Ursula von der Leyen estime que l'Europe est "à la hauteur" des défis et entend qu'elle le reste
La présidente de la Commission a prononcé son discours sur l’état de l’Union mercredi au Parlement européen, à Strasbourg. Elle a mis l’accent sur la solidarité et évoqué des enjeux stratégiques.
- Publié le 14-09-2022 à 18h41
- Mis à jour le 14-09-2022 à 00h37
Dans les coulisses du Parlement européen, un vieux routier de l'institution ironisait, mercredi, sourire en coin, sur "la Commission Instagram". Depuis le début de son mandat, la présidente Ursula von der Leyen prend effectivement un soin particulier de l'image qu'elle diffuse urbi et orbi - le contraste ne pourrait être plus grand avec son prédécesseur au 13e étage du Berlaymont, Jean-Claude Juncker.
On en a eu une nouvelle illustration, ce mercredi matin, à Strasbourg, où Ursula von der Leyen était attendue pour prononcer devant les députés européens son discours sur l'état de l'Union. L'Allemande a pénétré l'hémicycle, accompagnée d'Olena Zelenka, l'épouse du président ukrainien Volodymyr Zelensky (qui sera restée muette). Puis, avant de s'installer à la tribune, elle a pris la pose pour les photographes avec les commissaires européennes, parées, comme elle, de vêtements aux couleurs jaune et bleu du drapeau ukrainien (sauf la commissaire Dalli, qui n'avait apparemment pas reçu le mémo).
La mise en scène n'était cependant pas gratuite, et visait à rappeler dans quel contexte s'inscrit l'édition 2022 du State of the Union (SOTEU). "Pour la première fois de son histoire, ce Parlement débat de l'état de notre Union alors que la guerre fait rage sur le sol européen", a souligné Ursula von der Leyen, en entamant un discours d'une heure dont la solidarité et la transformation ont été les fils conducteurs. En voici les éléments plus saillants.
1. L’Union plus que jamais aux côtés de l’Ukraine (et donc, adversaire de la Russie)
L'Ukraine est la première et principale victime de la guerre d'agression lancée sur son sol par la Russie. Ursula von der Leyen a une nouvelle fois assuré Kiev de l'"indéfectible" solidarité européenne. Elle continuera de se manifester sous la forme d'un appui militaire (de livraisons d'armes), d'un soutien financier (qui se monte, calcule-t-elle, à 19 milliards d'euros) et d'une aide à la reconstruction - des écoles, notamment - que l'Union financera à hauteur de 100 millions d'euros. La Commission veut aussi faire profiter à l'Ukraine "de la puissance [du] marché intérieur" européen, ce dont elle a annoncé vouloir discuter en détail avec le président Zelensky, à Kiev, où elle devait se rendre plus tard dans la journée.
L'onde de choc du conflit secoue l'Union et ses États membres. "Il ne s'agit pas seulement d'une guerre menée par la Russie contre l'Ukraine. Il s'agit d'une guerre contre notre sécurité énergétique, contre notre économie, contre nos valeurs et contre notre avenir. Une guerre de l'autocratie contre la démocratie". Ce conflit, une partie de l'Europe ne l'a pas vu, ou pas voulu le voir venir. Mea culpa de la présidente : "Une des leçons de cette guerre est que nous aurions dû écouter ceux qui connaissent Poutine", à l'intérieur et hors de l'Union. Les pays d'Europe centrale et orientale apprécieront.
Corollaire du soutien à l'Ukraine : la Russie est un adversaire. L'efficacité et la pertinence des sanctions européennes contre Moscou n'en sont pas moins quotidiennement remises en cause dans l'Union, entre autres par le gouvernement du Hongrois Viktor Orban. Les sanctions fonctionnent, affirme pourtant Ursula von der Leyen. "Le secteur financier de la Russie est à bout de souffle", "des milliers d'entreprises étrangères ont quitté la Russie, "l'industrie russe est lambeaux" et le "Kremlin […] a mis l'économie russe sur la voie de sa désintégration." Les sanctions "ne sont pas près d'être levées", a insisté la cheffe de l'exécutif européen qui s'est cependant bien gardée de parler de la possibilité de déclencher un nouveau round de sanctions.
2. Une action européenne pour lutter contre l'explosion des prix de l'énergie
Le déclenchement du conflit a aggravé la crise des prix de l'énergie, aujourd'hui insoutenables. C'est le principal sujet de préoccupation des citoyens, des entreprises, et des États membres de l'UE. C'est peu dire que l'action européenne sur ce terrain est attendue. Les Européens s'adaptent, a loué la présidente, citant en exemple, "les travailleurs d'usines de céramique ont décidé de décaler leur horaire de travail pour commencer tôt le matin, afin de bénéficier des prix de l'énergie plus faibles". Il n'empêche : un soutien est nécessaire.
Ursula von der Leyen a brièvement présenté les mesures que le vice-président Timmermans a détaillées plus tard dans la journée, après qu'elles ont été adoptées par le collège des commissaires (voir pp. 8-9). Le plan comprend des mesures obligatoires de réduction de 5 % de la consommation d'électricité lors des heures de pics de consommation. Il prévoit également un plafonnement des recettes des entreprises qui produisent à faible coût de l'électricité (solaire, l'éolien, l'hydroélectrique, le nucléaire…) qui "engrangent des recettes qu'elles n'avaient jamais anticipées ni même imaginées", le prix de l'électricité étant actuellement calqué sur celui du gaz. La Commission souhaite également que "les grandes entreprises pétrolières, gazières et charbonnières", qui enregistrent elles aussi d'énormes bénéfices, versent une contribution de crise. Bénéfice pour les caisses des États membres, destiné à amortir le choc économique pour les plus vulnérables : "140 milliards d'euros" ,a annoncé la présidente.
On saura vite si la promesse de l’Europe qui protège sera tenue. La réponse sera déterminante pour la santé économique de l’Union, mais aussi pour son climat politique.
On ne trouvera pas dans le paquet de la Commission la proposition d'instaurer un plafond sur le prix du gaz. La Commission définira "avec les États membres, un ensemble de mesures qui tiennent compte de la spécificité de notre relation avec les fournisseurs - qu'il s'agisse de fournisseurs non fiables tels que la Russie ou d'amis dignes de confiance tels que la Norvège." Plus vite dit que fait tant les Vingt-sept sont divisés sur le sujet.
Enfin, Ursula von der Leyen a dit l'intention de la Commission de travailler à un découplage des "prix de l'électricité de l'influence dominante du gaz" et d'"entreprendre une réforme complète et en profondeur du marché de l'électricité", sans doute au début de l'an prochain.
3. Demandez le programme : hydrogène, réforme des règles budgétaires, accès aux matières premières…
Le discours sur l'état de l'Union tient aussi lieu de programme, trace des voies que la Commission voudrait que l'Europe emprunte et permet de lancer des ballons d'essai. Ainsi Ursula von der Leyen a-t-elle présenté les grandes lignes de la révision attendue pour octobre du pacte de stabilité qui, pour l'heure, fixe à 3 % du PIB le seuil maximum du déficit public et oblige les États membres dont la dette publique dépasse 60 % du PIB à la réduire à un rythme régulier et soutenu. "Il nous faut des règles budgétaires qui permettent des investissements stratégiques tout en préservant la viabilité des finances publiques", a défendu l'Allemande. Les principes de base de ces règles, annoncées comme "plus simples" : "une plus grande souplesse en ce qui concerne [la] trajectoire de désendettement" des États membres, mais "davantage de comptes à rendre quant à la mise en œuvre de ce qui a été convenu" pour y parvenir. Beau débat en perspectives entre États membres au Conseil entre "faucons" et "colombes" budgétaires.
Dans son discours, la présidente a laissé entendre que dans divers domaines, l'avenir se prépare maintenant. Sur le plan énergétique "la transformation nécessaire a déjà commencé", assure Ursula von der Leyen. Elle s'incarne dans le développement des énergies renouvelables ; elle passera aussi demain par l'hydrogène "qui peut changer la donne pour l'Europe" et doit pour cela "passer du marché de niche au marché de masse". Objectif : dix millions de tonnes d'hydrogène renouvelable dans l'Union chaque année d'ici à 2030. Afin de favoriser sa réalisation, la présidente annonce la création d'une "Banque européenne de l'hydrogène", dotée de 3 milliards d'euros pour lancer le marché.
Parmi les annonces notables de ce SOTEU, on notera aussi celle relative à la sécurisation des approvisionnements en matières premières critiques. "L'accès aux matières premières jouera un rôle décisif dans le succès de notre transition vers une économie durable et numérique. Le lithium et les terres rares seront bientôt plus importants encore que le pétrole et le gaz", a averti Ursula von der Leyen. Or, pour l'heure, c'est la Chine, "rival systémique", qui maîtrise le marché de la transformation. La Commission veut sécuriser cet approvisionnement par le biais de la politique commerciale mais aussi définir "des projets stratégiques tout au long de la chaîne d'approvisionnement, de l'extraction au raffinage, de la transformation au recyclage", et préparer des réserves. À cette fin, la présidente dit vouloir augmenter la participation financière européenne "aux projets importants d'intérêt européen commun" et se dit favorable "à la création d'un nouveau fonds de souveraineté européen", sans donner davantage de détail sur ces contours et, surtout, son financement.
4. Défense de la démocratie en danger et attaquer frontalement la corruption
"Nombre d'entre nous ont trop longtemps tenu la démocratie pour acquise", a admis la présidente. Hors de l'Union, mais aussi en son sein, les démocraties sont sous pression, a mis en garde l'ancienne ministre d'Angela Merkel évoquant les menaces extérieures, dont les actions des autocraties, qui tentent de miner les démocraties, "que des vices qui les corrodent de l'intérieur"."
L'Europe, plaide l'Allemande, doit travailler à la consolidation des démocraties, avec "des partenaires qui partagent les mêmes valeurs". Les États-Unis bien sûr. Les voisins et candidats à l'adhésion de l'Union, appelés à rejoindre la Communauté politique européenne en gestation, mais aussi l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Mexique, avec lesquels les liens peuvent se raffermir par le biais de la politique commerciale.
Mais c'est aussi au sein même de l'Union européenne qu'il faut défendre la démocratie des assauts menés contre elle. Le "rôle le plus noble" de la Commission est de protéger l'état de droit, rappelle la présidente. "Je vous l'assure : nous continuerons à insister sur l'indépendance de la justice. Et, par le mécanisme de conditionnalité, nous veillerons aussi à protéger notre budget". Même si elles ne sont pas citées, la Pologne et la Hongrie peuvent se sentir directement visées.
Par ailleurs, la Commission envisage de moderniser et de renforcer son arsenal législatif contre la corruption, "qu'elle prenne le visage d'agents étrangers qui tentent d'influencer notre système politique. Ou celui de sociétés ou fondations écrans qui détournent des fonds publics."
5. Un discours au parfum de campagne pré-électorale
LLe temps passe vite. Ce troisième discours de l’Union prononcé par Ursula von der Leyen est déjà le dernier qui ouvre une année législative "complète" - l’ombre des élections européennes de 2024 plane déjà sur celui de 2023 et il ne sera alors plus temps de lancer de nouvelles idées. L’allocution d’Ursula von der Leyen mercredi à Strasbourg résonnait donc déjà, en creux, comme un discours de campagne pour sa reconduction à la tête de la Commission. L’Allemande a encaissé son lot de critiques, dont certaines parties de l’autre point du rond-point Schuman, où siège le président du Conseil européen Charles Michel. Sa famille politique, le Parti populaire européen, n’est plus aussi dominant qu’autrefois, et pourrait très bien lui préférer une autre "tête de liste", en 2024. Son parti national, la CDU, n’est plus au pouvoir à Berlin. Bref, le maintien d’Ursula von der Leyen à son poste n’est pas une certitude.
Son discours a donc pris des accents de "parole à la défense". C'est en tout cas ce que l'on lit entre les lignes quand la présidente affirme que "l'Union tout entière a été à la hauteur" pour répondre aux défis posés par le conflit en Ukraine. Ou qu'elle se félicite que "ces dernières années [aient] montré ce qu'une Europe unie était capable d'accomplir", a-t-elle encore ajouté, citant en exemple l'action européenne pendant la pandémie, dont l'achat en commun de vaccins ; la création du mécanisme de maintien de l'emploi Sure et la mise en place du Fonds de relance Next Generation EU. La stratégie de partenariats internationaux Global Gateway "commence à porter ses fruits". Sous-entendu : dans des circonstances extrêmes - une pandémie et une guerre aux portes de l'Union - la Commission que je dirige a fait le travail, pourquoi changer de capitaine ?