"Paris va quitter le Mali mais pas l’Afrique de l’Ouest"
À la veille du sommet UE-UA, la France voulait un accord sur son avenir militaire dans la région.
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Publié le 16-02-2022 à 21h44
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Depuis dix jours, la cause semble entendue. La France va quitter le Mali. Les tensions entre le gouvernement du président Emmanuel Macron et la junte du colonel malien Assimi Goïta sont devenues insupportables. Les crocs-en-jambe quasi quotidiens. "Les militaires qui ont pris le pouvoir ne supportent plus les leçons françaises", comme le dit un ministre des Affaires étrangères de la région particulièrement embarrassé par ce retrait qui signifie pour beaucoup "l'ouverture d'une autoroute pour les combattants djihadistes", selon les termes d'un diplomate européen. Et l'homme poursuit en pointant un autre risque, "ce retrait fera l'affaire des Russes et des mercenaires de Wagner".
Pas un simple déménagement
"Macron ne veut pas être embêté par la crise sahélienne durant la campagne présidentielle", expliquait le week-end dernier déjà un diplomate occidental présent dans la région. Pour un autre, "même si cette décision de retrait est prise, c'est trop tard pour la campagne présidentielle. Les images des militaires français contraints de fuir le Mali, comme les Américains ont fui l'Afghanistan, vont coller à la peau du président-candidat".
Le fait que la France installerait sa base de commandement au Niger n'y changera rien selon lui. "On est en pleine campagne présidentielle. Ce ne sont pas les faits qui comptent mais les images et les commentaires. Les adversaires du président-candidat vont pouvoir s'en donner à cœur joie. D'autant plus que ce déménagement ne se passe à Amiens ou Deauville. Déplacer cette base sur un tel terrain sera un casse-tête et s'il devait y avoir des victimes, ce serait un cauchemar pour Emmanuel Macron."

Un accord avant le grand sommet
Ce mercredi, à la veille du sommet de deux jours organisé à Bruxelles entre Union européenne et Union africaine, le président Macron a convié les responsables du G5 Sahel pour parvenir à un accord sur le redéploiement (ils ne sont en fait plus que trois : Mauritanie - Niger - Tchad, les "putschistes du Burkina Faso et du Mali" n’ayant pas été invités à Paris). Pour étoffer ce rendez-vous et montrer qu’il dispose toujours de puissants interlocuteurs dans la région, le président français a invité le nouveau président de l’Union africaine, le Sénégalais Macky Sall (qui a été choqué par la tentative de coup de force chez son voisin du sud, la Guinée-Bissau, début de ce mois) et son homologue ghanéen Nana Addo Dankwa Akufo-Addo qui a la lourde tâche de présider, lui, la Cédéao (la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). Ces deux hommes, poids lourds de l’Afrique de l’Ouest, poursuivent les négociations avec les juntes militaires burkinabée et malienne pour tenter d’amener les militaires à progresser vers des élections libres et transparentes et le retour des civils au pouvoir.
Mercredi soir, le peu qui filtrait de ces négociations montrait que Macron voulait atteindre un accord "quoi qu’il en coûte" avec ses hôtes pour pouvoir l’annoncer le plus rapidement possible et ne pas "polluer" le "grand" sommet de Bruxelles.
Pour y arriver, toutes les questions sécuritaires ne seront pas abordées. "Mieux vaut ne pas regarder sous le paillasson", raille un ministre de la région qui insiste sur le "côté complètement improvisé de cette rencontre. Tous les conseillers de l'Élysée ne sont pas derrière cette option", poursuit-il. "C'est le plan du président. Il joue sa réélection et semble convaincu que ce scénario doit lui réussir. C'est très dangereux."
"N'oubliez pas que face à lui, en France, il a des candidats qui peuvent être soutenus par des étrangers qui veulent faire mordre la poussière au jeune Macron. C'est de la fiction, mais elle tient la route et ce qui s'est passé aux quatre coins du monde doit nous inciter à regarder loin et dans toutes les directions", pour ce ministre.
"Si elle veut montrer qu'elle peut être crédible à l'avenir, il faudra mettre des moyens militaires conséquents et coûteux", explique un diplomate français à la retraite. Pour plusieurs interlocuteurs, c'est le prix à payer pour se débarrasser de ce fléau islamiste et éviter que les mercenaires russes ne puissent prendre leurs aises. La France a réussi une démonstration de force à la veille du week-end dernier sur la frontière entre le Bénin, le Niger et le Burkina Faso, pas très loin du Togo. Les militaires français ont identifié des grappes d'islamistes au Bénin (une de leurs prochaines cibles). Des drones sont intervenus avant l'engagement de Rafale. Une quarantaine de djihadistes ont été tués. La France montrait ainsi qu'elle était encore bien présente, qu'elle n'entendait pas abandonner ses alliés. "C'était nécessaire mais ils ne pourront tenir seuls. Il est crucial que l'Europe s'investisse si elle veut retrouver sa crédibilité dans la région et éviter que ce péril ne déstabilise d'autres États ou remonte une fois de plus vers le nord", conclut un ministre de la région.