La Conférence sur l’avenir de l’Europe a touché les citoyens participants, pas le grand public
Le vaste exercice de démocratie délibérative lancé il y a un an touche à sa fin, avec la tenue de la dernière séance plénière, ces vendredi et samedi à Strasbourg. Réunissant citoyens, politiques, élus européens et nationaux et membre de la société civile, elle doit adopter les recommandations qui seront soumises, le 9 mai, aux présidents des institutions européennes.
Publié le 29-04-2022 à 09h31 - Mis à jour le 29-04-2022 à 11h26
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La Conférence sur l'avenir de l'Europe entre dans la dernière ligne droite. Réunissant représentants des panels citoyens nationaux et européens, des députés européens et nationaux, des États membres, de la Commission et de la société civile, la septième et dernière séance plénière se tiendra ces vendredi et samedi à Strasbourg. Elle adoptera des recommandations dans neuf domaines. Celles-ci seront présentées aux présidents des institutions européennes le 9 mai, toujours au Parlement européen, un an après le lancement de la conférence.
Chercheur en sciences politiques à l'Université libre de Bruxelles, Jessy Bailly y participe en tant qu'observateur. Au fil des plénières et des séances de travail de deux panels citoyens qu'il a suivies, il a dressé de premières conclusions sur ce vaste exercice de démocratie délibérative impliquant des citoyens issus des 27 États membres de l'Union européenne.
L’exercice, inédit, frappe par son ampleur (800 citoyens répartis en 4 panels complétés de panels nationaux). Comment a-t-elle été élaborée ?
C'est vrai qu'il s'agit d'une innovation démocratique assez sophistiquée par rapport à ce que l'on connaissait déjà. Il s'agissait de mettre en place un cadre délibératif englobant à la fois les discussions entre les citoyens au sein des panels et la manière dont ces travaux allaient être pris en compte par l'"eurocratie", regroupant les représentants des Parlement européen et nationaux, de la Commission et du Conseilainsi que des interlocuteurs issus de la société civile (Comité des régions, syndicats, patronat, etc.) Ces deux volets ont été pris en compte dès le départ et la participation citoyenne incluait une plateforme en ligne où absolument tous les Européens pouvaient en théorie participer.
Autre point positif : l'esquisse d'un espace public transnational. Grâce à un volet traduction abouti, chacun a pu s'exprimer dans sa langue et tous ont pu se comprendre, ce qui a permis de constituer un espace de prises de position correspondant non seulement aux pays d'origine mais aussi, parfois, à des groupes sociaux.
Et les points négatifs ?
Ils tenaient surtout à un sentiment d’incertitude. Les citoyens ne recevaient pas toujours les informations dans un délai raisonnable et se retrouvaient parfois un peu perdus. Les organisateurs avaient, eux, du mal à s’accorder sur la manière de gérer les débats et de sélectionner les recommandations citoyennes. Des méthodologies différentes ont émergé au sein des groupes de travail, certains sont allés plus vite que d’autres… L’harmonisation a été progressive, ce qui est sans doute inhérent au caractère inédit de l’exercice.
Des citoyens se sont aussi irrités de la désinvolture de certains politiques à leur égard…
Surtout en plénières. J’ai pu observer des prises de parole complètement déconnectées des interventions des citoyens. Face à eux, ces professionnels politiques ont trouvé des interlocuteurs qui ont progressivementappris à endosser leur rôle et qui, souvent, n’ont pas hésité à les rappeler à l’ordre.
Y a-t-il eu des défections parmi les citoyens ?
Je sais qu’il y en a eu parmi les "ambassadeurs" chargés de transmettre en plénière l’avancement des travaux de chaque panel. Il faut réaliser que l’investissement en temps et en travail a été énorme pour ces personnes sélectionnées sur base de tirage au sort en fonction de critères tels que le genre, l’âge, les catégories socio-professionnelles etc. Ces critères objectifs n’ont pas empêché un bais de sélection lié au temps disponible. Pour une personne en charge de jeunes enfants ou engagée dans un travail qui ne lui permet pas de se libérer régulièrement, il est plus compliqué de s’impliquer dans un processus si chronophage.
Quel est le sentiment des citoyens au bout d’un an d’engagement européen ?
Ils sont plutôt enchantés d’avoir participé à une innovation qui s’inscrit dans ce que j’appelle le "tournant citoyenniste" entamé par l’Union européenne après les "non" néerlandais et français au référendum sur le traité constitutionnel joint, à l’époque, à une hausse de l’abstention aux élections européennes. Avec le Brexit, la question du déficit de légitimité démocratique a été réinscrite à l’agenda européen et la Conférence est une nouvelle tentative pour y faire face. Il est regrettable de voir qu’elle a surtout concerné les citoyens engagés dans le processus sans toucher le grand public. Les gouvernements et les médias auraient pu la mettre en avant mais - hormis peut-être en Espagne, en Italie, en Belgique… - il n’y a eu que très peu de choses. Un des espaces médiatiques les plus silencieux a été la France.
Quel sort sera réservé aux recommandations des citoyens ? Et à la Conférence ? Sera-t-elle pérennisée ?
À mon sens, l'erreur a été de dire simplement aux citoyens que leur parole allait être prise en compte immédiatement à la fin de la Conférence alors que l'on connaît la temporalité plus longue des processus législatifs. Cela ne pourra que créer des frustrations. Il aurait mieux valu leur dire qu'ils allaient contribuer à définir un agenda de réformes à moyen terme.
La suite de la Conférence est d'autant plus envisageable que la demande d'une "assemblée citoyenne permanente" a été plébiscitée par les citoyens engagés dans les groupes de travail. Restera à voir comment cela prendra forme, d'autant que les représentants des institutions n'ont pas les mêmes intérêts à suivre les recommandations publiées ce vendredi.