Un accord gazier russo-hongrois provoque la colère de Kiev : "Nous y répondrons en conséquence"
Budapest va importer le gaz naturel russe sans transiter par l’Ukraine, ce qui exaspère le gouvernement de celle-ci.
Publié le 03-10-2021 à 17h55 - Mis à jour le 03-10-2021 à 17h56
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L'affaire, négociée depuis 2018, a été conclue lundi dernier à Budapest. D'un côté de la table, le géant russe de l'énergie Gazprom, de l'autre, la compagnie publique hongroise MVM CEEnergy, et, au centre, un contrat d'approvisionnement de gaz naturel russe à la Hongrie pour quinze ans, révisable après dix. "Le prix est beaucoup plus avantageux que ce que la Hongrie a payé sur la base du contrat expirant conclu en 1995", s'est félicité le ministre hongrois des Affaires étrangères, Peter Szijjarto. "Les consommateurs hongrois continueront de payer un des prix du gaz les plus bas en Europe." Voilà une bonne nouvelle pour le gouvernement de Viktor Orban, en campagne pour remporter un quatrième mandat d'affilée en avril 2022.
En vertu de cet accord, Gazprom va livrer chaque année, à compter du 1er octobre, 4,5 milliards de mètres cubes de gaz à la Hongrie : 1 milliard via l’Autriche, mais surtout 3,5 milliards via le gazoduc "TurkStream" qui traverse la mer Noire et se prolonge dans les Balkans en Bulgarie et en Serbie. Ce qui fait les affaires de la Hongrie - ou, tout au moins, de son gouvernement - ne fait pas celles de l’Ukraine, pays par lequel transitait le gaz russe vers l’Europe centrale. Kiev va subir un manque à gagner représentant des millions ou des dizaines de millions de dollars de droits de transit, et enregistrer une nouvelle perte de poids géostratégique.
Kiev y voit un coup de couteau dans l'accord ukraino-hongrois de bon voisinage signé il y a trente ans. "La Hongrie, qui est membre de l'UE et de l'Otan, mais qui a en même temps une relation spéciale avec la Russie, a porté un coup dur aux relations ukraino-hongroises et nous y répondrons en conséquence", a prévenu le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, sur la chaîne de télévision ICTV. La partie ukrainienne a annoncé saisir la Commission européenne, car elle estime que l'accord russo-hongrois menace non seulement sa sécurité énergétique, mais aussi celle de l'Union européenne.
"Une exigence russe" ?
La réponse ukrainienne a provoqué une réaction hongroise qui paraîtra volontiers disproportionnée, Peter Szijjarto évoquant "une grave violation de notre souveraineté et de nos intérêts de sécurité nationale" dès lors qu'on veut "empêcher l'approvisionnement en gaz de notre pays, le chauffage des maisons du peuple hongrois et le fonctionnement de l'industrie". Dmytro Kuleba lui a presque immédiatement rétorqué qu'"il est évident que la Hongrie aurait pu conclure un contrat tout aussi avantageux qui inclue le transit par l'Ukraine. L'exclusion de l'Ukraine était une exigence de la Russie et la Hongrie a accepté cette exigence".
Pour le journaliste Evgueni Matyuchenko cité par l'agence de presse ukrainienne, il ne fait aucun doute que la Russie est derrière la décision hongroise. Moscou a mis dans les mains de Budapest un "couteau énergétique" avec lequel il a asséné "un coup de poignard inattendu dans le dos de Kiev", estime-t-il. Selon lui, cela s'inscrit dans la "guerre du gaz" qui vise à abandonner le transit du gaz russe via l'Ukraine, dans le but de l'affaiblir sur les plans économiques et géostratégiques.
Les relations entre Budapest et Kiev s'étaient quelque peu améliorées récemment, avec l'arrivée au pouvoir en Ukraine de Volodymyr Zelensky. Mais elles restent marquées par la méfiance réciproque. Une réforme de l'enseignement ukrainien adoptée en 2017 qui impose l'usage de la langue nationale à partir de l'école élémentaire a été vécue à Budapest comme une atteinte aux droits de la minorité hongroise, qui compte quelque 150 000 personnes en Ukraine occidentale, adossée à la frontière hongroise. Jugée problématique par la Commission de Venise, qui a indiqué que " l'Ukraine devrait veiller à ce que la mise en œuvre de la loi ne compromette pas la préservation du patrimoine culturel des minorités ", son entrée en vigueur a été reportée à 2023. Mais, par mesure de rétorsion, Budapest bloque depuis tout rapprochement de l'Ukraine et de l'Otan, ce qui n'est pas fait pour déplaire à Moscou…