Viktor Orbán défie l’Europe pour consolider sa forteresse
L’entêtement du Premier ministre à bloquer le budget européen relève d’une fuite en avant pour conserver son pouvoir.
- Publié le 21-11-2020 à 07h05
- Mis à jour le 03-12-2020 à 19h42
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À écouter, vendredi matin, son intervention radiophonique hebdomadaire, tout indique que le Premier ministre hongrois Viktor Orban se prépare à un long bras de fer avec l’Union européenne, aux côtés de la Pologne. C’est en tout cas le message qu’il semble avoir voulu faire passer à l’Europe, tout en se montrant rassurant pour ses auditeurs : "La Hongrie est un pays stable, nous pouvons mettre en œuvre nous-mêmes tous les développements que nous avons prévus pour les dix prochaines années. Si le débat s’éternise et que le fonds de gestion de crise [le plan de relance européen, dont les deux pays bloquent l’adoption NdlR] n’est pas décaissé, nous serons capables de mettre en œuvre nos plans tout seuls au printemps. Nous sommes sur une base si stable qu’à la différence de 2008 nous avons la possibilité de lever des fonds même sur les marchés asiatiques à de bonnes conditions."
Budapest et Varsovie ont empêché en début de semaine les Vingt-sept d’approuver à l’unanimité deux décisions relatives au budget européen 2021-2027 et au plan de relance de 750 milliards d’euros, pour manifester leur opposition à la création d’un mécanisme qui conditionne le versement des fonds européens au respect de l’état de droit. Aux yeux du leader hongrois, cet instrument est "une arme politique et idéologique" au service de ses adversaires et donc une atteinte à la souveraineté nationale. Ces derniers, c’est-à-dire la Commission et les autres États membres, a-t-il expliqué à ses auditeurs, pourraient alors "forcer la Hongrie à faire des choses qu’elle ne veut pas… comme abattre notre barrière frontalière ou relocaliser des réfugiés".
L’opposition est impuissante
Embarrassés mais impuissants à enrayer "la politique destructrice" du gouvernement du Fidesz, les six partis de l’opposition ont estimé "nécessaire de déclarer aux citoyens et aux dirigeants de l’Union européenne que la Hongrie ne se résume pas à Viktor Orban". De la gauche à la droite en passant par les libéraux, tous interprètent ce jusqu’au-boutisme du Fidesz comme un geste désespéré pour tenter de conserver la main sur la manne européenne qu’il distribue à son "oligarchie".
L’eurodéputée du parti Momentum Anna Donath y décèle une logique très simple : "S’il ne peut pas voler les fonds européens, alors les Hongrois et les Européens ne les recevront pas non plus." Le Fidesz ne s’en cache pas : les capitaux européens ont été massivement canalisés vers des grandes entreprises hongroises pour rivaliser avec les multinationales et faire émerger un capitalisme national. C’est ainsi que l’ami d’enfance de M. Orban, Lorinc Meszaros, simple chauffagiste il y a dix ans, est aujourd’hui à la tête d’un des conglomérats les plus importants et de la première fortune du pays… et qu’il a pu investir dans des médias privés au service du pouvoir.
Les élections de 2022
"L’ultime objectif d’Orban, ce sont les élections législatives de 2022 et la conservation du pouvoir, rappelle le politologue Botond Feledy. Chaque conflit avec l’Union va renforcer la mentalité de bastion qui maintient la cohésion de son électorat." Selon lui, "Orban voit véritablement dans ce mécanisme - qui pourrait aboutir à couper les fonds [de la Hongrie] avant 2022 - une menace à son pouvoir. Mais il ne semble pas réaliser le risque qu’il prend à se mettre à dos tous les États membres", estime le politologue. Omnipotent depuis plus d’une décennie en son pays, Viktor Orban s’est barricadé dans une forteresse. "Le Fidesz développe une mentalité d’assiégé, il s’est enfermé depuis des années dans une narration puissante, qu’il n’arrive plus à renouveler. Je pense que ça influe sur sa capacité à prendre des décisions lucides", analyse Botond Feledy.
Les Hongrois ont pu bénéficier d’une nette embellie économique dans la seconde moitié de la décennie 2010, dont les classes moyennes supérieures fidèles à la droite ont particulièrement profité. Mais l’épidémie causée par la Covid-19 risque de balayer ce succès du Fidesz et de compromettre un quatrième mandat d’affilée. Selon un sondage réalisé par Kantar à la demande du Parlement européen, 44 % des Hongrois disent avoir subi une perte de revenus depuis le début de la pandémie. C’est le taux le plus élevé enregistré dans l’UE.
Pour la première fois, un sondage publié cette semaine donne le Fidesz battu par une opposition unie. Les négociations avec les dirigeants européens apparaissent comme l’heure de vérité pour Viktor Orban. Lui qui a ouvertement envié les Britanniques, qui ont choisi de sortir de l’Union européenne, serait-il prêt à suivre cette voie si son pouvoir personnel venait à en dépendre ? Cette semaine, l’hebdomadaire économique Heti Világgazdaság le croque en croupier de casino ramassant la mise et retirant le jeton Hongrie du plateau européen…