Un thriller politique au cinéma pour servir Viktor Orban
Un long-métrage, inspiré d’une crise politique de 2006 qui a impliqué un parti d’opposition, est à l’affiche.
- Publié le 19-11-2021 à 13h35
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Pour dénigrer sa bête noire, le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, peut aussi compter sur le cinéma. Un film à gros budget est projeté cet automne dans les cinémas de Hongrie, soutenu par une publicité à grands frais qui s’étale sur de grandes affiches auxquelles il est impossible d’échapper. Elk*rtuk (On a merdé), c’est son titre, est un long-métrage de 110 minutes, réalisé par le Britannique Keith English, que le Magyar Nemzet décrit comme "le premier thriller politique hongrois basé sur des événements réels". Ces événements, auxquels fait référence le journal porte-voix du Fidesz, remontent à septembre 2006, lorsque la radio publique avait diffusé un enregistrement clandestin qui avait fait l’effet d’une bombe et déclenché une vague de protestations de rue contre le gouvernement social-libéral de Ferenc Gyurcsany.
On entendait dans cet enregistrement Ferenc Gyurcsany, fraîchement réélu au printemps précédent, motiver ses troupes du Parti socialiste réunies à huis clos : "On a vraiment merdé […], on a menti matin, midi et soir […] pendant les deux dernières années" pour dissimuler l'état des finances du pays.
Dans le sillage de sa victoire, une sévère cure d’austérité s’était abattue sur les Hongrois, sans prévenir. Des émeutiers issus de clubs de football et d’organisations d’extrême droite avaient pris d’assaut et incendié le siège de la télévision publique situé sur la place de la Liberté.
Quelques semaines plus tard, alors que la Hongrie célébrait les 50 ans de la révolution antisoviétique de 1956, le 23 octobre, une manifestation de partisans du Fidesz était violemment réprimée par des policiers anti-émeutes.
"Nous ne l’oublierons jamais"
Quinze ans plus tard, Ferenc Gyurcsany continue de jouer sa partition, à la tête de la Coalition démocratique qu’il a fondée et qui est devenue le principal parti d’un bloc d’opposition qui menace la réélection de Viktor Orban en avril 2022.
Alors le camp du pouvoir a choisi de remuer le couteau dans la plaie de 2006. "Nous ne l'oublierons jamais !", a tonné Viktor Orban, qui a choisi de rassembler ses partisans lors de la fête nationale le 23 octobre à l'endroit même où les exactions de la police avaient été perpétrées. "Nous nous trouvons là où le sang et les larmes ont jonché les rues de Budapest il y a quinze ans. Et tout cela s'est produit le jour du cinquantième anniversaire de la Révolution de 1956, sous les yeux du monde entier."
Où étiez-vous quand la gauche avait piétiné l’état de droit ? C’est en substance le message que retourne le Fidesz à ceux qui critiquent aujourd’hui le gouvernement hongrois.
Ce n'est pas un hasard si la fondation politique du Fidesz, la Fondation pour la Hongrie civique, a choisi Bruxelles pour organiser la première internationale du film, le 9 novembre dernier. "C'est ici qu'on essaie constamment de nous donner des leçons sur l'état de droit", a expliqué le chef des eurodéputés du Fidesz, Tamas Deutsch, vilipendant "les seigneurs bruxellois, les défenseurs de l''état de droit' et les militants de la gauche européenne [qui] n'ont pas bougé le petit doigt [en 2006]".
Des accusations infondées
Le film Elk*rtuk sert aujourd'hui de boussole à la droite nationaliste, quitte à prendre pour argent comptant cette fiction.
Ainsi, les invités d'une émission de la radio publique Kossuth n'ont pas hésité à dépeindre l'eurodéputée Klara Dobrev, épouse de Ferenc Gyurcsany, en instigatrice des violences policières, comme dans le scénario du film. Attaquée en justice, la radio publique a consenti à diffuser un message d'excuse, reconnaissant que Klara Dobrev n'a joué aucun rôle en 2006, ni jamais pris la décision de "faire tirer dans les yeux d'innocents et de faire battre les gens". Une petite goutte de vérité dans un océan de propagande.