Le veto budgétaire de la Hongrie et de la Pologne ne fait que des perdants, l'UE réfléchit à un plan de relance B
Publié le 21-11-2020 à 07h05 - Mis à jour le 03-12-2020 à 19h42
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Tant que les accords conclus entre le Conseil et le Parlement européen sur le budget 2021-2027 et le plan de relance ne sont pas entérinés par les deux institutions, le paquet de 1 800 milliards d’euros sur lequel les leaders des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne s’étaient entendus en juillet n’existe que sur papier. Pour s'opposer à la création d'un mécanisme liant le versement des fonds européens au respect de l'état de droit, la Hongrie et la Pologne empêchent l'adoption du paquet budgétaire, qui requiert l'unanimité des Vingt-sept. La réponse de l’Union à la crise économique causée par le Covid-19 reste donc bloquée au stade des bonnes intentions.
La conséquence la plus évidente du veto posé par la Hongrie et la Pologne est que, faute d’accord sur l’augmentation du plafond des ressources propres (le maximum exigible des États membres pour financer le budget de l’UE) à 2% du revenu national brut de l'UE, la Commission ne pourra pas emprunter pour financer le plan de relance de 750 milliards d’euros. "C’est une situation grave. Dans cette période de crise sans précédent et récession profonde, les Européens et les entreprises européennes attendent urgemment les fonds [du plan] Next Generation EU", a insisté la présidente de la Commission Ursula von der Leyen le 19 novembrer, à l’issue de la vidéoconférence lors de laquelle les chefs des Vingt-sept ont brièvement abordé le problème.
L'Union réfléchit à la façon de contourner la Hongrie et la Pologne
Plus le temps passe, plus réduites sont les chances que les premiers versements du plan de relance aient lieu dès l’été 2021. Coup dur pour les pays économiquement très ébranlés par la pandémie, principaux bénéficiaires du volet subventions (390 milliards) du plan de relance : l’Italie doit toucher 65 milliards d’euros, l’Espagne 60 milliards, la France 37 et… la Pologne 23. La Belgique est censée recevoir 5,1 milliards. La Hongrie se priverait, elle, de 6,2 milliards. Pas question, non plus, de déployer sous forme de prêts, les 360 milliards restants.
Trouver un compromis avec les deux récalcitrants lors du sommet des 10 et 11 décembre permettrait de mettre en œuvre le plan de relance, tel qu'il a été conçu. Mais si ce n'est pas possible, les autres Etats membres n'ont pas l'intention de rester otages du bon vouloir hongrois et polonais.
Une issue de secours pourrait être de transformer NextGenerationEU en instrument intergouvernemental, comme l'est le Mécanisme européen de stabilité, le fonds de secours de la zone euro. Les inconvénients sont nombreux : "Cela prendrait beaucoup de temps, parce qu'il faurait entièrement réinventer la roue", a prévenu une source européenne, le 2 décembre. Et d'ajouter que les emprunts consentis dans ce scénario par les Etats membres pour financer le fonds viendraient alourdir leur dette publique - ce que visait précisément à éviter le concept d'emprunts européens pour financer NextGenerationEU.
Plus praticable serait la voie de la coopération renforcée entre Etats volontaires, qui décalquerait le schéma existant, et l'adapterait pour vingt-cinq pays et non plus vingt-sept pays. Une autre possibilité serait d'en passer par des garanties financières apportées par les Etats membres volontaires pour permettre à la Commission d'emprunter de quoi financer ce plan B.
Le montant total pourrait être amputé des sommes dévolues à la Hongrie et à la Pologne. A moins que le poids du fonds reste de 750 milliards mais que les parts de Varsovie et de Budapest ne soient redistribués entre les autres Etats membres.
Pas d'accord, pas d'argent pour les nouveaux programmes
L’obstruction de Budapest et Varsovie empêche aussi de mener à terme le processus législatif pour l’adoption du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027. Même sans accord sur le CFP, le Parlement et le Conseil peuvent cependant adopter un budget 2021, dont les plafonds de dépenses seraient calqués sur ceux du budget de cette année, dernière du CFP 2014-2020.
Le temps pour y parvenir est très court, et la Commission fixe l'échéance au 7 décembre, date après laquelle le temps manquera pour que le budget soit dûment adopté.
Si les eurodéputés et les États membres ne trouvent pas d'accord, les paiements du budget 2021 de secours seront décliné en tranches mensuelles, les douzièmes provisoires, et les engagements vaudront pour trois mois - du jamais-vu depuis 1988. Cette solution palliative n’a rien d’idéal, pour un budget établi sur la programmation à long terme.
Mais encore : si le CFP 2021-2027 n’est pas en vigueur le 1er janvier, les dépenses autorisées seront limitées : les paiements de la Politique agricole commune, l’aide humanitaire, l’administration... Impossible en revanche d’engager de l’argent pour le programme de recherche Horizon 2020 ou Erasmus +. Pas d’argent non plus pour le nouveau programme Europe pour la santé, le Fonds de transition (climatique) juste, le Fonds européen de défense ou l’enveloppe de 5 milliards destinés aux pays, dont la Belgique, les plus affectés par le Brexit.
Certains de ces postes budgétaires ne sont pas vraiment des priorités pour Budapest et Varsovie. Ne les inquiètent pas plus que sans accord sur le budget 2021-2027, l'Allemagne, mais aussi les "pays frugaux" Autriche, Danemark, Pays-Bas et Suède ne pourront pas continuer à bénéficier du rabais sur leur contribution financière, durement négocié lors du sommet de juillet.
La Hongrie et la Pologne prêtes à se priver elles-mêmes des fonds dont elles bénéficient
On peut cependant s’étonner que la Hongrie et la Pologne bloquent la mise en œuvre du nouveau budget européen... dont elles profitent largement. En 2018, les dépenses européennes représentaient en effet 5 % de l’économie hongroise et 3,5 % de la polonaise. L'institut Jacques Delors a calculé que de 2014 à 2019, la Pologne a touché 63 milliards du budget européen et la Hongrie 27. En refusant de valider le CFP 2021-2027, ces deux pays, larges bénéficiaires des fonds structurels, se privent d'une belle manne.
La Hongrie et la Pologne ont-elles fait leurs calculs et tenu compte du "reste à liquider" (c'est-à-dire les engagements budgétaires qui doivent encore être honorés) avant de mettre leur veto ? Les crédits d'engagements pour les fonds structurels du cadre 2014-2020 continueront à être payés jusqu’en 2023, fait remarquer un diplomate bon connaisseur des matières budgétaires européennes.
Oui mais : si l'UE doit fonctionner sur un budget 2021 établi sur les douzièmes provisoires, les paiements des engagements du budget 2014-2020 (le reste à liquider, donc) seront retardés, pointe une autre source européenne. Par ailleurs, la Commission évalue que sans accord sur le CFP 2021-2027 et sur l'augmentation des ressources propres de l'UE, les paiements effectués dans le cadre du budget 2021 (basé ou non sur les douzièmes provisoires) seraient diminués de 25 à 30 milliards d'euros par rapport au projet initial. Les fonds de cohésion, principalement destinés aux pays d'Europe central et orientale, feraient l'objet de coupes de 50 à 75%.
L'ironie suprême de toute cette histoire est que la décision de créer ce mécanisme sur la conditionnalité état de droit peut-être prise sans eux par le Conseil et le Parlement. Il serait d'application dès 2021, pour tous les fonds européens, même dans le cadre d'un budget provisoire.
Varsovie et Budapest pratiquent un rare cas de chantage, tenant à la fois le rôle du maître-chanteur et de la victime.