Volodymyr Zelensky, le clown devenu chef d’une nation envahie
Ancien comédien, le chef de l’État ne s’agenouille pas devant le maître du Kremlin.
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Publié le 25-02-2022 à 23h41 - Mis à jour le 09-03-2022 à 21h34
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"Selon certaines informations, je suis la personnalité numéro un que le Kremlin souhaiterait éliminer. Ma famille figure comme numéro deux. Mais je reste dans la capitale, avec mon peuple." Les cernes noirs, la face creusée, le ton grave mais posé, vêtu d'un treillis militaire kaki, Volodymyr Zelensky s'adresse à son pays. Ce vendredi matin, les premières forces russes ont atteint les faubourgs nord de Kiev.
Il semble effacé à jamais, ce sourire insolent gravé sur son visage juvénile, quand il prenait des poses glamour sur des affiches de comédies romantiques. Celles-ci étaient alors très populaires en Ukraine mais aussi en Russie. Et même si Vladimir Poutine les a peut-être appréciées, jadis, il dénigre aujourd'hui son ennemi ukrainien comme chef d'une bande de "toxicomanes et de néonazis". L'accusation est singulière à l'encontre de cet homme de 44 ans, russophone d'origine, né d'un père juif. Mais le président russe n'en est pas à sa première distorsion de la réalité.
Faire rire pour travailler
Volodymyr Zelensky est né en 1978 à Kryviy Rih, une ville industrielle aujourd’hui dans le centre de l’Ukraine. Avec son père professeur et sa mère ingénieure, il passe quatre ans de son enfance en Mongolie. À 16 ans, il obtient la possibilité d’aller étudier en Israël, mais son père l’en empêche. Il suit une formation de droit dans l’Ukraine nouvellement indépendante. Mais devenir juriste, très peu pour lui. C’est sa participation au KVN, acronyme russe pour les "clubs des gens drôles et inventifs" de l’ère soviétique, qui lui accapare tout son temps. Il fonde avec des amis proches le "Kvartal 95 - Quartier 95", appelé à devenir le studio de divertissement le plus populaire d’Ukraine.
Le "Kvartal 95" monte, entre autres, une "Liga Smikha - Ligue du rire", un concours de sketchs qui permet à de jeunes artistes d’émerger. Volodymyr Zelenskiy en devient le parrain. Tournages de films et séries, performances comiques, festivals de cinéma, interviews "people" et vacances de luxe au soleil rythment la vie de Volodymyr Zelensky, de sa femme, Olena, et de leurs deux enfants, Oleksandra et Kyrylo.

C'est dans cette ligne droite que l'acteur obtient le premier rôle d'une série à succès, Slouga Naroda - Le Serviteur du peuple. Il y incarne Vasyl Holoborodko, un professeur d'histoire devenu président de la république par accident. Une fois à la tête de l'État, il s'affaire avec intégrité et créativité à lutter contre la corruption et l'incurie oligarchique qui paralysent l'Ukraine depuis son indépendance. Il réforme sans transiger et ne se livre à aucune compromission. Dans une scène mémorable, il se prend à rêver qu'il tire sur les députés dans l'hémicycle avec des pistolets automatiques. Bref, un président "idéal" qui plaît aux Ukrainiens.
La plaisanterie devient sérieuse
Aussi, quand Volodymyr Zelensky annonce sans prévenir sa candidature à l’élection présidentielle de 2019, les Ukrainiens lui prêtent une certaine expérience politique : celle qu’ils ont pu apprécier sur le petit écran. Les critiques fusent vite : Volodymyr Zelensky serait une "marionnette" d’oligarques, incapable de s’exprimer en ukrainien, la langue d’État, et trop inexpérimenté pour résister à Vladimir Poutine. En 2014, en pleine annexion de la Crimée et au début de la guerre du Donbass, l’acteur avait ainsi proposé à Vladimir Poutine de s’agenouiller devant lui pour le dissuader d’attaquer l’Ukraine.
En une campagne éclair faite de vidéos divertissantes, de spectacles comiques et de brèves interventions divertissantes, il balaie toutes les accusations dans un ukrainien léché. En surfant sur une puissante vague de dégagisme, il obtient 73 % des voix en avril 2019 et une majorité constitutionnelle au Parlement en juillet.
Le Président lance de suite un "régime turbo" de réformes. Mais, passé des premiers succès teintés d'amateurisme, les limites de Volodymyr Zelensky éclatent au grand jour. Lui qui a été élu sur une promesse d'une transformation tous azimuts du pays a rabaissé ses ambitions, dès 2020, pour devenir "le Président qui construira de bonnes routes en Ukraine". Et lui qui voulait être le "président de la paix", il ne parvient pas à faire avancer les négociations, face aux intransigeances de Vladimir Poutine.
Ne pas s’agenouiller
Reste que le chef de l'État ne s'agenouille pas devant le maître du Kremlin. Aux prises avec ses contradictions politiques, il garde sa constance sur la scène internationale, face à la Russie comme face à Donald Trump, qui va l'empêtrer dans un des scandales retentissants de la fin de présidence américaine. Et quand Washington multiplie les déclarations alarmistes, fin 2021, sur la menace d'une invasion russe, Volodymyr Zelensky surprend par son sang-froid. "Que devons-nous faire ? Une seule chose : rester calmes", répétait-il encore le mois dernier dans une adresse à ses 40 millions de concitoyens. "Nous célébrerons Pâques en avril. Et puis, en mai, comme d'habitude - le soleil, les vacances, les barbecues", a-t-il ajouté.
Jeudi matin, ses assurances se sont évanouies dans le fracas des bombes. Devenu le chef d'un pays envahi, il n'a cependant montré aucun signe de panique ou de fuite, appelant "ses chers Ukrainiens" à résister "pour la défense de notre terre". Ses incohérences politiques sont oubliées, comme le sont ses plaisanteries de comédien.