L’histoire macabre d'Issei Sagawa, le cannibale de Paris : “Si j’avais eu un congélateur, vous ne m’auriez jamais attrapé”
En 1981, Issei Sagawa franchit la limite qui sépare son fantasme cannibale du crime et tue une camarade de classe. Par la suite, le Japonais poursuivra sa vie sous les projecteurs sans être inquiété pour ses méfaits. Dans ce dossier “Il était une fois”, La Libre revient sur le parcours d’un tueur en liberté.
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Publié le 23-10-2022 à 11h35
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11 juin 1981. L’après-midi touche à sa fin. Une brise vient rafraîchir la moiteur de la soirée, figée entre printemps et été. Dans les rues se fait entendre le vrombissement des moteurs tandis que l’ivresse s’installe aux tables des terrasses, chantant à l’unisson la mélodie des débuts de soirées parisiennes.
Un jeune homme entrouvre la porte de son petit appartement rue Erlanger, dans le 16ème arrondissement, pour découvrir le visage familier et lumineux de son amie. Celle-ci s’engouffre sans plus attendre dans le logement exigu, le sourire aux lèvres et le cœur léger.
Sur le bureau sont étalés divers poèmes affectionnés par l’étudiant en littérature. Celui-ci, face à la jeune femme, prie pour qu’elle s’asseye et lui tourne le dos. Sans mot dire, elle exécute son souhait, s’installant face au recueil de Johannes R. Becher.
Elle prend une gorgée de thé tiède avant de commencer à lire. Probablement n’a-t-elle pas senti l’air s’alourdir, ni entendu le silence s’épaissir. Elle est heureuse, enjouée. Elle trempe une nouvelle fois ses lèvres dans le breuvage et entame les vers de L’Homme Courbé, sans prêter attention au dictaphone en marche que le jeune homme a délicatement déposé sur le bureau.
“Le maléfice de l’homme courbé, c’est qu’il ne peut se retourner.
Ses vertèbres sont écrasées et il ne peut ainsi voir ce géant centipède qui lui marche sur l’échine.
Celui qui veut échapper à l’air suffoque et crache ses poumons noircis par le vide.”
La détonation réduit au silence les derniers vers.
Le calme s’interrompt dans un fracas que seule la mort peut provoquer.
Le sang vient noircir le poème déjà sombre. La balle a traversé la nuque de la jeune femme, qui n’a pas le temps de sentir la vie quitter son corps.
L’homme se tient droit derrière elle, sa carabine entre les mains.
Il ne tremble pas. Il ne ressent ni peur, ni tristesse, ni remords.
Sur ses lèvres se dessine un sourire hideux, viscéral. Issei Sagawa attendait ce moment depuis des années: il va enfin pouvoir goûter à la chair humaine.
Des morceaux de cadavres dans une valise
13 juin 1981. Ange Mancini sirote un café, profitant de la quiétude éphémère des lieux. La sonnerie du téléphone vient rompre ce moment de sérénité. S’il avait su ce qui l’attendait, peut-être n’aurait-il pas décroché.
Mais il prend le téléphone. Au bout de la ligne, un homme lui explique précipitamment la raison de son appel. Le commissaire comprend rapidement la gravité de la situation.
Quelques instants plus tard, il fait face au lac du bois de Boulogne. La police est déjà en effervescence et la terreur se répand comme une traînée de poudre.
Devant l’étendue d’eau se trouvent deux valises, gisant au milieu de préservatifs usagés.
Du linge empourpré par le sang dépasse des bagages. Ange Mancini ouvre les valises pour y découvrir des morceaux de cadavres négligemment emballés dans les draps.
L’odeur de putréfaction est insoutenable. L’enquête ne peut pas attendre une seconde de plus.
Un mètre cinquante-deux pour trente-cinq kilos
Plus tôt le 13 juin. Après trois jours à dépecer, cuisiner et savourer de nombreux membres du corps de sa victime, Issei Sagawa se résout à se débarrasser de certaines parties, ayant déjà entreposé ce qu’il souhaitait conserver dans son réfrigérateur. Il appelle un taxi et entrepose péniblement les restes de la jeune femme dans deux valises. Chétif, il peine à déplacer ses bagages jusqu’au taxi. Le jeune Japonais ne mesure qu’un mètre cinquante-deux pour trente-cinq kilos et sa frêle constitution le handicape dans sa démarche.
Il réussit tant bien que mal à charger les valises dans le taxi puis demande au chauffeur de le déposer au bois de Boulogne. Une fois arrivé, il tente une nouvelle fois de déplacer les bagages. Ceux-ci semblent à présent bien plus lourds. Les porter est devenu presque impossible.
Néanmoins, Issei Sagawa n’a pas le choix: il doit se débarrasser des restes du corps de sa défunte amie au plus vite. Habitué des bois, l’homme se fraie un chemin jusqu’au lac afin d’y vider le terrible contenu de ses bagages.
A peine a-t-il commencé à décharger la première valise qu’un couple d’amoureux se promenant, les doigts entrelacés, l’aperçoit. Le Japonais prend peur. Le couple l’interpelle. Issei Sagawa envisage de fuir. “C’est répugnant, vous n’avez pas le droit de faire ça”, s’insurgent-ils.
C’en est trop pour le jeune homme qui, cette fois, s’enfuit en abandonnant sur les lieux les aveux de son crime. Les deux amants se retrouvent seuls, surpris et méfiants, face aux bagages. Curieux, l’amant s’approche pour l’ouvrir, en dépit des protestations de sa partenaire.
Le chef de la brigade criminelle est rapidement prévenu. Il est rejoint par ses collègues Jacques Poinas et Olivier Le Foll, qui sont chargés de diriger l’enquête. Aucun des trois policiers ne sait que celle-ci va rapidement se terminer. Grâce à deux témoins, le chauffeur de taxi est rapidement retrouvé. De mémoire et sans hésitation, le conducteur dépeint un Asiatique, transportant deux valises, pris en charge rue Erlanger.
La brigade a tout ce qu’il lui faut.
Une encéphalite qui aurait pu être fatale
Issei Sagawa naît le 26 avril 1949, à Kobe, ville japonaise. Son père, riche industriel, est un homme d’influence au Japon. Un événement important arrive à ses deux ans: Issei Sagawa contracte l’encéphalite japonaise, mettant sa vie en danger. Des spécialistes considéreront plus tard que cette infection peut avoir joué un rôle dans l’obsession pour la chair du meurtrier. C’est aussi à cette période que sa mère s’avère très voire trop protectrice, couvant le bambin en espérant pouvoir le remplumer. Mais Issei Sagawa restera chétif toute sa vie.
Cette condition physique l’amènera à un exil forcé sur les bancs de l’école. En effet, il se rend rapidement compte que sa laideur repousse ses camarades de classe.

Cet écart entre lui et ses pairs ne fera que s’agrandir avec l’âge, tandis que ses premières pensées cannibales naissent face à son désir de consommer certaines parties du corps de ses camarades. "Ça a l’air délicieux”, songe-t-il parfois.
Son adolescence coïncide avec l’arrivée de la culture américaine au Japon, apportant un nouvel élément à ses fantasmes: les femmes occidentales.
Les fesses d'une Allemande
1972. La famille Sagawa quitte la région de Kobe pour vivre à Tokyo. Issei Sagawa, toujours obsédé par les femmes occidentales et la saveur de leur chair, est ravi: Tokyo est une ville cosmopolite, offrant la possibilité de croiser de nombreuses femmes caucasiennes.
C’est ainsi qu’il fait la rencontre de sa voisine, une jeune Allemande ayant déménagé avec sa famille. “Cette chevelure blonde”, soupire-t-il la première fois qu’il l’aperçoit. C’est là que l’idée germe dans son esprit malade : il veut manger un bout de ses fesses.
Une nuit, le jeune homme enfile un masque de Frankenstein et s’invite discrètement dans la chambre de l’Allemande, plongée dans la pénombre. Il voit ses courbes se dessiner dans la nuit, comprenant qu’elle dort nue. Désireux de mordre ses fesses, il s’approche. Maladroit, il frôle le genou de la jeune femme, qui se réveille et hurle. Issei Sagawa, complètement paniqué, fuit par la fenêtre. Mais c’est trop tard: la jeune Allemande porte plainte pour tentative de viol et de meurtre. C’est sans compter l’intervention rapide du père Sagawa, qui profite sans rechigner de sa richesse et offre une somme considérable à la victime en échange du retrait de sa plainte.
Ce n’est pas la première fois que son père lui sauve la mise, et ce ne sera pas la dernière.
Cependant, le jeune homme se voit obligé de se rendre chez un médecin, qui le diagnostique comme un individu très dangereux. La famille Sagawa choisit le déni face à cette information pourtant capitale, continuant comme si de rien n’était. Akira Sagawa décide alors d’envoyer son fils poursuivre ses études de littérature à Paris.
“Amoureux? Non! Amis? Pourquoi pas!”
En 1980, Issei Sagawa s’installe dans un petit studio rue Erlanger, dans le 16e arrondissement. Toujours prisonnier de sa condition faible et repoussante, le jeune homme se sent incapable d’approcher des femmes, à une exception près: les prostituées. “Les seules femmes qui acceptent ma compagnie”, déclarera-t-il plus tard.
Cependant, un beau jour de 1981, le Japonais fait une rencontre sur les bancs de la fac. La jeune néerlandaise Renée Harteveld engage la conversation avec lui pour entamer ce qui sera une amitié basée sur l’admiration du savoir d’Issei d’un côté et de l’admiration de la beauté de Renée de l’autre.
11 juin 1981. Sagawa décide enfin de déclarer sa flamme à la Néerlandaise. Il l’invite à lire des poèmes et savourer quelques biscuits à ses côtés. Après la déclaration, Renée Harteveld rit à gorge déployée. “Amoureux? Non! Amis? Pourquoi pas!”. Un échec cuisant qui, dans la culture japonaise, est aussi un affront. La femme entame cependant la lecture des poèmes. Blessé, Issei Sagawa va récupérer à pas de loup une carabine dans son hall d'entrée. Toujours plongée dans la lecture du poème, Renée Harteveld ne voit pas son condisciple se faufiler derrière elle.
Dès cet instant commencent des actes d’une horreur innommable. Le jeune homme la violera d’abord, avant de la dépecer et de consommer sa chair pendant trois longues journées. “Si vous voulez faire ripaille, il faut viser les cuisses”, dira-t-il lors d’un entretien avec ses enquêteurs.
Une enquête vouée à l’échec
Après avoir été rapidement reconnu par le chauffeur de taxi, Issei Sagawa est arrêté par la police. Celle-ci obtient la confession de son crime sans difficulté. Le Japonais semble presque fier de ses méfaits. L'étudiant, qui avait enregistré l’intégralité de la scène avec son dictaphone, plonge les policiers dans l’horreur la plus totale face à un enregistrement de plusieurs heures où l’on peut entendre Issei Sagawa découper et mastiquer la chair de Renée Harteveld.
“Si j’avais eu un congélateur, vous ne m’auriez jamais attrapé”, se plaint-il même lors d’un entretien, sans une once de culpabilité.

Convaincus qu’Issei Sagawa est fou, les enquêteurs décident de le soumettre à une batterie de tests psychiatriques. Le verdict est sans appel: Issei Sagawa est inapte à être jugé pour son crime.
Il s’agit d’une injustice incommensurable pour les parents de la victime, qui ne peuvent pas obtenir de jugement et se retrouvent même à devoir payer les frais d’enterrement de leur fille ainsi que des analyses qui ont été faites sur ses restes.
Néanmoins, la dangerosité du tueur est assurée par les psychiatres et, faute d’un procès, le Japonais se retrouve interné dans un hôpital psychiatrique à Villejuif. Mais pour la énième fois, Akira Sagawa vient à la rescousse de son enfant. L’homme, dont l’influence semble transcender les frontières, réussit à obtenir le rapatriement de son fils au Japon pour qu’il y soit interné.
Un second drame pour les parents de la Néerlandaise survient. Le Japon, pourtant décidé à poursuivre Issei Sagawa à son tour pour son crime, se retrouve bloqué par le droit international. Le non-lieu prononcé en France a lui aussi dépassé les frontières et la justice japonaise se retrouve face à un mur. Après son internement de 4 ans, Issei Sagawa sort, totalement libre de reprendre le cours de sa vie.
Sagawa, seul mais célèbre
Bien que libre malgré le sang qu’il a pu faire couler, Issei Sagawa se retrouve totalement seul: son crime a fait de lui un paria de la société.
Cependant, il a aussi fait de lui une célébrité. Affublé du surnom de "cannibale japonais" à Paris et de "cannibale français" au Japon, il se retrouve au centre de l’attention. Tournant dans des publicités pour des boucheries, apparaissant dans des reality-shows et allant même jusqu’à participer au tournage de plusieurs films pornographiques, Issei Sagawa se bâtit une situation confortable et loin du besoin.

Son envie de consommer de la chair humaine est pourtant toujours là. En témoigne une bibliographie de nombreux livres traitant autant de ses désirs que du récit détaillé de son crime.
“Je regrette d’avoir tué Renée, a déclaré le cannibale japonais il y a quelques années. Mais j’avais raison: c’était vraiment bon. J’entretiens toujours ce désir. La prochaine fois, je voudrais manger une Japonaise.”