Rapatriement de familles de djihadistes: la CEDH tranche
La Cour européenne des droits de l’homme condamne l’État pour son refus arbitraire de rapatrier les familles.
- Publié le 14-09-2022 à 22h41
- Mis à jour le 14-09-2022 à 22h45
:focal(1271x855.5:1281x845.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/JTJPIF2EIZAW7O5QHBUQ5UDPFM.jpg)
Le fait du prince n’est pas acceptable dans un État de droit, a en substance déclaré la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans un arrêt définitif où elle condamne la France pour son refus de rapatrier deux compagnes de djihadistes et leurs enfants.
Prononcé à Strasbourg mercredi en fin de matinée, cet arrêt ne réclame pas le rapatriement des personnes concernées - question politique relevant de la souveraineté des États - mais dénonce l'absence de "garanties appropriées contre l'arbitraire" qui a caractérisé la décision du gouvernement français et a privé les requérants d'éléments leur permettant de "contester utilement les motifs retenus par les autorités".
Cette douloureuse affaire a été introduite en 2019 et 2020 par deux couples de Français qui avaient demandé, en vain, le rapatriement tant de leurs filles parties en Syrie en 2014 et 2015 que de leurs trois petits-enfants : deux garçons de 3 et 5 ans ainsi qu’une fille de 8 ans.
Pris au piège de Baghooz, dernier bastion de l’État islamique en 2019, ces deux jeunes femmes et leurs enfants ont été ensuite enfermés dans le gigantesque camp d’Al-Hol au nord-est de la Syrie (60 000 détenus), puis dans celui de Roj où les prisonniers européens sont retenus sous la garde des forces kurdes qui administrent le territoire et qui, par ailleurs, exhortent les États européens à rapatrier leurs ressortissants.
Avant d'introduire leur requête à la Cour européenne des droits de l'homme, les deux couples avaient épuisé toutes les voies de recours internes et s'étaient heurtées à une fin de non-recevoir émanant tant du tribunal judiciaire de Paris que du Conseil d'État, ces deux instances refusant de se prononcer sur ce qu'ils considéraient être "une prérogative de l'exécutif" en l'occurrence une décision non étayée échappant au contrôle juridictionnel, ont estimé les juges de Strasbourg réunis en Grande Chambre, leur formation la plus solennelle.
C’est la première fois, il faut le noter, que la Cour se prononce sur des "actes de gouvernement", non pour remettre en cause leur principe mais pour réclamer leur encadrement.
L'arrêt précise donc "qu'il incombe au gouvernement français de reprendre l'examen des demandes des requérants dans les plus brefs délais" et le condamne à verser 18 000 et 13 200 euros aux deux familles pour leurs frais et dépens.
"L’intérêt supérieur" de l’enfant
Dans son arrêt, la Cour européenne des droits de l'homme se refuse à consacrer "un droit général au rapatriement" des nationaux qu'ils soient ou non liés au djihadisme, ce que réclamaient les requérants, mais elle impose à la France et à tous les États parties à la Convention européenne des droits de l'homme "d'entourer le processus de décision quant aux demandes de retour de garanties appropriées contre l'arbitraire" consistant, notamment, en l'assurance "d'un examen individuel approprié par un organe indépendant et détaché des autorités exécutives de l'État" à même de vérifier le bien-fondé de la décision.
En outre, est-il ajouté et c'est primordial, "lorsque la demande de retour est faite au nom de mineurs", il importe de vérifier "que les autorités ont effectivement pris en compte […] l'intérêt supérieur des enfants ainsi que leur particulière vulnérabilité et leurs besoins spécifiques".
"Trois ans de procédure, c'est toute une enfance derrière les barbelés", tweetait Marie Dosé, une des avocates des familles en attendant la décision des juges de Strasbourg…
Destiné à faire jurisprudence, cet arrêt va être scruté bien au-delà de la France car il concerne les centaines de ressortissants européens toujours détenus en Syrie. Sept États membres du Conseil de l’Europe sont d’ailleurs intervenus lors de l’audience en septembre 2021. Beaucoup, dont la Belgique et l’Allemagne, ont déjà rapatrié un grand nombre de leurs ressortissants.
La France appliquait, quant à elle, une doctrine très stricte du "cas par cas" qu’elle va devoir désormais assouplir ou à tout le moins encadrer juridiquement.