Avec sa loi homophobe, "la Hongrie n’a plus rien à faire dans l’Union européenne"
Plusieurs leaders des Vingt-sept ont fait part de leur indignation à Viktor Orban lors de la réunion du Conseil européen.
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Publié le 24-06-2021 à 22h01 - Mis à jour le 25-06-2021 à 16h50
La Hongrie n’a plus rien à faire dans l’Union européenne", a constaté Mark Rutte, Premier ministre néerlandais, lors de son arrivée au sommet européen qui se tenait à Bruxelles jeudi et vendredi. Réagissant à la nouvelle loi hongroise, qui discrimine la communauté LGBTIQ + et l’assimile aux pédophiles, M. Rutte s’est démarqué par ce message particulièrement sévère lancé aux ultraconservateurs du Fidesz, au pouvoir à Budapest. Les autres dirigeants européens n’ont pas été en reste, faisant part de leur indignation face à cette loi et indiquant de la sorte, comme jamais auparavant, au Premier ministre hongrois Orban qu’il était allé trop loin.
"Quittez l'UE, si les règles ne vous conviennent pas"
"Les valeurs sont au cœur du projet européen", a rappelé Charles Michel, président du Conseil européen, qui a ajouté ce sujet à l’agenda des discussions des Vingt-sept ce jeudi. "La discussion sera franche et ferme" avec Viktor Orban, dont la loi discriminant les homosexuels "ne me paraît pas conforme à ce qu’est l’Europe", avait prévenu le président français, Emmanuel Macron, avant la réunion des 27 chefs d’État et de gouvernement européens.
Le débat aura été effectivement intense, et par moment émotionnel. "Beaucoup ont dit à Orban que ce qu’il fait est en dehors des clous. Certains l'ont dit plus doucement, d'autres plus durement", explique une source proche des discussions. Mark Rutte a carrément invité le Hongrois à activer l’Article 50 du traité sur l’UE, afin de quitter le club européen si les règles ne lui conviennent pas. Le Premier ministre portugais Antonio Costa a expliqué à M. Orban que "l'UE n'est pas un empire en devenir comme l'URSS. "Vous avez volontairement décidé de rejoindre le club, nous étions heureux que vous souhaitiez le faire. Mais si vous en faites partie, vous devez en respecter les règles et les valeurs."
La chancelière allemande Angela Merkel a pris à partie le Premier ministre hongrois en lui reprochant "de mélanger homosexualité et pédophilie".
Le Premier ministre belge luxembourgeois Xavier Bettel, ouvertement homosexuel, a tenu un discours très personnel, ont confirmé plusieurs sources diplomatiques. "Je ne suis pas devenu homosexuel. Je le suis, ce n'est pas un choix", a-t-il rappelé. "Il y a beaucoup de jeunes LGBTIQ qui se suicident. C'est terrible", a-t-il insisté. "Ceci [cette législation] est stigmatisant", a pointé M. Bettel. "Je te respecte", a-t-il assuré à Viktor Orban, "mais ceci est une ligne rouge. Il s'agit de droits fondamentaux. Il s'agit du droit d'être différent".
L’enjeu était de crever l’abcès - "l’idée est que les leaders européens se parlent les uns aux autres, plutôt que les uns sur les autres", expliquait une source européenne mercredi. Mais le débat de jeudi soir ne clôt pas le débat.
L’affaire a pris une telle ampleur qu’elle a poussé 17 États membres, dont la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, à interpeller dans une lettre les institutions européennes et le secrétaire général de l’Onu Antonio Guterres - hôte de la première partie du sommet - sur la nécessité de lutter contre les disciminations dont sont victimes les membres de la communuauté LGBTQI+ et de faire respecter les droits fondamentaux ainsi que les valeurs de l’Union que sont le respect et la tolérance. Si le texte ne cite pas explicitement la Hongrie, il fait office de piqûre de rappel pour le gouvernement hongrois.
Le malaise est général. En réalité, seuls le Polonais Mateusz Morawiecki et, dans une moindre mesure, le Slovène Janez Jansa - dont le pays s'apprête à prendre la présidence de l'UE le 1er juillet - sont intervenus pour prendre la défense de Viktor Orban, qui tentait tant bien que mal de noyer le poisson. La chancelière allemande Angela Merkel a qualifié le débat de "très très honnête". Un euphémisme pour expliquer combien la discussion a été vive.
"Orban ne s'attendait certainement pas à passer une telle soirée. C'était la première fois qu'un leader était pris ainsi à partie par quasiment tous les autres. Ce n'était pas une discussion diplomatique. C'était frontal", glisse un insider. Qui constate que la majorité des membres du Conseil européen a envoyé un message fort au Premier ministre hongrois, mais aussi, indirectement, aux autres chefs de gouvernement qui malmènent l'état de droit et les valeurs européennes. "Je pense que c'était un moment décisif, mais il faudra attendre quelques mois avant d'en avoir confirmation" .

La polémique a mis du temps à émerger
Cette forte réaction politique européenne peut paraître tardive, tant les observateurs et les ONG alertent sur la dégradation de l’état de droit, de la démocratie et du respect des principes fondamentaux en Hongrie depuis dix ans, soit depuis que M. Orban s’est installé au pouvoir. Il semblerait néanmoins que la législation homophobe et ses répercussions inattendues sur la couverture médiatique de l’Euro de football aient agi comme un catalyseur pour les autres États membres, qui ont encaissé de multiples provocations de la part de M. Orban.
La loi en question, qui interdit la "promotion" de l’homosexualité auprès des mineurs, a été adoptée par le Parlement hongrois dans le cadre d’un arsenal pour lutter contre la pédophilie, le 15 juin. Mais c’est la décision de l’UEFA de ne pas autoriser à la Ville de Munich de parer le stade de football des couleurs de l’arc-en-ciel (symbole de la communauté LGBTQI+) pour la rencontre Allemagne - Hongrie le 23 juin qui a mis le feu aux poudres. S'ajoute à cela le fait que juin est le mois de la fierté LGBTQI +, en référence à la révolte face à la descente de police au Stonewall Inn, un bar gay de New York, le 28 juin 1969, qui marqua un tournant pour la défense des droits de cette communauté.
Toutes les conditions étaient réunies pour encourager plusieurs dirigeants européens à hausser le ton. "L’Europe est une communauté forgée autour de règles. Percevoir l’Europe comme une manne financière mais en refuser les valeurs n’est pas acceptable", avait tonné le Premier ministre belge Alexander De Croo, dont le pays a été à l’initiative d’une autre déclaration commune de 17 pays, publiée plus tôt cette semaine, pour condamner la législation hongroise et demander à la Commission de porter l’affaire devant la Cour de justice de l’UE (CJUE). Le Belge arborait d’ailleurs un pin’s aux couleurs de l’arc-en-ciel. Tout comme le Premier ministre portugais, Antonio Costa, même si celui-ci n'a pas signé la lettre, estimant que son pays est tenu à une certaine neutralité tant qu'il exerce la présidence du Conseil de l'UE.
Quelles actions concrètes ?
Il restera à savoir si ces déclarations politiques se traduiront aussi par des actions concrètes des États membres pour défendre tant les valeurs de l’UE que les fonds européens face aux abus en Hongrie. Mardi, les ministres des Affaires européennes ont fait le point sur la procédure lancée contre la Hongrie en 2018 dans le cadre de l’article 7 du traité sur l’UE, prévu en cas "de risque clair de violation grave" des valeurs européennes. L’on n’a cependant pas décelé la moindre tentative de faire avancer cette procédure.
Par ailleurs, à la différence du Parlement européen, aucun leader n’a exhorté la Commission à user du nouveau mécanisme permettant de suspendre le versement de fonds européens à un pays où ils seraient exposés à des abus, sans attendre, comme ils lui avaient demandé en décembre, la décision de la CJUE saisie par la Hongrie et la Pologne à ce sujet.
Néanmoins, lors de la discussion, certains leaders, dont Mark Rutte, toujours lui, et le Suédois Stefan Löfven ont clairement établi un lien entre les fonds européens, dont la Hongrie bénéficie largement - ils représentent 5% de son produit national brut - et le respect des principes et valeurs européennes.
Quant aux propos de Mark Rutte, le fait est qu’il n’existe pas de procédure pour exclure un pays de l’UE. "Nous ne pouvons pas dire : vous devez sortir", a-t-il avoué, soulignant toutefois que cela pouvait être "fait étape par étape"...
La place de la Hongrie dans l'Union "est une question sur laquelle j'espère qu'Orban va réfléchir avant de dormir", complète une des sources proches des discussions. "Il y a 10 millions de personnes en Hongrie, et je suis convaincue qu'il y a 10 millions de raisons pour que la Hongrie reste dans l'Union européenne", a conclu la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen vendredi, lors de la conférence de presse finale du sommet.