Sanctions contre la Russie : L’Europe retient ses coups, pour éviter de se faire mal
L’encre des sanctions, validées dans la nuit par les chefs d’État et de gouvernement européens, n’était pas encore sèche que les Vingt-sept cherchaient déjà vendredi à muscler davantage leur posture face à la Russie.
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- Publié le 25-02-2022 à 23h27
- Mis à jour le 26-02-2022 à 16h54
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L'encre des sanctions, validées dans la nuit par les chefs d'État et de gouvernement européens, n'était pas encore sèche que les Vingt-sept cherchaient déjà vendredi à muscler davantage leur posture face à la Russie. Réunis à Bruxelles, les ministres des Affaires étrangères ont décidé in extremis de cibler directement le président Vladimir Poutine et le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov. "Un pays indépendant a été envahi par son voisin avec de fortes capacités militaires. En réponse, le Conseil cite Vladimir Poutine et Sergueï Lavrov", a déclaré Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, avant d'évoquer les préparatifs d'une troisième salve de mesures contre Moscou. Si un léger malaise persistait la veille quant à ce geste, fort par son symbole plus que par son impact, le consensus s'est forgé face à l'horreur de la guerre en Ukraine et aux critiques de Volodymyr Zelensky sur la timidité de l'Union, qui s'est gardée de trop toucher à ses propres intérêts économiques pour sanctionner le Kremlin.
"La pression sur la Russie doit augmenter", plaidait le président ukrainien vendredi matin, après avoir fustigé dans la nuit le silence gêné des Vingt-sept face aux demandes de Kiev de rejoindre l'Otan et l'UE, ou du moins d'obtenir une perspective en ce sens. "Tout le monde a peur, ils ne répondent pas", a-t-il dénoncé jeudi soir, après son entretien avec les leaders européens. "Nous n'avons pas peur. Nous n'avons peur de rien."
1. Les avoirs du Kremlin et de l’élite russe ciblés
Ces déclarations ont sans doute mis sous pression les États membres, qui étaient déjà majoritairement favorables à l'idée de cibler Vladimir Poutine et Sergueï Lavrov. Dans les faits, "ce n'est pas très clair si Vladimir Poutine a des avoirs à l'étranger", reconnaissait jeudi un diplomate européen, qui ne se fait pas d'illusions sur le fait que le président russe a anticipé ces mesures ou dissimulé l'origine de ses propriétés. Notez que les deux hommes forts de Moscou ne seront pas interdits de se rendre dans l'UE.
Cette mesure visant M. Poutine et M. Lavrov a été intégrée au deuxième paquet de sanctions massives validé par les ministres des Affaires étrangères vendredi. Celui-ci contient également des mesures destinées à empêcher l'élite russe "de cacher son argent dans des paradis fiscaux en Europe", a expliqué la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Les nouveaux dépôts supérieurs à 100 000 euros, faits par des résidents russes dans les banques de l'UE, seront interdits. De plus, l'exemption de visa pour les détenteurs de passeports diplomatiques est annulée.
2. Restreindre l’accès de la Russie aux marchés…
L'enjeu de ce train de sanctions était surtout de limiter l'accès de la Russie aux principaux marchés de capitaux, ce qui devrait toucher "70 % du système bancaire russe", a expliqué jeudi soir Ursula von der Leyen. "Cela concerne donc les prêts, mais aussi les nouvelles obligations d'État que la banque centrale émet", explique une source européenne, soulignant qu'à l'avenir cela pèsera sur "les coûts de refinancement" du gouvernement russe. Ces sanctions visent également des entreprises d'État "clés", telles que Almaz-Antey (aérospatiale et défense), Kama (automobile), le port maritime commercial de Novorossiysk (transport maritime), Rostec (secteur militaire), Russian Railways (chemins de fer), Sevmash (construction navale)…
Dans le domaine privé, deux banques russes, Alfa Bank et Bank Otkritie, sont interdites d’emprunter ou d’acheter des titres dans l’UE. Celles-ci s’ajoutent aux trois banques ciblées plus tôt cette semaine, Rossiya, Promsvyazbank (PSB) et Vnesheconombank (VEB). L’Union européenne n’est cependant pas allée jusqu’à cesser toute correspondance bancaire avec les deux plus grandes banques du pays, Sberbank et VTB Bank, alors que les États-Unis ont bel et bien interdit à ces deux institutions l’accès direct au dollar américain.
3 ...sans trop toucher aux liens commerciaux
La question est : "Dans quelle mesure nous voulons continuer à commercer avec la Russie ?" expliquait une source européenne vendredi. Ces deux banques représentent plus de la moitié de l'ensemble du système bancaire russe en termes de valeur des actifs. "Si nous gelons leurs avoirs ou arrêtons les opérations bancaires correspondantes, cela aurait une énorme conséquence sur le commerce. Nous pouvons le faire, oui. Mais pour nous cela aurait un effet énorme", poursuit le même fonctionnaire, soulignant que les échanges entre la Russie et les États-Unis représentent environ 8 milliards d'euros par an pour les Américains contre 80 milliards pour ceux entre la Russie et l'UE.
Des restrictions aux exportations vers la Russie ont certes été introduites par les Vingt-sept. Les entreprises européennes ne pourront plus fournir des pièces de rechange et d’équipements aux compagnies aériennes russes. Cela devrait frapper, à terme, la connectivité de la Russie puisque trois quarts de ses flottes commerciales ont été construites dans l’UE, aux États-Unis et au Canada. Aussi, l’Union a renforcé les contrôles à l’exportation vers la Russie des "biens à double usage" - susceptibles d’avoir une utilisation tant civile que militaire - et des technologies cruciales pour moderniser son économie et consolider ses capacités militaires (cela concerne l’électronique, les ordinateurs, les télécommunications, les capteurs lasers…). Certaines exceptions sont prévues lorsque ces marchandises sont destinées à un usage médical ou à répondre à des catastrophes naturelles. Le risque que ces produits soient détournés par le régime de Poutine demeure.
D'autres mesures commerciales plus sévères ont été évitées. Vendredi, la Belgique et l'Italie étaient accusées d'avoir fait du lobbying pour que les mesures ne visent pas certains secteurs clés, respectivement celui du diamant et celui du luxe. Une source gouvernementale belge a fermement réfuté ces informations, obtenues notamment par La Libre, assurant que la Belgique n'avait "jamais" bloqué un tel projet. Elle n'a de fait pas eu à le faire, puisque la Commission n'a pas fait de proposition en ce sens…
4. Viser l’énergie, mais juste le pétrole raffiné
L'UE a par ailleurs bloqué l'exportation vers la Russie des technologies nécessaires à la mise aux normes des raffineries de pétrole. "Ces instruments sont construits en Europe, ils sont uniques et ne peuvent être remplacés par d'autres fournisseurs", a souligné Ursula von der Leyen. Or, l'exportation de pétrole raffiné vers l'UE a rapporté 24 milliards d'euros en 2019 à Moscou. "Cette interdiction n'aura pas de conséquences immédiates", a avoué une source européenne, mais "cela affectera fortement la compétitivité de l'industrie russe".
Reste que ces restrictions ne concernent pas le pétrole brut, ni évidemment le gaz. Et n’affectent donc pas la colonne vertébrale de l’économie russe, extrêmement dépendante des exportations de pétrole et de gaz, dont 70 % sont destinés à l’Europe. Si s’attaquer à ces secteurs causerait le plus grand dommage à l’économie russe, cette mesure serait aussi la plus douloureuse - et la moins envisageable - pour l’UE, dont la sécurité énergétique dépend toujours fortement (40 %) du pays qui a désormais lancé une guerre à ses portes.