La Hongrie veut exporter sa propagande dans les médias européens : quand le gouvernement tente de faire de la pub dans les pages de La Libre
- Publié le 24-06-2021 à 22h00
- Mis à jour le 25-06-2021 à 11h16
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La controverse provoquée par l’adoption par le Parlement hongrois, la semaine dernière, d’une loi discriminatoire et stigmatisante envers les communautés homosexuelles n’a pas contribué à améliorer l’image de la Hongrie en dehors de ses frontières. Le pouvoir hongrois, en règle générale, n’a en effet pas bonne presse dans les médias des États membres de l’ouest, du nord et du sud de l’Europe.
Ceux-ci, estime-t-on à Budapest, caricaturent les décisions et positions du gouvernement hongrois qui se présente comme le rempart des valeurs européennes traditionnelles contre les méfaits présumés de "l’idéologie de la gauche libérale". Il est ainsi déjà arrivé que les représentants de la Hongrie à Bruxelles, mécontent d’un papier publié dans La Libre Belgique, proposent “d’expliquer” à la rédaction ce qu’elle avait mal compris.
Le gouvernement hongrois a opté pour une approche plus directe. Afin de faire passer son message à l’étranger sans filtre journalistique, il a pris contact avec les régies publicitaires de plusieurs médias européens, dont celle du groupe IPM, éditeur de La Libre, pour diffuser une pleine page exposant sa vision de l’Europe. Vous ne la trouverez pas dans votre journal, en raison des grandes libertés que le document prend avec les faits.

Une "vision de l'avenir de l'Europe" qui torpille le projet d'intégration politique
Composée de sept courts points, cette publicité, qui existe en version polonaise, française, espagnole, anglaise et allemande, se présente comme une contribution de la Hongrie au débat sur le futur de l'Union, dont débattra, jusqu’en 2022, la Conférence sur l'avenir de l'Europe, rassemblant politiques européens, nationaux et citoyens.
Le premier point du texte signé par Viktor Orban agite un fantasme éculé : s’édifierait à Bruxelles sans l’aval de quiconque, “un super-État”. La Hongrie s’oppose à l’avènement de cet “empire européen” (processus qui n'existe que dans le domaine de l'imagination).
L’intégration européenne n’“est qu’un moyen, pas une fin”, insiste le gouvernement hongrois, qui exige l’abandon de l’objectif “d’une Union sans cesse plus étroite entre les peuples d’Europe”, fixé par les traités fondateurs européens.
Car, précise le texte, “ce sont les succès économiques communs qui font la force de l’intégration européenne”. Une affirmation a priori assez consensuelle si ce n’est qu’elle sous-entend que l’Union n’a pas de réelle valeur politique ajoutée. Si ce n’est pour protéger les citoyens des “défis dangereux” de la prochaine décennie que sont “l’immigration des masses”, traditionnel épouvantail agité par Budapest, et “les pandémies”.
Par ailleurs, le gouvernement hongrois réclame que la Serbie adhère l'Union européenne, mais ne cite pas les autres candidats des pays des Balkans que sont le Monténégro, la Macédoine du Nord et l'Albanie.
La publicité éreinte deux des bêtes noires de Budapest. D’abord “les ONG” honnies, qui n'ont de cesse de pointer les dérives autocratiques du pouvoir hongrois et qui, selon Viktor Orban, tentent de se substituer “aux dirigeants élus”.
Ensuite, pour “restaurer la démocratie européenne”, le document propose de “renforcer le pouvoir des parlements nationaux” au détriment du Parlement européen qui “représente exclusivement ses propres intérêts idéologiques et institutionnels”. Cette attaque contre le Parlement européen n'est pas étonnante. Viktor Orban a toujours considéré avec méfiance cette institution qui négocie avec les États membres l'adoption des législations européennes, dans quasi tous les domaines politiques européens, et qui n'a de cesse de rappeler son pays ses obligations démocratiques. De plus, le Fidesz a perdu beaucoup d’influence dans l’hémicycle, après son exclusion des rangs du puissant Parti populaire européen, la famille des partis de droite et de centre-droit. Enfin, Viktor Orban garde rancune aux députés européens, auxquels il ne pardonne pas d’avoir déclenché en septembre 2018, la procédure de l’article 7 du traité sur l'UE contre la Hongrie, en raison du risque qu’y soient bafouées les valeurs de l’Union.
La démarche du gouvernement hongrois de s'adresser directement aux citoyens d'un ou plusieurs autres États membres n'est pas tout à fait inédite. En 2016, il s'était offert une page de publicité politique dans les journaux britanniques, pour appeler à voter contre le Brexit lors du référendum. Le résultat n'avait pas été celui attendu.