En Espagne, l’extrême droite fait un bond en avant: "Vox se trouve dans un moment béni"
Le PP est aux prises avec une guerre interne, après une poussée du parti d’extrême droite Vox aux régionales.
Publié le 21-02-2022 à 12h14 - Mis à jour le 21-02-2022 à 12h15
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Parti d'extrême droite qui a tiré son épingle du jeu aux élections régionales du 13 février, Vox est aujourd'hui le principal bénéficiaire de la grave guerre interne qui a éclaté au sein du Parti populaire (PP, droite). Une véritable guerre "de tranchées", selon l'expression du grand quotidien madrilène El País, une "guerre civile" selon le quotidien conservateur ABC.
À l’origine, la présidente de la région de Madrid, Isabel Diez Ayuso, avait dénoncé des pratiques d’espionnage à son encontre, orchestrées par le secrétaire général du PP Pablo Casado et son numéro 2, Teodoro Garcia Egea, afin de ruiner son avenir politique. M. Casado avait riposté en étalant un supposé délit de corruption de Mme Ayuso. Celle-ci aurait ainsi attribué des contrats publics d’achat de masques sanitaires à une entreprise liée à son frère. M. Casado avait même précisé le montant d’une commission reçue par le frère Ayuso en tant qu’"intermédiaire" : quelque 283 000 euros.
Au terme de plusieurs jours d'affrontements, Mme Ayuso et M. Casado ont finalement enterré la hache de guerre samedi soir. Mais le scandale les a clairement fragilisés, une semaine après le choc des élections en Castille-et-Leon (dans le centre de l'Espagne). Vox y a obtenu 13 sièges, contre 1 seul auparavant. Le PP doit donc composer avec le parti d'extrême droite qui peut, pour la première fois dans l'Espagne fédéralisée, entrer dans un gouvernement régional. Le bond est considérable pour Vox, désormais troisième force aux Cortes (Parlement national).
La Libre s'est entretenue avec le politologue José Ignacio Torreblanca, professeur à l'Uned, l'université nationale d'enseignement à distance.
Le Parti populaire gouvernait cette région avec Ciudadanos (libéraux). Au travers des récentes élections, ce parti a presque disparu en Castille-et-Leon. L’Espagne est-elle condamnée à une extrême polarisation politique ?
Plusieurs études confirment que la scène politique espagnole est l’une des plus polarisées d’Europe. Mais il faut rappeler que Ciudadanos a eu un discours allant au-delà de leur idéologie centriste-libérale. Ils ont surgi en Catalogne avec un programme identitaire fort contre le nationalisme catalan. Aujourd’hui, c’est Vox, et même le PP, qui mènent cette lutte avec plus d’éclat.

En outre, tant le Premier ministre Pedro Sánchez que Pablo Casado ont gagné leurs primaires respectives en se présentant (pour Sánchez) comme la gauche du PSOE et (pour Casado) comme étant la droite-droite du PP. Les plus modérés sont toujours les vaincus.
À part certaines listes locales, il semble que le seul parti qui progresse est Vox. Est-il imparable ?
Vox se trouve dans un moment béni qui rappelle l’émergence de Podemos dans la période 2014-2016. Plus les autres les accusent d’être un parti antisystème, plus ils gagnent les voix de tous ceux qui sont en colère.
Vox ne gagne pas de votants à gauche, qui se réfugient plutôt dans l’abstention. À la place, ils récupèrent des abstentionnistes de droite ou les mécontents qui veulent faire entendre leur protestation. Les batailles culturelles de la gauche ne mobilisent plus ses sympathisants mais plutôt les partisans de Vox.
En Espagne, il y a une multiplication des forces purement provinciales. Cette fragmentation est-elle en rapport avec le conflit indépendantiste catalan ou exprime-t-elle le sentiment d’abandon de larges zones rurales ?
Nous constatons une crise du système bipartisan. Traditionnellement, le PP et le PSOE rassemblaient 85 % des suffrages combinés. Aujourd’hui, ils comptabilisent moins de 50 % des votes.
Dans un contexte de crise, les tensions identitaires surgissent partout. Même dans les grandes villes, Madrid ou Barcelone, il y a des listes de gauche très locales. Donc, ce n’est pas seulement le dépeuplement provincial qui le provoque. Notre chambre basse a la plus grande dispersion de groupes parlementaires de notre histoire. Pour l’ensemble du pays, cela représente un problème de gouvernance.