Dans la crise ukrainienne, l’Union joue sa crédibilité aux yeux du reste du monde
Cet article s'inscrit dans notre couverture spéciale "Ukraine : le spectre d'un conflit majeur".
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/78864890-ba79-405f-8d57-4f32d2b014b6.png)
- Publié le 28-01-2022 à 19h52
- Mis à jour le 29-01-2022 à 14h39
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/ZXUTMLOZAZBV3NAG7JUYU4O57U.jpg)
La crise ukrainienne représente sans doute le plus grand défi sécuritaire et géopolitique de l’Union européenne depuis la fin de la guerre froide. D’abord parce que la Russie essaie de nier son existence pour se partager directement avec les États-Unis les sphères d’influence du Vieux Continent. Ensuite, parce qu’une invasion russe de l’Ukraine provoquerait une guerre aux portes de ses États membres - Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie… - et déstabiliserait ainsi de manière inédite son voisinage. Selon la manière dont elle parviendra à s’affirmer face à Moscou, l’Union européenne joue donc sa crédibilité, aux yeux de ses partenaires et du monde, autant que sa sécurité militaire, énergétique et économique.
Les Vingt-Sept ont déjà signalé à la Russie que les conséquences d'une agression de l'Ukraine seraient "massives", se gardant toutefois de les détailler. Un plan de lourdes sanctions, notamment financières, aurait déjà été dressé depuis mi-novembre. Il pourrait être adopté "rapidement" en cas de besoin, assurent les Européens, et progressivement renforcé. "Ce plan aurait dû être prêt encore plus tôt, histoire de ne pas donner l'impression de suivre le mouvement des Américains [qui ont été les premiers à menacer Moscou de sanctions, NdlR]. D'autant que l'économie européenne est plus liée à la Russie que l'américaine", estime Sven Biscop, chercheur à l'Université de Gand et à l'Institut Egmont. En d'autres termes, l'UE payera plus cher sa fermeté à l'égard de Moscou. Des aides devront être prévues pour les États membres les plus touchés. Tandis que l'UE doit chercher in extremis des sources d'énergie alternatives, si la Russie venait à répliquer sur ce terrain (lire en page 8).
Ce paquet dissuasif européen a surtout pour objectif de ne pas être utilisé. L'UE plaide pour une solution diplomatique et tente de se faire une place à la table des discussions avec Moscou, du moins via une coopération extrêmement étroite avec Washington. "Cela ne suffit pas, il faut une négociation trilatérale entre l'UE, la Russie et les États-Unis", plaide Sven Biscop.

L’Union a défini la relation avec l’Ukraine…
Certes, comme le rappelle Steven Blockmans, du Centre for European Policy Studies, "l'UE en tant que telle n'est pas un acteur militaire" et, en ce sens, peut difficilement prétendre à peser sur les enjeux sécuritaires au même titre que l'Otan - dont font partie 21 États membres de l'UE -, même si le président français Emmanuel Macron a récemment appelé les Vingt-Sept à définir ensemble leur vision.
Reste que l'UE a joué un rôle géopolitique clé dans cette affaire. "La vraie décision stratégique sur la relation (de l'Occident) avec l'Ukraine a été prise par l'Union en 2013", rappelle M. Biscop, en référence à l'accord d'association négocié avec Kiev. C'est en partie ce qui a poussé la Russie à annexer illégalement la Crimée et provoquer la guerre dans la région du Donbass. "En 2014, l'UE a regardé le dossier ukrainien d'un point de vue technique, sans comprendre la perception géopolitique que la Russie en aurait", poursuit le chercheur.
Depuis, Kiev est qualifié de partenaire prioritaire par l'Union, qui a déboursé 17 milliards d'euros de subventions et de prêts pour soutenir la modernisation et la résilience du pays. Ces événements ont aussi obligé l'UE à redéfinir sa relation avec Moscou. Depuis 2016, elle base celle-ci sur cinq principes directeurs : 1) les Vingt-Sept exigent la mise en œuvre des accords de Minsk, destinés à mettre fin au conflit ukrainien ; 2) ils tentent de resserrer les liens avec les autres partenaires orientaux ; 3) de renforcer la résilience de l'UE face aux menaces russes ; 4) de mener un dialogue avec la Russie sur des questions internationales quand cela sert l'intérêt européen ; 5) de soutenir la société civile russe. "Mais cette crise montre que ces cinq principes ont été dépourvus de tout contenu stratégique", considère M. Blockmans.
… et doit redéfinir celle avec la Russie
Cela s'explique en partie par le fait que l'UE peine encore à se comporter comme une puissance géopolitique. De plus, la Russie n'est pas perçue de la même manière si l'on se trouve à Paris ou à Tallinn, dans un pays d'Europe occidentale ou dans un État membre jadis sous la coupe de l'URSS et désormais perçu par le Kremlin comme son arrière-cour. Si elles existent, ces différences sont souvent exagérées et exploitées par Vladimir Poutine pour diviser les Vingt-Sept. Selon M. Blockmans, "l'UE va désormais devoir réévaluer ses relations avec la Russie et déterminer elle-même où se situent ses lignes rouges. Ce qui revient à s'attaquer aussi à ses propres vulnérabilités" stratégiques, politiques et économiques vis-à-vis du grand voisin.