De la Rolex au sac rempli d’argent, le Qatar n’hésite pas sur la dépense pour étendre son influence
Cadeaux, financement d’organisations non-gouvernementales, le Qatar est généreux. Mais il n’est pas le seul pays du Golfe à Bruxelles à faire du lobbying.
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- Publié le 12-12-2022 à 16h14
- Mis à jour le 12-12-2022 à 16h17
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Là où il y a de l’argent, il y a de la corruption, dit l’adage. Les montagnes d’argent accumulées depuis des décennies par les pays du Golfe arabo-persique suscitent bien des appétits et nourrissent d’intenses campagnes de relations publiques et de soft power des émirats. À Bruxelles, également.
Le Qatar affirme que les accusations liant “le gouvernement de l’État du Qatar” à l’affaire débusquée par la justice belge sont “sans fondement et totalement faux”, mais le Qatar a une longue histoire de cadeaux et de financement d’ONG en tous genres.
La diplomatie du Rolex
Cherchant à étendre son réseau, l’émirat a développé ce qu’on a appelé la diplomatie du Rolex. “Un ministre étranger en visite dans l’émirat reçoit généralement une montre Patek Philippe (de 80 000 euros environ). Aux visiteurs classés au-dessous leur reviendrait une montre Audemars Piguet (60 000 euros environ). Puis aux parlementaires une Omega ou une Rolex, ensuite une Cartier, et enfin en bout de chaîne, des stylos”, écrit Christian Chesnot, dans l’éclairant livre, “Qatar, les secrets d’une influence planétaire” (Ed. Tallandier). Certains remettent le cadeau au Mobilier national à leur retour, mais pas tous apparemment.
Parfois, le Qatar utilise aussi le versement en espèces pour exprimer sa sympathie et/ou son intérêt. Racontée par le Sunday Times en juin 2022, c’est l’expérience qu’a vécue le prince Charles, futur roi d’Angleterre, en 2015. L’ancien Premier ministre qatari Hamad bin Jassim al-Thani lui a remis plusieurs valises et sacs remplis de trois millions d’euros en espèces à destination de l’une des organisations caritatives du prince. Livrer l’argent en espèces était une demande des Qataris, bien que la destination était sans soupçon.
"Nous savons qui aime le Qatar, et qui aime l'argent du Qatar"
À Bruxelles, le Qatar a également financé de nombreuses ONG ou ASBL, dans le domaine de la déradicalisation, des droits de l’homme et de la justice internationale. L’intention est louable ; même si elle vise à positionner l’émirat gazier dans l’écosystème bruxellois et à atteindre des personnes ayant des positions stratégiques ou politiques.
L’ONG Fight Impunity, qui est dans le viseur du juge Michel Claise, s’était entourée de personnalités de renom comme l’ancienne cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini, Emma Bonino, Bernard Cazeneuve ou Denis Mukwege, ce qui montre l’étendue de ses relations. D’autres ont cherché assidûment à obtenir les fonds qataris. L’association Femyso, proche des Frères musulmans, a ainsi tenté sans succès en 2016 d’obtenir un financement du Qatar pour acheter un immeuble de neuf millions d’euros à Bruxelles.
Au fil du temps, les Qataris sont devenus plus soupçonneux des multiples demandes qu’ils reçoivent. “Nous savons qui aime le Qatar, et qui aime l’argent du Qatar”, déclarait en 2013 son ancien ambassadeur en France.
Une “guerre du Golfe” à Bruxelles
Tous les pays du Golfe font un intense lobbying à Bruxelles. Chacun dispose de son éventail d’ONG qu’on distingue selon les causes qu’ils défendent : répression en Égypte, droits de l’homme en Turquie, guerre du Yémen, coup de monde au Qatar, affaire Kashoggi, Sahara occidental… Deux clans s’opposent : le duo Qatar – Turquie face au quartet Émirats Arabes Unis – Arabie saoudite – Bahreïn – Égypte.
"Les administrateurs logeaient dans les plus beaux hôtels et finissaient leurs soirées dans des night-clubs"
Ces ONG organisent à Bruxelles des réceptions, des conférences confidentielles, pour attirer experts, journalistes et députés dans leur nasse, faire un selfie et soutirer des informations. Plus grave, certains de leurs dirigeants n’ont aucune expérience en matière de défense des droits de l’homme et mènent un train de vie luxueux. “Les administrateurs logeaient dans les plus beaux hôtels et finissaient leurs soirées dans des night-clubs”, se souvient un ex-employé parlant sous le couvert de l’anonymat. “L’un d’eux m’a réclamé une femme à son arrivée à Bruxelles. D’autres sont allés dans des cafés payer des gens pour aller manifester. On est très loin des valeurs et principes qu’on est censé défendre”.