La possibilité de conclure un accord post-Brexit ne tient plus qu’à un fil
Le temps presse, les divergences demeurent, Londres joue avec le feu.
Publié le 20-12-2020 à 09h06
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La chorégraphie des négociations de la relation post-Brexit se déroule selon un scénario désormais rodé. Premier mouvement, vendredi soir : les négociateurs en chef de l’Union européenne, Michel Barnier, du Royaume-Uni, David Frost, constatent que "les conditions pour conclure un accord ne sont pas remplies" en raison de la persistance de "divergences significatives" sur les trois sujets de blocage que sont la concurrence commerciale loyale, la pêche et la façon de régler les futurs différends.
Second mouvement, samedi soir : après avoir discuté au téléphone, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le Premier ministre britannique Boris Johnson demandent aux négociateurs de fournir un nouvel effort pour aplanir les différences.
Troisième mouvement, entamé ce dimanche : reprise des négociations à Bruxelles.
Ce que tout le monde ignore, c’est ce à quoi ressemblera le grand final : un accord ou un échec qui provoquera une séparation économique et juridique brutale des deux parties, à l’issue de la période de transition, qui s’achève le 31 décembre à minuit.
La réponse devrait être connue dans les tout prochains jours, mercredi dernier délai. Michel Barnier a fait rapport ce lundi matin dès 7 h 30 aux ambassadeurs des Vingt-sept auprès de l’UE puis aux représentants du Parlement européen. Mme von der Leyen et M. Johnson se reparleront lundi soir. Tant que les parties négocient, l’espoir subsiste, même si le calendrier devient très très serré - le texte d’un accord devrait être passé au tamis des juristes, traduit dans les 23 langues officielles de l’UE et approuvé par les Vingt-sept et le Parlement européen, après minutieux examen.
De profondes divergences persistent
"Il y a une vraie volonté d’aboutir", assure une source européenne, non sans préciser que les perspectives sont très incertaines. Ce qui joue en faveur de la conclusion d’un accord : le choc économique que provoquerait un no deal ne ferait que des perdants. Éléments contre : l’éloignement des positions, si tard dans la négociation, et le fait que personne ne semble prêt à lâcher du lest.
Le sujet de la pêche, politiquement sensible, mais économiquement de moindre importance, reste un obstacle à la conclusion d'un accord. Les deux parties peinent à s'entendre sur les conditions d'accès aux eaux britanniques dont continueraient à bénéficier les pêcheurs de huit Etats membres, dont la Belgique.
L'est plus encore la question du level playing field, à savoir de la concurrence équitable. Ainsi, le Royaume-Uni s’oppose toujours au principe de "non-régression" de ses réglementations sociales, environnementales, en termes d'aides d'Etat autres, que l’UE pose comme condition sine qua non pour lui accorder un accès sans tarif ni quota à son marché intérieur.
Importe également aux Vingt-sept que le futur mécanisme de règlement des différends permettent à une partie de de réagir directement et d'éventuellement prendre des mesures de rétorsion si l'autre partie devaient ne pas respecter ses engagements.
Chaque partie a fait sienne le gimmick "Mieux vaut pas d’accord qu’un mauvais accord". Du côté de l’UE, la France tient le discours le plus musclé. Le secrétaire d’État aux Affaires européennes Clément Beaune insiste sur le fait que Paris n’hésitera pas à mettre son veto à un accord jugé insatisfaisant. Les Pays-Bas, le Danemark et la Belgique sont également dans la catégorie des "vigilants", qui tiennent à ce que M. Barnier n'outrepasse pas (trop) le mandat de négociation fixé par les Vingt-sept. L'Allemagne et l'Irlande sont prêtes à se monter plus souple, jugeant qu'il est absolument nécessaire d'éviter un no deal et la Commission agit en machine-à-conclure des accords.
En revanche, les Vingt-sept se perdent en conjectures sur les intentions de Boris Johnson. A-t-il besoin de dramatiser au maximum la situation pour pouvoir "vendre" à son opinion publique que l’accord a été conclu de haute lutte ? Ou, à l’inverse, pour pouvoir rejeter la faute sur l’intransigeance européenne.
Le Royaume-Uni va-t-il provoquer l’UE ?
Quoi qu’il se passe à Bruxelles, l’Union gardera un œil attentif sur ce qui se passera cette semaine au Parlement de Westminster. Le projet de loi sur le marché interne (Internal Market Bill)reviendra à la Chambre des communes. Les Lords en ont retiré les passages contrevenant au protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord, partie de l’accord de Brexit ratifié en janvier. Mais le gouvernement laisse entendre qu’il demandera aux députés de rejeter les amendements des Lords et de réintroduire les mesures initiales, mercredi.
Le même jour, une deuxième attaque sera menée contre l’accord de retrait, par le projet de loi sur la taxation. Londres veut décider de manière unilatérale quels biens envoyés de Grande-Bretagne vers l’Irlande du Nord seront considérés "à risque" d’être ensuite exportés vers l’UE, et donc soumis aux droits de douanes. Or c’est normalement l’une des prérogatives du comité mixte UE/Royaume-Uni.
L’adoption de ces textes serait perçue par l’Union comme un geste d’évidente mauvaise volonté britannique. Par conséquent, ni les États membres, ni le Parlement européen n'accepteraient de ratifier un accord sur la relation post-Brexit, en sachant que les Britanniques foulent aux pieds l’accord de retrait, qui n’a pas un an.