Loi homophobe en Hongrie : la provocation de Viktor Orban vise à diviser l'opposition
Une loi floue, adoptée la semaine dernière, fait l'amalgame entre homosexualité et pédophilie en Hongrie. Quel profit espère en tirer le parti national-conservateur ?
Publié le 24-06-2021 à 21h39 - Mis à jour le 25-06-2021 à 12h08
Et si l’un de vos enfants vous apprenait qu’il est gay, M. Orban ?" Cette question, c’est le magazine allemand de centre gauche Der Stern qui l’avait posée au dirigeant le plus controversé d’Europe, au début de l’année, alors qu’il venait de traumatiser les personnes transgenres en les privant de la possibilité de changer la mention de leur sexe sur leurs documents d’identité, et de priver les couples homosexuels du droit à l’adoption. "Eh bien", avait répondu celui qui se trouve aujourd’hui au cœur d’une nouvelle tempête politique, "ce serait une grande épreuve, que Dieu nous a épargnée jusqu’à présent. Bien sûr, ma femme et moi aimerions toujours nos enfants, indépendamment de leurs inclinations." Son épouse, la juriste Aniko Levai, que l’on avait vue distribuer des colis humanitaires pour les enfants migrants à l’été 2015 avec une association œcuménique, ne l’aurait sans doute pas démenti si elle en avait eu l’occasion.
Mais, de fait, si Gaspar, leur fils aîné de 29 ans, ou l’une de leurs quatre filles, était homosexuel, il lui faudrait quitter la Hongrie pour avoir le droit de se marier et d’adopter, puisque la Constitution rédigée exclusivement par le Fidesz et son allié, le KDNP - et notamment par Jozsef Szajer, l’eurodéputé pris en flagrant délit dans une partouze gay illégale à Bruxelles - dit que la famille est "fondée sur le mariage et la relation parent-enfant" et précise que "la mère est une femme, le père est un homme". Pire encore, il ou elle aurait à porter le stigmate causé par une loi floue adoptée la semaine dernière, qui amalgame homosexualité et pédophilie. Axée sur le durcissement des peines à l’encontre des pédocriminels, elle défend aussi, dans des paragraphes ajoutés à la hâte, d’"afficher" et de "promouvoir" l’homosexualité et la transidentité auprès des jeunes de moins de 18 ans, particulièrement à l’école.
Quel profit espère tirer le parti national-conservateur d’une loi qui, de l’analyse du média indépendant Tele x, "contient des déclarations fortes sur le plan rhétorique, mais n’aura guère de conséquences concrètes" ? L’objectif est avant tout d’affaiblir le bloc d’opposition en enfonçant un coin entre les partis de gauche et leur allié de droite (Jobbik), de monopoliser le débat public et de maintenir sous tension son électorat en le mobilisant face aux "attaques" internationales que les médias du pouvoir montent en épingle.
Budapest ne bouge pas d’un iota
Face aux salves de critiques qui pleuvent de toute part, des instances européennes comme d’une large partie des États membres, les autorités hongroises ne reconnaissent aucune erreur, aucun amalgame. "Cette loi de protection de l’enfance n’exerce aucune forme de discrimination, elle est conforme au droit de l’UE et est basée sur les règles de la Charte des droits fondamentaux de l’UE", a affirmé le président de la République Janos Ader, qui a promulgué le texte mercredi. C’est l’argument massue du Fidesz : l’éducation des enfants à la sexualité doit être un "droit exclusif" des parents.
C’est d’ailleurs ce qu’a répété Viktor Orban jeudi à Bruxelles, à son arrivée à la réunion du Conseil européen, au cours duquel les Vingt-sept devaient débattre de façon informelle de la loi hongroise. Pour se défendre, le Premier ministre hongrois convoque son passé : "J’ai combattu pour la liberté sous le régime communiste, quand l’homosexualité était punie. Je me suis aussi battu pour la liberté et les droits des homosexuels sous le régime communiste." À l’agence de presse allemande DPA, il a assuré que "la Hongrie occupe une place au centre d’une Union européenne ouverte et tolérante".
Critiqué par Berlin, le seul acteur géopolitique en Europe qui compte réellement à ses yeux, et même par les conservateurs allemands, ses alliés traditionnels, Viktor Orban a renoncé à se rendre à Munich mercredi. Ce grand fan de foot n’a pas pu assister au match somptueux de l’équipe magyare, passée à deux doigts de sortir l’Allemagne du championnat d’Europe de foot, peut-être même aux côtés d’Angela Merkel. Il n’a donc pas vu les drapeaux arc-en-ciel dans la foule et un militant de la cause gay descendre sur la pelouse pendant l’hymne hongrois, ni les percées du Franco-Hongrois noir de peau Loïc Nego, ni les parades du gardien Péter Gulacsi, partisan déclaré du droit à l’adoption pour les couples homos, dont le stade Puskas de Budapest avait scandé le nom quelques jours plus tôt.
Au lieu de cela, il a passé la soirée en tête-à-tête avec Giorgia Meloni, leader du parti post-fasciste Fratelli d'Italia, figure montante de l'extrême droite italienne…