Lutte contre la pauvreté et les inégalités : l'Europe sociale au coeur du sommet européen de Porto
Les dirigeants de l’UE se réunissent à Porto, au Portugal, pour un sommet axé sur le volet social de la construction européenne. La lutte contre les inégalités constitue toujours un défi majeur. D’autant plus à l’heure de la pandémie de Covid-19.
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- Publié le 06-05-2021 à 21h22
- Mis à jour le 10-05-2021 à 19h11
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Alors qu’elle constitue l’une des premières puissances économiques du monde, l’Union européenne peine à lutter efficacement contre la pauvreté de ses citoyens. Face à ce constat, et à celui des conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19, dirigeants européens, représentants des institutions de l’UE et partenaires sociaux sont invités à Porto, vendredi et samedi, pour tenter d’étoffer et concrétiser à terme l’Europe sociale, parent pauvre de la construction européenne. Annoncé de longue date, ce sommet doit constituer le point d’orgue de la présidence du Conseil de l’UE assumée jusqu’en juin par le Portugal, un pays qui est gouverné depuis 2015 par le Parti socialiste et qui a subi de plein fouet les effets de la crise de la zone euro.
"Notre objectif est d’apporter une réponse aux attentes des citoyens, en renforçant leur confiance dans la transition verte et numérique en tant que générateurs de sociétés plus justes. Des sociétés qui ne laissent personne de côté", a déclaré le Premier ministre portugais Antonio Costa. Dans les faits, un Européen sur cinq (21,1 %) est "laissé de côté". En 2019, 92,4 millions des habitants de l’UE étaient menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale.
Un indicateur qui mesure plutôt l’inégalité des revenus
Cela concerne les personnes qui font face à une privation matérielle grave (impossibilité de payer le loyer, de chauffer le domicile, d’acheter une machine à laver, etc.) ou qui vivent dans des ménages à faible intensité de travail. L’indicateur dominant est cependant le risque de pauvreté, qui est acté à partir du moment où le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian national. "C’est un indicateur trompeur. Il ne mesure pas la pauvreté en tant que telle - dans le sens où un Luxembourgeois ‘menacé de pauvreté’ peut avoir un meilleur niveau de vie qu’un Bulgare dont le salaire n’est que supérieur au revenu médian de son pays. Mais l’inégalité des revenus. Et tant que celle-ci ne baissera pas, le risque de pauvreté tel qu’il est mesuré ne baissera pas", prédit Zsolt Darvas, du think tank Bruegel.
Or, les "inégalités sociales augmentent depuis une quinzaine d’années : les pauvres développent leur pauvreté et les riches augmentent leur richesse", observe Denis Stokkink, président du centre de réflexion et d’action Pour la solidarité. Résultat : l’année dernière, l’UE a échoué à atteindre l’objectif, fixé il y a une décennie, de réduire de 20 millions le nombre de personnes en situation de pauvreté à l’horizon 2020. Le sommet social de Porto devrait donc confirmer un nouvel objectif : faire en sorte que d’ici 2030, on réduise le nombre de citoyens menacés de pauvreté d’au moins 15 millions (dont 5 millions d’enfants).
Débat sur le salaire minimum
L’un des principaux points de discussion sera la proposition de la Commission sur la mise en place de "salaires minimaux adéquats dans l’UE". Assurer des revenus corrects à tous les Européens pourrait en principe permettre de lutter autant contre la pauvreté que contre l’inégalité de revenus. Mais un accord entre les Vingt-sept à ce sujet est loin d’être acquis, même si Nicolas Schmidt, commissaire européen en charge des Droits sociaux, ambitionne d’y parvenir en juin. En cause : les différences entre les systèmes sociaux européens. L’Autriche, l’Italie, le Danemark, la Finlande, la Suède et Chypre ne possèdent pas de salaire minimum. Dans d’autres États, celui-ci est fixé par des conventions collectives.
"Il y a une forme de nationalisme sur les politiques de lutte contre la pauvreté, qui demeurent une prérogative des États membres", note le sociologue Julien Damon, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors. Or, rappelle M. Stokkink, "dans un marché unique, les États membres et tous les acteurs économiques se tiennent les uns les autres. Il y a de la logique économique mais aussi éthique dans la convergence" des politiques sociales.
Des signes de progrès au niveau de l’UE
Les progrès dans la construction de l’Europe sociale et donc dans la lutte contre la pauvreté au niveau de l’UE sont lents. Mais ils existent. En 2017, les dirigeants européens, réunis à Göteborg, ont adopté le socle européen des droits sociaux, composé de vingt principes (égalité des chances, emplois stables, protection sociale, accès aux soins de santé, etc.) pour guider les politiques européennes et nationales. La dernière fois qu’ils avaient consacré leur discussion aux questions sociales remontait alors à… 1997. Quatre ans ne sont pas passés depuis le sommet de Göteborg que les Vingt-sept se retrouvent à nouveau à discuter de ce sujet.
Cette fois dans un contexte inédit : celui de la plus grande crise économique depuis la Seconde Guerre mondiale. Le rapport du European Anti-Poverty Network (EAPN) parle d’un "tsunami susceptible d’augmenter massivement la pauvreté" (+4,8 %, soit au total 125 à 130 millions de personnes). "On ne connaît pas encore l’ampleur des conséquences économiques de la pandémie, mais elles seront massives", assure Helder Ferreira, directeur du EAPN, qui appelle à assurer la cohérence de la réponse européenne à cette crise. Cela implique de garantir l’accès à de l’énergie renouvelable, mais aussi de la proposer à des prix raisonnables. Ou encore de prendre conscience du fait que, à l’heure où l’Europe affiche son ambition de réussir la transformation digitale, certains de ses citoyens ne peuvent pas s’offrir un ordinateur.
Une remise en cause du modèle social ?
L’Union s’apprête à injecter un montant inédit dans les économies des Vingt-sept, soit 750 milliards d’euros de plan de relance, en plus du budget européen 2021-2027 de 1100 milliards d’euros. Mais s’il salue ces investissements, M. Stokkink estime que c’est le modèle économique libéral européen qu’il urge de repenser. "On prend le problème dans le mauvais sens et c’est bien ça la cause de la pauvreté en Europe. On se dit que plus les riches seront riches plus il y aura des ‘gouttelettes’ pour les pauvres. Alors qu’à l’inverse, plus on donnera des moyens de consommation aux plus pauvres, plus la croissance sera forte pour tout le monde".
À ce titre, le président américain Joe Biden a déclaré la semaine dernière que "la théorie du ruissellement n’a jamais fonctionné", en annonçant vouloir taxer davantage les très riches. Un constat qui n’a pas (encore ?) fait son chemin dans l’esprit des dirigeants de l’UE. Cela dit, assure M. Ferreira, "s’attaquer aux questions sociales les plus importantes, liées à la lutte contre la pauvreté, nous amènera tôt ou tard à nous interroger sur notre modèle économique et fiscal".