Les Vingt-sept vont aborder le sommet à la fois soulagés et inquiets
Hongrie et Pologne ont obtenu les assurances qu'elles attendaient pour lever leur veto à l'adoption du budget et du plan de relance européens. Le Brexit ? "Que sera sera".
- Publié le 09-12-2020 à 22h06
- Mis à jour le 10-12-2020 à 11h25
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L’agenda des sommets européens de décembre est traditionnellement chargé, comme si les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-sept voulaient mettre de l’ordre dans les affaires de l’Union avant la trêve des confiseurs. La réunion du Conseil européen qui se tiendra ces jeudi et vendredi à Bruxelles (et non par écrans interposés) ne fait pas exception à la règle.
La liste des sujets à discuter mentionne la coordination face à la pandémie de Covid-19 ; l’objectif climat de l’Union pour 2030, l’opportunité de muscler le jeu de l’Union vis-à-vis de la Turquie, la lutte antiterroriste, et un sommet de la zone euro.
N’y figurent pas, officiellement, les deux dossiers les plus importants et les plus urgents du moment : le blocage de l’adoption du budget européen par la Hongrie et la Pologne et l’impasse dans laquelle sont coincées les négociations de la future relation entre l’Union et le Royaume-Uni. Néanmoins, "ils occuperont l’esprit des dirigeants européens", admet une source européenne. Les évolutions, ou l’absence de progrès, de l’un et de l’autre auront un impact sur l’atmosphère de la réunion.
Le premier problème posé par Budapest et Varsovie pourrait ne plus en être un à l’issue du sommet. Concernant la relation post-Brexit, le fait que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le Premier ministre britannique Boris Johnson n’aient pas aperçu de perspective d’accord, au cours de leur dîner organisé mercredi soir à Bruxelles, fera grimper le degré de préoccupation des Vingt-sept.
1. La Hongrie et la Pologne devraient lever leur veto
L’obstruction de la Hongrie et de la Pologne à l’adoption à l’unanimité du budget européen 2021-2027 et du plan de relance a été source d’inquiétude, d’agacement et même de colère à Bruxelles et dans vingt-cinq capitales de l’Union. Et pour cause : sans l’accord de ces deux pays, l’Union risque de devoir fonctionner en 2021 avec un budget limité, décliné mois par mois, et de ne pas pouvoir mettre en œuvre son plan de relance de 750 milliards d’euros, destiné à redynamiser les économies européennes très affectées par la pandémie de Covid-19.
Les deux pays justifiaient leur veto par leur opposition à l’accord conclu entre le Parlement européen et le Conseil sur le cadre d’un mécanisme liant le versement des fonds européens au respect de l’état de droit. La présidence allemande du Conseil de l’Union avait été chargée de trouver un compromis, sans modifier l’architecture du mécanisme, dont tout affaiblissement aurait suscité un refus du Parlement européen et de certains États membres. Si les deux récalcitrants persistaient dans leur refus, la possibilité de lancer un plan de relance B sans eux était clairement évoquée. Cela, ajouté à l’absence du budget en bonne et due forme, aurait eu pour effet de priver la Hongrie et la Pologne de dizaines de milliards d’euros. De quoi faire réfléchir les plus entêtés.
Un compromis a été présenté mercredi après-midi aux ambassadeurs des Vingt-sept auprès de l’UE. "La Hongrie et la Pologne semblent en être satisfaites", indique une source européenne, précisant que personne n’a fait d’objection. Le “marché” doit cependant être analysé par les Vingt-cinq avant d’être conclu.
Sans surprise, la solution prend la forme d’une déclaration. Le texte du compromis "rappelle l’évidence", pointe la même source. Le mécanisme est conçu pour protéger les intérêts financiers de l’Union de "tout type de fraude, corruption ou conflit d’intérêts", peut-on lire dans le texte. Et, en aucun cas, d’être utilisé pour protéger l’état de droit en général. "Il existe des instruments spécifiques pour ça", ajoute le même interlocuteur.
Varsovie et Budapest estimaient que les conditions d’utilisation du mécanisme étaient trop vagues. La Commission les précisera dans des lignes directrices, élaborées en consultation avec les États membres. Le point le plus sujet à discussion est le suivant : il sera loisible à un État membre qui contesterait la législation sur “la conditionnalité état de droit”, une fois celle-ci adoptée, d’introduire un recours en annulation devant la Cour de justice de l’Union européenne, ce qui amènerait cette dernière à statuer sur la légalité du mécanisme.
C’est en quelque sorte un “chiche !” adressé à la Hongrie et à la Pologne, qui affirmaient que le mécanisme viole les traités. Mais cela pourrait également être pour les deux pays une manière de retarder l’entrée en vigueur du mécanisme, le temps (long) que la Cour se prononce sur la question qui lui serait posée. Il est écrit que la Commission s’abstiendra de lancer la procédure pouvant mener à la suspension des fonds d’un État membre fautif avant le jugement de la Cour. De quoi mettre les usual suspects hors d’atteinte pendant un moment. Jusqu’aux élections hongroises de 2022, par exemple, pour que le Premier ministre Viktor Orban puisse se présenter devant les électeurs sans casserole européenne.
Si le compromis sur le mécanisme "budget/état de droit" est approuvé par les leaders, chacun pourra prétendre, comme en juillet, qu’il a obtenu ce qu’il voulait. L’usage dira ce qu'il en est.
2. Les négociations post- Brexit, stop ou encore ?
Qu’on se le redise : le Premier ministre britannique Boris Johnson ne sera pas invité à plaider sa cause au Conseil européen. Il est par ailleurs assuré qu’aucune décision ne sera prise lors du sommet sur l’opportunité de débrancher la prise de ces négociations qui semblent n’aboutir nulle part. Le rapport que fera la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, aux chefs d’État et de gouvernement des Vingt-sept de son entreveue avec Boris Johnson confortera le pessimisme des derniers jours quant à la possibilité de conclure un accord sur la relation post-Brexit, et de le faire ratifier par les États membres, le Parlement européen et le Parlement britannique avant le 31 décembre 2020, dernier jour de la période de transition.
Dans un communiqué commun publié mercredi après 23 heures, l’Allemande et le Britannique ont dit que la discussion "animée" qu’ils avaient eu lors de leur dîner – coquilles St Jacques et velouté de potiron, turbot vapeur purée de wasabi et petits légumes, Pavlova aux fruits exotiques, moka et mignardises – leur avait permis de mieux comprendre leurs positions respectives. Mais aussi, et surtout, de constater à nouveau qu’elles restent “fort éloignées”.
La concurrence équitable, le règlement des différends et la pêche sont les trois lourds sujets de contentieux. "Mais chaque sujet recouvre des dizaines de principes. Et chacun de ces principes réclame une réponse par oui ou par non", précise un diplomate. Aucune des deux parties n’est en mesure d’apporter celles que l’autre attend.
Les négociations vont malgré tout reprendre, dès ce jeudi. Une décision sera prise, à la fin du week-end, ont annoncé Mme von der Leyen et M. Johnson, sans préciser s’il s’agirait de décider de poursuivre les discussions ou d’acter un désaccord définitif.
Les États membres, dont la Belgique, qui avaient demandé lors du sommet d'octobre que la Commission rende publique les mesures de contingences destinées à atténuer l’impact d’un no deal n’auront pas besoin de se répéter.