Guerre en Ukraine: "En Europe, on est parti pour 10 ans de grande misère sociale, militaire et économique"
Ce vendredi 29 avril, dans "Il faut qu’on parle" sur DH Radio, Maxime Binet a reçu Bruno Colmant et Tanguy Struye, respectivement économiste et professeur en géopolitique à l’UCLouvain.
Publié le 29-04-2022 à 09h30 - Mis à jour le 29-04-2022 à 10h45
La capitale ukrainienne, Kiev, a été la cible de frappes jeudi soir, en pleine visite du secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres. Ce dernier a été mis en sécurité. Mais pourquoi les Russes ont-ils bombardé la ville malgré la présence de Guterres ? C'est la question posée par Maxime Binet à Tanguy Struye, professeur en géopolitique à l'UCLouvain, dans "Il faut qu'on parle" sur DH Radio.
"Ça peut être soit un signal à l’égard de l’ONU, de l’enjeu diplomatique, mais ça peut aussi être un hasard. Dans un théâtre d’opérations comme l’Ukraine, tout n’est pas régulé à l’avance. C’est donc trop tôt pour tirer des conclusions mais c’est interpellant", répond Tanguy Struye.
Et si le secrétaire général de l’ONU avait été mis en danger, le conflit aurait-il pris une autre dimension? "Il aurait pris une autre dimension, oui. Maintenant, il faut reconnaître que le rôle des Nations unies est plus que limité dans le conflit. Ça aurait plus été symbolique. Il faut évidemment prendre du recul avec les infos reçues et voir ce qu’il s’est passé", analyse le professeur en géopolitique.
Crainte sur le gaz russe
La Russie a coupé les vannes de gaz à la Pologne et à la Bulgarie. Les Européens ont-ils peur pour les autres pays de l'Union ? "Bien sûr. La Russie gagne beaucoup d'argent avec l'augmentation du prix du gaz et du pétrole. Ce qui explique pourquoi elle ne se porte pas si mal. D'autre part, les Russes vont rendre l'approvisionnement incertain", explique l'économiste Bruno Colmant. Avant de poursuivre: "Ils vont le faire osciller en fonction des amis, des ennemis. Nous allons être en situation d'hésitation permanente et donc de dépendance complète et accrue. Finalement, nous sommes les perdants de ces hésitations imposées par la Russie. Toute augmentation du prix du gaz et du pétrole, c'est du pouvoir d'achat qui part de chez nous vers la Russie."
Les Européens analysent en ce moment l’utilité d’un embargo sur le pétrole envers la Russie. Cette dernière pourrait rétorquer avec un embargo en stoppant les livraisons de gaz européennes. "On est dépendant de la Russie. En Belgique, on le sent un peu moins parce que notre gaz vient essentiellement de Norvège et des Pays-Bas, mais l’approvisionnement russe est absolument indispensable. Même le gaz liquéfié des Américains ne représente qu’un dixième de ce qu’on apporte de la Russie. Ce qui veut dire que la voie diplomatique et commerciale sera incontournable pour sortir de ce conflit", commente Bruno Colmant.
Le conflit va-t-il encore aggraver la situation économique ? L’économiste Bruno Colmant estime que l’on se trouve dans le pire scénario guerrier. "À savoir une guerre entre l’Occident et la Russie, sur le sol européen. Je crois que ce conflit s’aggrave en quelque chose d’une beaucoup plus grande envergure que ce que l’on voit maintenant en Ukraine. C’est une guerre des tranchées, comme à Verdun."
La menace nucléaire est-elle sérieuse ?
Concernant la menace nucléaire, le conflit pourrait-il également s’accentuer ? "Le conflit nucléaire, on doit l’avoir en tête depuis le 24 février", rappelle Tanguy Struye, professeur en géopolitique à l’UCLouvain. "L’évolution actuelle est dans une même logique que celle que l’on entend depuis quelques semaines. Maintenant, il y a une chose qui est assez différente : plus l’armée conventionnelle russe va encaisser des coups, plus l’option nucléaire russe devient une vraie option."
Tanguy Struye estime que les Occidentaux négligent trop le fait que, "pour les Russes, l’Ukraine est un intérêt vital, de sécurité nationale. Chez nous, ce n’est pas le cas. L’Ukraine n’est pas l’Union européenne, n’est pas l’OTAN. Si demain l’Ukraine tombe, il y aura une série de conséquences, mais on continuera à vivre notre vie. Il faut faire attention à ne pas faire de mauvais calculs par rapport aux objectifs russes. C’est là que le nucléaire peut vraiment devenir un problème", analyse-t-il.
Économiquement, peut-on se permettre une telle guerre sur le long terme, demande Maxime Binet à Bruno Colmant. "La Guerre, c’est d’abord une question d’alliance. Je vois arriver un scénario caractérisé par le fait que l’Europe sera éreintée militairement, épuisée socialement, rongée par une inflation alimentaire et énergétique. C’est un conflit qui peut durer très longtemps". Avant de poursuivre: "Je suis très inquiet du rôle des Américains dans ce conflit. Ils nous ont placés dans le pire scénario militaire, à savoir que les Russes et les Américains se font une guerre par procuration, sur le sol européen. Je crois qu’on va souffrir pendant très très longtemps et que cela va avoir des conséquences gigantesques. On est parti pour 10 ans de grande misère sociale, militaire et économique."