Slovaquie : Daniel Lipsic, l’homme qui fait peur à la mafia
Daniel Lipsic, ex-ministre de la Justice et de l’Intérieur et ténor du barreau, a été nommé procureur spécial.
Publié le 17-02-2021 à 10h52 - Mis à jour le 17-02-2021 à 10h53
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Il est l’ennemi juré de Marian Kocner, le caïd de la pègre slovaque, qui l’avait fait surveiller et avait mis un contrat sur sa tête. Daniel Lipsic a été nommé, vendredi 5 février, à la tête du Bureau du procureur spécial (USP), en charge de la lutte contre la grande corruption et le crime organisé qui secoue la Slovaquie depuis trois ans. La coalition gouvernementale dirigée par le parti Olano d’Igor Matovic, élu en mars 2020 sur un programme anticorruption, lui a assuré les votes de 79 députés sur les 117 présents. Signe des temps, le Parlement devait élire un nouveau procureur spécial à la suite de la démission de Dusan Kovacik… qui croupit en prison. Pris dans un vaste coup de filet à l’automne, avec d’autres très hauts fonctionnaires, dont le patron de la police nationale.
Daniel Lipsic, un avocat de 47 ans, diplômé de Harvard, est une figure bien connue de la politique slovaque et de la lutte contre la corruption. Jeune ministre de la Justice de 2002 à 2006, il a lui-même créé cette juridiction spéciale dont il prend aujourd’hui la tête. "Je sais qu’un combat difficile s’engage. Ceux qui se sont crus au-dessus de la loi pendant trop années n’abandonneront pas facilement. Ils ont investi des millions pour me discréditer, pour me faire suivre et me criminaliser, en essayant de m’ôter de la vie publique (et pas seulement)", a-t-il dit.
Le redouté Marian Kocner, soupçonné d’être le commanditaire de l’assassinat du journaliste Jan Kuciak en février 2018, l’a fait surveiller comme il l’a fait avec beaucoup de ses adversaires, journalistes et hommes de loi. Il a même inscrit son nom sur une death list, aux côtés de deux procureurs. "J’ai une longue histoire avec M. Kocner… J’ai représenté la plupart des affaires contre lui. Quand j’étais ministre de l’Intérieur, nous avons enquêté sur du blanchiment d’argent à Malte. Je pense qu’il n’a pas oublié", nous disait Lipsic lors d’une rencontre en septembre 2019.
Un procureur critiqué par des ONG
Les deux hommes se sont tenus face à face pendant de longues semaines l’an dernier lors du "procès du siècle" jugeant les assassins présumés du journaliste : l’avocat Lipsic aux côtés de la famille Kuciak, Marian Kocner sur le banc des accusés. Ce dernier a été acquitté à la surprise générale en septembre 2020, mais il y aura un nouveau procès. Quoi qu’il en soit, Kocner n’est pas près de sortir de prison, arrêté en juin 2019 dans une affaire de gros sous, il a écopé de dix-neuf ans de prison le 12 janvier.
La nomination de Daniel Lipsic à la tête du Bureau du procureur spécial ne fait pas l’unanimité. Une ONG locale et Transparency International ont jugé problématique sa proximité avec l’actuel chef du gouvernement, Igor Matovic, dont il a été député jusqu’il y a quatre ans. "Son élection peut compromettre la perception de l’impartialité du parquet au-delà d’un niveau tolérable", ont-elles estimé. Quant aux anciens dirigeants tombés avec l’affaire Kuciak au printemps 2018, ils dénoncent une nomination politique destinée à intensifier les "purges politiques" dont ils se disent victimes. Il est vrai que Daniel Lipsic n’aurait pas eu le droit de candidater sans un amendement, jugé sur-mesure par l’opposition, permettant à un non-procureur d’occuper le poste.
Le nouveau procureur spécial sait qu’il aura du boulot. En début d’année, une journaliste d’enquêtes du journal Dennik N, Monika Todova, en pointe sur des scandales de corruption, a fait l’objet d’une inquiétante surveillance. Des hommes ont stationné plusieurs jours devant le chalet dans les montagnes des Tatras où elle passait ses vacances…