Quand les postures, tics et mimiques des présidents en disent aussi long que des mots
Derrière les déclarations des présidents Poutine et Zelensky, dont chaque mot est analysé, il y a le langage non verbal, ce langage du corps qui en dit long, bien souvent.
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- Publié le 10-03-2022 à 09h21
- Mis à jour le 10-03-2022 à 11h46
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Pour le décrypter, Philippe Turchet, docteur en sciences du langage et auteur du Grand Livre de la synergologie (*), part de ce qui est général pour aller au microdétail. "Le corps d'abord, les mains, qui sont très importantes, puis le visage", nous a-t-il expliqué. Que retenir des vidéos que ce spécialiste de la communication non verbale a visionnées ces derniers jours ?
1. Vladimir Poutine, "un impulsif qui se contrôle" et "se positionne comme le dictateur"
Sa position dans l’espace
"La manière dont le président russe se positionne dans une salle et la façon qu’il a de se placer loin de ses militaires rentrent dans ce qui est la communication non verbale. Dans le cadre de cette guerre, j’ai été vraiment fasciné par le moment où Poutine a expliqué, à cette très grande table, le déclenchement de l’offensive, comme s’il s’agissait d’une opération comme une autre. Il y a aussi le fait que ses généraux ne soient pas à ses côtés. De cette manière, le président russe se positionne comme le dictateur, qui apprend au monde, y compris à sa propre équipe, que c’est lui qui décide tout seul, que les décisions ne se prennent pas en collégialité. Il se met en scène comme quelqu’un de dur."
Son absence de sourire, déjà enfant
"Si on regarde les photos de Poutine enfant, on voit qu’il ne sourit jamais. Même si, culturellement, les Russes sourient moins, cela fait passer le message que, dès tout petit, affirmer cette dureté est important pour lui. Montrer qu’il ne joue pas le jeu de la complaisance. Sourire est un aveu de faiblesse.
Cette dureté est ancrée en lui, ce n’est pas travaillé. D’ailleurs, beaucoup de ses traits sont déjà présents sur les photos d’enfance. Je pense qu’il veut montrer qu’il fait régner la terreur. Ostensiblement, il cherche à faire savoir qu’on ne rigole pas avec lui. Il a une petite bouche fermée ; on voit à peine ses dents. Cela correspond à tout le personnage, qui découvre peu son visage, laissant passer un minimum de messages."
Ses yeux qui ne clignent pas complètement
"Au niveau de ses yeux, on remarque aussi que, très souvent, quand il s’adresse aux caméras, ses yeux ne clignent pas complètement. Deux fois sur trois, les paupières ne se ferment pas tout à fait. Derrière cette partie de l’œil qui continue de regarder, il y a de la vigilance, du contrôle. Quant aux sourcils, même si l’implantation est telle au départ, il les a en V. C’est ce que l’on observe dans la colère. Chez Poutine, cela se renforce lorsqu’il communique. Une fois encore pour montrer qu’il est dans la force, la dureté…"
Son visage tourné vers le bas
"On observe aussi que son visage ne monte jamais très haut, il a tendance à le baisser quand il regarde la caméra. On ne voit pas bien son cou. Cela signifie qu’il y a toute une partie de lui qu’il garde pour lui. Poutine est-il sûr de lui ? Non, je pense que c’est quelqu’un, fondamentalement, qui n’est pas sûr de lui. Il n’est pas arrogant."
Son corps sous contrôle
"Dès qu’il est assis et qu’il parle, son corps bouge vraiment très peu. Il est refermé, il n’est pas tourné vers l’extérieur. Pour moi, c’est un impulsif qui se contrôle. Quand il marche, il a la partie gauche du corps qui a tendance à rester bloquée. En revanche, quand il parle, c’est la partie droite du visage qui semble plus fermée. C’est un signe de stress."
Ses tics en situation d’interaction
"Quand il y a interaction, dès qu’il n’est pas d’accord avec les propos de son interlocuteur, le dirigeant russe a tendance à avoir des sautes d’humeur. Il va par exemple retirer son oreillette, ce que ne font pas normalement des gens qui se sont formés aux arcanes de la diplomatie. Quand il n’est pas content, il est comme un enfant. On perçoit des tensions dans la mâchoire. On sent qu’il est contrarié et qu’il aimerait bien réprimer ces mimiques, mais c’est plus fort que lui. En interaction, il se gratte beaucoup le visage, ce qui signifie qu’il réprime ses émotions."
Sa tenue vestimentaire
"Alors que Poutine est un militaire, il apparaît en costume. C’est voulu. Une façon de montrer que ce qui se passe en Ukraine n’est rien du tout, que ce n’est pas une invasion et surtout pas la guerre. Du coup, il affiche des choix vestimentaires qui sont ceux d’un homme ‘normal’. Il vit une journée comme une autre. Vis-à-vis du peuple russe, il banalise tout ça : ‘Ne vous inquiétez pas. On dénazifie et après la vie va continuer.’ Même chose avec la théière posée sur la table, comme si on passait une journée ordinaire…"
2. Volodymyr Zelensky, "un homme qui est dans l’action, sûr de lui et de sa guerre"
Sa grande faculté à communiquer
"La situation est très différente car, au départ, Zelensky est un homme de médias. C’est donc quelqu’un qui sait parler à l’autre, qui a l’habitude de la communication. C’est aussi imprimé dans son corps. Mais, aujourd’hui, il y a plus que ça. Ce n’est pas de la comédie. Il parle avec son cœur et ses tripes."
Son visage ouvert et très mobile
"Le président ukrainien dit qu’il n’a pas peur et je pense qu’on peut le croire. Pourquoi ? Parce que, quand on le regarde, on voit que tout son visage s’ouvre. Autant il y a une crispation du côté droit sur le visage de Poutine, autant chez Zelensky le visage s’ouvre et reste équilibré. Le stress n’a pas atteint son faciès. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas peur, mais cela signifie qu’il est dans l’action, sûr de lui dans la guerre. Son visage est aussi très mobile. On y voit toute la palette des émotions, il communique des messages d’ouverture. Et cela le fait passer aussi pour quelqu’un de naturellement sympathique."
Sa main gauche qui parle
"Droitier, il parle la plupart du temps et quasi exclusivement avec sa main gauche. De ce fait, il nous fait encore passer le message qu’il est dans l’action, qu’il est là. Le siège de la conscience de soi se trouve dans l’hémisphère droit et, quand on parle avec la main gauche, il y a une partie de soi qui se laisse aller avec l’autre. Lorsqu’on parle de choses qui nous touchent, on parle avec la main gauche. Tout au long de l’une de ses dernières interventions, Zelensky n’a parlé qu’avec sa main gauche. On observe aussi que ses mains partent souvent assez haut, au-dessus du visage. Une façon de montrer qu’il est le chef, qu’il est au-dessus. Il occupe beaucoup l’espace avec ses mains et avec son corps : une façon de montrer qu’on peut lui faire confiance. Qu’il est atteignable, aussi."
Son port de tête droit
"Contrairement à Poutine, le port de tête de Zelensky est très droit. Ce n’est pas quelqu’un qui se cache. On voit très bien son cou, à l’inverse du dirigeant russe, qui a tout le temps la tête dans les épaules, la tête penchée qui regarde en dessous de la ligne d’horizon. Le président ukrainien, lui, communique sans faux-fuyant, avec un visage qui va naturellement vers l’autre. Il fait ainsi passer le message inconscient qu’il communique à chacun d’entre nous, qu’il vient nous chercher."
Sa tenue militaire
"Zelensky apparaît dans des vêtements de guerre, T-shirt moulant, montrant son corps assez musclé. Sa tenue vestimentaire militaire signifie : ‘Moi, je suis en guerre et je ne suis pas à jouer la diplomatie avec les États-Unis, l’Europe…’ Il dit à son peuple : ‘Je suis au milieu de vous et je fais la guerre avec vous.’ Sa communication est clairement plus moderne."
(*) "Le Grand Livre de la synergologie", Philippe Turchet, Les Éditions de l’Homme, janvier 2022, 24,90 €.