, négociant au nom des Vingt-sept, ont conclu un accord politique sur l’architecture d’un mécanisme liant le versement des fonds européens et l’état de droit.
Co-rapporteurs du texte pour le Parlement, la socialiste espagnole Eider Gardiazabal Rubia et son collègue conservateur finois Petri Sarvamaa ont chacun qualifié "d’historique" l’accord obtenu. "Qui, il y a un ou deux ans, donnait la moindre chance de mettre en place ce type de mécanisme ?", a souligné M. Sarvamaa, insistant sur le fait que des demandes pressantes du Parlement européen ont été rencontrées par la présidence allemande du Conseil.
Une portée plus large
Le Parlement a notamment obtenu l’élargissement de la portée du mécanisme, par rapport à ce que proposait le Conseil, au-delà de la corruption et de la fraude, et l’établissement d’une liste des "violations de l’état de droit" qui pourraient affecter les intérêts financiers de l’UE, c’est-à-dire les versements du budget européen mais aussi les 390 milliards d’euros de subventions déployées dans le cadredu plan de relance. Cette liste comprend "la mise en danger de l’indépendance de la justice", "l’incapacité à prévenir, corriger ou sanctionner les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques" et "la limitation de la disponibilité et de l’efficacité des instruments légaux" permettant d’enquêter sur les violations de l’état de droit, d’engager des poursuites ou d’appliquer des jugements. La fraude et l’évasion fiscales entrent en ligne de compte en tant que motifs de déclenchement du mécanisme. Enfin, celui-ci pourra être actionné dès le moment où un manquement risque d’affecter le budget sans attendre que le mal soit fait.
Il a aussi été convenu que lorsqu’elle proposera de suspendre ou de couper les fonds d’un État membre en défaut, la Commission pourra se référer à son rapport annuel sur l’état de droit dans les pays de l’Union.
Pas de sanctions quasi automatiques
En revanche, le Conseil est resté sur sa position en ce qui concerne le processus de décision. Une recommandation de sanction d’un État membre de la Commission devra être adoptée à la majorité qualifiée (55 % des États membres représentant 65 % de la population). Le Parlement aurait souhaité (comme l’avait proposé la Commission)un système de "majorité qualifiée" qui aurait donné aux recommandations de sanctions un caractère quasi-automatique.
Le Parlement a bataillé pour assurer que le Conseil ne puisse pas se retrouver dans la position de décider de ne pas agir, comme c’est le cas dans la procédure de l’article 7 du traité, ouverte contre la Hongrie et la Pologne. Qualifié "d'arme atomique", l'article 7 tient actuellement du pétard mouillé et n'a eu que peu sinon aucun effet pour réfréner les poussée autocratiques des gouvernements hongrois et polonais.
Dans le cadre du nouveau mécanisme, si la Commission constate une violation, les États membres devront prendre une décision dans un délai d’un à trois mois. En cas d'atermoiements, la Commission rappellera le Conseil à ses obligations.
"L’efficacité du mécanisme dépendra de la volonté politique des États membres et de la Commission", commente Eulalia Rubio, chercheuse à l’Institut Jacques Delors. "On ne peut pas avoir un mécanisme quasiment automatique. Ce n’est pas comme les règles sur les déficits budgétaires, où il s’agit de chiffres. C’est une question politique, à la fin, de réagir aux violations substantielles de l’état de droit.Le Conseil doit prendre ses responsabilités. Si on n’a pas dans l’Union européenne une majorité d’États membres qui défendent l’état de droit, on a un problème."
L’accord doit à présent être formellement adopté par les deux institutions. L’issue du vote au Parlement ne fait pas de doute. Au Conseil, il faudra en passer par un vote à la majorité qualifiée. Déjà visées par la procédure de l’article 7 du traité sur l’UE pour manquements envers l’état de droit, la Hongrie et la Pologne sont opposées à ce mécanisme. L’une et l’autre ont menacé de ne pas entamer le processus de ratification parlementaire du plan de relance si ce mécanisme voit le jour. Plusieurs sources jugent peu crédible ce chantage de bénéficiaires nets du budget européen et, dans le cas de la Pologne, du plan de relance.
Eulalia Rubio doute elle aussi aussi que Budapest et Varsovie mettent leur menace à exécution : "Ils n’ont rien à gagner à tout bloquer. D’autant que même s’il n’y a pas d’accord sur le budget 2021-2027, rien n’empêche le Parlement et le Conseil d’adopter le mécanisme, de toute façon".
Déblocage en vue sur le budget
Le Parlement et le Conseil ont trouvé un accord sur l’état de droit, mais la négociation parallèle sur le budget européen 2021-2027 patine sur le montant des plafonds des dépenses de quinze programmes européens et, dans une moindre mesure, sur la création de nouvelles ressources pour alimenter le budget.
La question budgétaire et le mécanisme sur l'état de droit sont sujets sont différents, mais connexes.
Les quatre principaux groupes du Parlement - les conservateurs du PPE, les socialistes et démocrates, les libéraux de Renew et les Verts - avaient prévenu qu’ils n’approuveraient pas l’accord conclu en juillet par les leaders des Vingt-sept sur le budget pluriannuel et le plan de relance sans création d’un mécanisme robuste liant fonds européens et respect de l’état de droit.
À présent qu’il est satisfait sur ce sujet, considéré comme le plus épineux, la négociation sur le budget pourrait se débloquer la semaine prochaine, avancent plusieurs insiders.