Les Vingt-sept veulent répondre à l’impatience des pays des Balkans, enlisés sur leur chemin vers l'Union
Les pays des Balkans, en particulier la Macédoine du Nord et l’Albanie, fulminent, alors qu'ils manquent cruellement de perspectives européennes. Le débat sur la poursuite de l'élargissement de l'Union sera un des sujets phares du sommet européen jeudi et vendredi.
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Publié le 23-06-2022 à 11h17 - Mis à jour le 23-06-2022 à 22h49
L'élargissement de l'Union européenne sera un, voire le sujet phare du sommet des vingt-sept chefs d'État et de gouvernement, qui se réunissent jeudi et vendredi à Bruxelles. La question sensible n'est pas (ou plus) tant le sort de l'Ukraine : un feu vert pour lui accorder le statut de candidat à l'adhésion est presque acquis, de même que pour la Moldavie. La Georgie obtient, elle, une "perspective européenne" et devra faire ses preuves. Mais face à cette décision historique, impensable il y a peu et qui tient d'un réveil géopolitique dans le contexte de l'invasion russe de l'Ukraine, les pays des Balkans, en particulier la Macédoine du Nord et l'Albanie, fulminent, alors qu'ils sont enlisés depuis des années sur leur chemin vers l'UE. À tel point que les dirigeants albanais, macédonien et serbe menaçaient de boycotter la réunion avec les dirigeants de l'UE prévue jeudi en marge du sommet européen, avant de se résoudre à s'y rendre pour dire "ouvertement ce qu'ils ont sur le cœur", prédit une source diplomatique.
"Nous assisterons à la réunion", a annoncé mercredi le Premier ministre albanais Edi Rama, même si "on n'aura pas grand chose à entendre". Le destin européen de l'Albanie a été lié à celui de la Macédoine du Nord, elle-même confrontée au refus de la Bulgarie de valider le lancement des négociations d'adhésion (l'unanimité des Vingt-sept est requise) en raison de contentieux historiques et culturels. M. Rama a accusé Sofia de "prendre en otage" Tirana et Skopje "alors qu'il y a une guerre aux frontières de l'Europe !" La veille, le président macédonien qualifiait cette situation d'"inacceptable". Un diplomate européen admet comprendre "ces critiques, parce qu'ils ont fait les efforts demandés. Les difficultés ne viennent pas d'eux, mais de nous".
Le gouvernement bulgare tombe, tout accord est reporté
Reste qu’aucun progrès n’est envisageable dans les jours à venir, en raison de la tempête politique bulgare. Le gouvernement pro-européen de Kiril Petkov, en place depuis 6 mois à peine, est tombé mercredi après l’adoption d’une motion de censure au Parlement, en raison notamment de ses tentatives de rapprochement avec la Macédoine du Nord.
Tirana et Skopje, respectivement candidats à l'adhésion depuis 2012 et 2005, n'en finissent plus d'attendre d'entamer effectivement leur processus."La décision au sujet de l'Ukraine brise la glace du processus d'élargissement. Cela augmente la pression pour résoudre les problèmes", note cependant une source européenne. La France, qui occupe la présidence du Conseil de l'UE jusqu'au 30 juin, a tenté in extremis de mettre sur la table un nouveau cadre de négociation afin de dégager la voie pour Skopje, cas emblématique de la lenteur du processus d'adhésion auquel se greffent des tensions bilatérales. Après s'être doté d'un nouveau nom afin de lever le blocage des Grecs, le pays peine à trouver un terrain d'entente avec Sofia sur les droits la minorité bulgare en Macédoine du Nord, l'histoire ou la langue du pays, que Sofia revendique comme bulgare.
Dans la proposition françaiseque La Libre a consultée, le gouvernement de la Macédoine du Nord est prié de "porter une attention particulière" à la protection des minorités (lisez : bulgares) et d'établir un plan d'action en ce sens. Ce document pourrait passer la rampe du Parlement bulgare – l'ancien Premier ministre Borissov, à l'origine du veto, a déclaré que ses 59 députés le valideraient. La Macédoine du Nord semblait plus sceptique. "Les questions historiques ne peuvent être des critères dans le cadre des négociations", a déclaré mercredi le Premier ministre Kovachevski, exigeant aussi une "protection claire de l'identité macédonienne". Malgré ces réticences et la crise bulgare, des sources européennes imaginent qu'un accord pourra être conclu la semaine prochaine.
Les autres pays des Balkans tentent de tirer profit de la dynamique
Pendant ce temps, le Kosovo– qui n'est pas reconnu en tant qu'État par cinq états de l'UE (Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie) – espère obtenir enfin une libéralisation des visas, afin que ses citoyens puissent circuler librement dans l'UE à l'image de ceux des autres pays des Balkans. La Slovénie et l'Autriche ont aussi profité de cette dynamique pour tenter de faire avancer le cas de la Bosnie-Herzégovine, "potentiel candidat" à l'UE. D'autres États membres rechignent néanmoins à lui accorder le statut officiel. Pour cause : "On a demandé à la Bosnie de remplir 14 conditions, mais en étant généreux, on peut considérer qu'elle n'en a rempli que deux", regrette un diplomate. La réflexion est du moins lancée pour motiver Sarajevo à accélérer ses réformes.
C'est en réalité le cas de la Serbie qui est particulièrement problématique. Candidat à l'adhésion depuis 2011, Belgrade joue sur deux tableaux, soignant aussi ses relations avec la Russie, au point de refuser de suivre les sanctions européennes contre Moscou ou même de condamner sa guerre en Ukraine. Jeudi, "nous devrons être francs sur la nécessité de la Serbie de s'aligner sur nos sanctions", estime donc un diplomate européen.
L’élargissement, test de résistance
De leur côté, les Vingt-sept doivent eux-mêmes définir leur vision d’avenir de l’Union et avec qui ils envisagent de le partager. Autrement dit, un message politique clair au sujet de l’élargissement de l’UE, longtemps mis de côté faute d’appétit des États membres, s’impose. Et requiert aussi des actions concrètes. La Belgique plaide ainsi pour des initiatives de coopération avec les pays des Balkans, de sorte à leur procurer un certain sentiment d’appartenance à l’UE (échanges étudiants, suppression des frais de roaming, etc.). Aussi, l’idée du président français Emmanuel Macron de créer une Communauté européenne, sorte de forum politique qui inclut les pays du continent “partageant les mêmes valeurs”, fait doucement son chemin.
Selon un insider, "c'est un moment géopolitique pour l'Europe et l'élargissement est notre test de résistance".