Élargissement: la décision "historique" pour l’Ukraine pourrait changer aussi la face de l’Union
Les Vingt-sept ont accordé à l'Ukraine (et à la Moldavie) le statut de pays candidat à l'adhésion. Le chemin de l'Ukraine vers l'Union européenne sera long. Et l'Union elle-même devra se préparer et se réformer avant de songer à accueillir de nouveaux membres.
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- Publié le 24-06-2022 à 19h23
- Mis à jour le 24-06-2022 à 19h24
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Les dirigeants européens usent (et abusent) parfois du mot "historique" pour vanter leurs décisions. Mais celle d'accorder le statut de pays candidat à l'adhésion à l'Ukraine et à la Moldavie, en un temps record et à l'heure où la guerre est de retour sur le Vieux continent, restera bien dans les annales. "Aujourd'hui, nous voyons l'histoire s'écrire", a déclaré fièrement Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, jeudi soir, alors que les Vingt-sept venaient de suivre son conseil pour faire ce pas décisif. "C'est un moment historique", a aussi insisté Charles Michel, président du Conseil européen. Ce mot était encore sur toutes les lèvres des chefs d'État et de gouvernement des Vingt-sept vendredi, lors du deuxième jour de sommet européen. Fondamentale, impensable il y a quelques mois, ou même semaines, cette décision n'est cependant que le début d'un très long processus d'adhésion et donc de réformes de l'Ukraine. Et pourrait également changer la face de l'Union européenne.
Selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky, "c'est le point de départ d'une nouvelle histoire pour l'Europe". Dans un discours émouvant, il a remercié un par un les Vingt-sept d'avoir pris "l'une des plus importantes décisions pour l'Ukraine depuis son indépendance il y a trente ans". Sans manquer de souligner les défis colossaux – le mot est faible – auxquels son pays devra encore faire face : "Après cela, nous vaincrons l'ennemi, nous reconstruirons l'Ukraine, nous rejoindrons l'UE et nous nous reposerons après."
Le processus d’adhésion est extrêmement long et exigeant – les pays des Balkans en savent quelque chose –, mais le cas de l’Ukraine est d’autant plus complexe qu’elle semblait, il y a peu, encore loin d’être prête à s’engager sur le chemin vers l’Union et, surtout, qu’elle est en pleine guerre avec la Russie. Le 17 juin, la Commission a établi les conditions que Kiev doit remplir avant d’espérer entamer les négociations d’adhésion, moyennant le feu vert unanime des Vingt-sept. Celles-ci portent principalement sur la lutte contre la corruption et la mainmise des oligarques sur la société et sur la consolidation de l’état de droit.
La paix ne peut être une condition
Mais la fin de la guerre n'y figure pas. L'Ukraine pourrait-elle entamer ses négociations d'adhésion même si l'agression russe perdure ? "Ce qu'il faut voir, c'est l'existence de réformes, la capacité à les mener. Si on commence à poser la paix comme condition, on donne les clés [au président russe] Poutine", souligne un diplomate européen. Dans les faits, il est évident que la guerre aura du moins un impact sur les capacités de l'Ukraine de réaliser les réformes qu'exige l'adhésion à l'UE.
Les négociations d'adhésion sont divisées en 35 chapitres à ouvrir et fermer au fur et à mesure des progrès réalisés. Ils portent sur l'absorption de l'acquis communautaire, dans le domaine de la libre circulation (marchandises, personnes, services et capitaux), de l'agriculture, de l'économie, des transports, de l'énergie, de la pêche… Le pays candidat doit satisfaire à trois grands critères, dits "de Copenhague". Il doit se doter d'institutions stables garantissant la démocratie, les droits de l'homme et la protection des minorités (critère politique). Son économie de marché doit être viable et capable de faire face à la concurrence (critère économique). Last but not least, Kiev doit pouvoir assumer ses obligations de membre, donc transposer dans la législation nationale le droit européen.
Lorsque l’Ukraine aura rendu ses devoirs, et que les Vingt-sept seront d’accord sur le fait qu’elle a satisfait à toutes les exigences, la Commission rendra un avis sur l’aptitude du pays à rejoindre l’UE. Les États membres décident ensuite à l’unanimité de clore le processus de négociation. Le Parlement européen doit aussi donner son feu vert. Enfin, les États membres et le pays candidat signent et ratifient ensemble un traité d’adhésion.
L’Union doit pouvoir absorber d’autres membres
Ce processus peut prendre plusieurs années, voire décennies comme avait mis en garde le président français Emmanuel Macron. Certains Etats membres – dont les plus sceptiques à l'idée d'offrir une perspective d'adhésion – doutent que Kiev y arrive un jour. "L'Ukraine nous a surpris par la rapidité de ses réformes et sa détermination, elle peut encore nous surprendre", estimait cependant un diplomate.européen
Reste que si l’élargissement de l’Union est censé être basé sur les mérites du candidat, il dépend aussi de la capacité (et de la volonté) de l’UE à absorber des nouveaux membres. Surtout, un pays comme l’Ukraine. Avec ses 44 millions d’habitants (avant la guerre), elle serait le cinquième État le plus peuplé de l’UE après l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne. Son territoire s’étend sur plus de 600 000 km2, en faisant le deuxième plus grand pays du continent après la Russie et donc le plus grand potentiel membre de l’UE. L’Ukraine cultive à elle seule 41 millions d’hectares, ce qui équivaut à un quart de toute la surface cultivée de l’UE. Son adhésion pourrait donc déstabiliser complètement la distribution des fonds européens dédiés à l’agriculture. De même que celle des fonds de cohésion, alors que le coût de la reconstruction de l’Ukraine s’annonce pharaonique (plusieurs centaines de milliards d’euros)..
D'autres pays, comme ceux des Balkans qui sont déjà engagés depuis des années sur le chemin européen, pourraient frapper à la porte de l'Union bien avant l'Ukraine. Quel que soit le nouveau membre à intégrer, l'UE doit d'abord se réformer avant de songer à s'élargir, estiment les États membres. Elle risque, sinon, de se retrouver paralysée, la prise de décision à Vingt-sept s'avérant déjà compliquée. Le chancelier allemand Olaf Scholz a appelé vendredi à lancer le débat sur les réformes institutionnelles nécessaires, citant la fin de la règle de l'unanimité, le besoin d'assurer le respect de l'état de droit au sein de l'UE ou d'enfin limiter le nombre de commissaires européens (un par État membre). Certaines de ces réformes impliquent une modification des Traités, chantier que les Vingt-sept ne sont pas pressés d'ouvrir. Mais selon M. Scholz, "on ne doit pas repousser la prise de décisions. L'Union doit se préparer à l'élargissement."