Le combat des jardiniers d’Aubervilliers face aux JO de Paris
La construction d’un centre aquatique détruirait une partie des 85 parcelles. Un collectif s’y oppose, et monte au front avec d’autres associations.
Publié le 04-01-2021 à 15h13
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Au pied d’immeubles HLM de briques ocre à Aubervilliers, à 2 km au nord de Paris, se niche un lieu improbable dans ce département très urbanisé et densément peuplé qu’est la Seine-Saint-Denis. Divisés en 85 parcelles, les jardins ouvriers des Vertus s’étendent sur 2,6 ha.
Malgré le froid, des jardiniers s’y affairent pendant les fêtes de fin d’année. Mais les membres du collectif de défense des jardins ouvriers des Vertus d’Aubervilliers ne se retrouvent pas sur la parcelle n° 13 pour planter des légumes. Ils se préparent à distribuer des tracts. Les Jeux olympiques de Paris se tiennent en 2024 et il n’y a plus une minute à perdre. Plus d’un hectare des jardins est menacé par la construction d’un centre aquatique avec un bassin d’entraînement et, plus tard, par l’aménagement d’une gare du Grand Paris Express et l’érection d’immeubles.
"Des Jeux écoresponsables… Vraiment ?"
"Nous ne sommes pas contre la piscine, qui n’empiète d’ailleurs pas sur les jardins, mais contre son extension, explique Ziad, jardinier depuis trois ans. Cette extension comporte un espace de fitness, un spa et un solarium. C’est une insulte à la nature que de détruire des jardins pour une terrasse bétonnée. Surtout aujourd’hui, et alors qu’il y a très peu d’espaces verts à Aubervilliers. Le comité des JO qui vante des Jeux écoresponsables détruirait ainsi une partie de ce bel endroit, simple, un peu sauvage, avec une biodiversité intéressante et des espèces protégées. Un lieu qui permet à des gens modestes et de multiples nationalités de sortir de chez eux, parler, partager et se nourrir."
Pour Dolorès, ces jardins, qui occupaient encore 6,2 ha en 1963, "c’est aussi du patrimoine". "Il y avait une grande plaine maraîchère en Seine-Saint-Denis au XIXe siècle. On y cultivait des légumes et des fruits pour nourrir la population de Paris. Cette plaine des Vertus a ensuite été grignotée par le béton."
Yvan, lui, n’est pas jardinier. Architecte, il apporte son expertise au collectif. "C’est aberrant de couler du béton sur des jardins de nos jours. La végétation en ville est indispensable. On ne peut plus considérer des espaces verts comme une page blanche sur laquelle on peut faire n’importe quoi. Et puis, la piscine, c’est un peu le cheval de Troie. Elle permettra de commencer à chasser des jardiniers avant que d’autres projets ne suivent."
"Notre havre de paix, notre oasis"
Tracts en main, les membres du collectif vont à la rencontre des jardiniers d’Aubervilliers. Ils croisent Adlani, dépitée. "Nos jardins, ce ne sont pas que des légumes et des fruits. Je vis en appartement comme beaucoup et ça me fait du bien de venir ici. Ça me vide l’esprit. C’est mon petit coin de paradis."
Sur leur parcelle, Ursula et Claude accueillent d’autres jardiniers, des amies : Sylvana, Annick et Marie. Ils discutent en mangeant des chocolats, alors que des mésanges charbonnières dansent au-dessus d’eux et couvrent le bruit des voitures. "Ces jardins, c’est notre seul endroit où respirer à Aubervilliers. C’est notre havre de paix, notre oasis. Nous y sommes tous les jours. Nous mangeons ce que nous récoltons, du bon et du bio. Ça nous permet de garder le contact avec la nature, et avec les gens aussi. On parle, on échange des tomates contre des figues, on partage nos recettes…"
Pour compenser les lopins perdus, Grand Paris Aménagement, le responsable du projet, propose aux personnes lésées de déménager sur une parcelle des jardins voisins de Pantin, ou sur des terres dans un bois où une centaine d’arbres seraient abattus. "C’est absurde, ce n’est pas une compensation environnementale mais bien de la destruction de l’environnement, soupire Ziad. Quant aux jardins de Pantin, Grand Paris Aménagement dit que des parcelles sont abandonnées, mais c’est faux."
C’est d’ailleurs là que le collectif retrouve Gérard, "85 ans, trois infarctus et jardinier depuis 42 ans". "J’ai reçu début décembre une lettre d’une brutalité… Une lettre disant que je n’aurais plus accès à mon jardin dès janvier. Mais ils ont fait marche arrière, pour l’instant…"
"Nous nous asphyxions dans notre département"
Valérie et son fils prêtent parfois main-forte au collectif d’Aubervilliers. Eux sont membres de l’association Notre parc n’est pas à vendre. Près de 7 ha des 417 ha du parc de La Courneuve, lui aussi en Seine-Saint-Denis, sont menacés par la construction du village des médias, toujours dans le cadre des Jeux olympiques de Paris. "Les JO entérineraient ainsi la possibilité de détruire aujourd’hui un parc public. Et nous craignons que ce ne soit qu’un début. Or, nous nous asphyxions déjà dans notre département. Nous avons besoin de respirer."
Plusieurs collectifs de Seine-Saint-Denis unissent ainsi leurs forces face aux projets des JO de Paris. "Nous sommes plus forts ensemble, comme des David face à Goliath, avec comme objectif d’éviter que le béton coule un peu plus en Seine-Saint-Denis", glisse Dolorès.
La demande de permis pour la construction du centre aquatique a été déposée. Le chantier débuterait au printemps. Le collectif de défense des jardins ouvriers d’Aubervilliers compte utiliser tous les moyens possibles pour protéger son "petit coin de paradis".