Qui est Pier Antonio Panzeri, cet ex-député européen pivot du "Qatargate"?
L’ancien eurodéputé italien est considéré par la police et la justice belges comme le maître d’œuvre d’un scandale de corruption présumée. Il a, durant ses mandats, creusé le sillon de la diplomatie parlementaire. Homme de réseaux, il a fondé l’ONG Fight Impunity, qui pourrait avoir servi de paravent à d’autres activités que son objet.
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- Publié le 21-12-2022 à 06h43
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Par quelque bout qu'on les prenne, tous les fils de l'affaire de corruption présumée au sein du Parlement européen impliquant le Qatar et le Maroc sur laquelle enquêtent la police et justice belges, mènent à Pier Antonio (dit Antonio) Panzeri. Selon les informations révélées par Le Soir et Knack, existe un lien entre l'ancien eurodéputé italien âgé de 67 ans et chacun des trois autres inculpés. Il a fondé l'organisation non gouvernementale (ONG) Fight Impunity avec son ancien assistant parlementaire Francesco Giorgi, compagnon de l'eurodéputée socialiste grecque Eva Kaïli, privée de son immunité parlementaire parce que prise en flagrant délit. Il connaît aussi Nicola Figa-Talamanca, secrétaire général de l'ONG No Peace without Justice, située à la même adresse, rue Ducale, que Fight Impunity.
M. Panzeri était également en relation avec l’eurodéputé socialiste belge Marc Tarabella, dont le domicile a été perquisitionné dans le cadre de cette affaire le 10 décembre dernier - le Liégeois affirme n’avoir rien à se reprocher et n’a pas été inculpé, à ce stade. L’ancien eurodéputé est proche d’Andrea Cozzolino, toujours eurodéputé, entendu par les enquêteurs dans le cadre de cette affaire. Luca Visentini figure aussi dans les contacts d'Antonio Panzeri. Le secrétaire général (en retrait) de la Confédération internationale des syndicats (CSI) a été entendu par les enquêteurs, mais relâché. M. Visentini a admis par communiqué avoir reçu 50 000 euros en espèces de Fight Impunity sans que lui soit demandé quoi que ce soit en échange. L’argent, affirme-t-il, a servi à sa campagne pour la présidence de la CSI.
Les deux assistants parlementaires dont les enquêteurs ont scellé les bureaux le 9 décembre au Parlement européen, à Bruxelles, ont eux aussi travaillé pour celui qui apparaît comme la pièce centrale de l’affaire. Toutes ces personnes ont, à un moment donné, œuvré pour Fight Impunity ou participé à un événement organisé par l’ONG créée en décembre 2019. Enfin, l’Italie a accédé à la demande de la justice belge d’extrader Maria Colleoni, l’épouse de Pier Antonio Panzeri, ainsi que leur fille Silvia. Lors d’une perquisition menée la semaine dernière, la police a trouvé 17 000 euros en liquide au domicile familial.
Quinze ans dans l’hémicycle
Plus personne au Parlement européen n'ignore aujourd'hui le nom de Pier Antonio Panzeri, brûlé par les feux de l'actualité médiatique et judiciaire. L'ancien eurodéputé ne ne semble pas cependant avoir laissé un souvenir indélébile de son passage dans l'hémicycle. Il y a pourtant eu son siège, à Strasbourg et Bruxelles pendant quinze ans, jusqu'en 2019, dans les rangs du groupe des socialistes et démocrates (S&D). Le natif de Riviera d'Adda, dans la province de Bergame située dans le nord industrieux de l'Italie, est entré au Parlement européen en 2004 auréolé d'un score de 105 000 voix de préférence sur la liste de gauche de l'Olivier. L'homme, affublé du surnom de Panzer (le char d'assaut allemand), tant à cause de son patronyme que de son physique massif, a bâti sa carrière au sein de la Confédération italienne générale du travail (CGIL), l'équivalent italien de la FGTB. Pier Antonio Panzeri est passé du syndicat local à la tête de la CGIL, à Milan, qu'il occupe de 1995 à 2003, avec toujours pour objectif de "se mettre du côté de ceux qui sont exclus du système". Pour certains habitants de Bergame, le cordial Pier Antonio est "le compagnon qui a réussi". Orazio Amboni, de la branche bergamasque de la CGIL, se remémore "quelqu'un de tenace, de frontal. Vous étiez avec lui ou contre lui. Mais c'est également un négociateur. Prendre son téléphone et faire du lobbying, c'est tout Antonio. De ce point de vue-là, il a bien réussi".
Au Parlement européen, le syndicaliste Panzeri choisit sans surprise de siéger à la commission de l’Emploi et des Affaires sociales, dont il sera vice-président. Réélu en 2009, cette fois sous la bannière du Parti démocrate, il intègre la commission des Affaires étrangères (Afet) et devient membre la Délégation pour les relations avec les pays du Maghreb. Les relations internationales et la diplomatie parlementaires sont deux sillons qu’il va creuser. Ayant conservé la confiance des électeurs en 2014, il repique à la Délégation pour les relations avec les pays du Maghreb, qu’il préside jusqu’en 2017, ce qui lui permet de nourrir son carnet d’adresses et cimenter des relations entamées dans ces pays sous la législature précédente - les enquêteurs belges le soupçonne d'avoir été corrompu par le Maroc. Pier Antonio reste également membre de la commission "Afet", où il se concentre sur les questions relatives aux droits humains. En 2017, il devient président de la sous-commission des droits de l'homme.
Panzeri, vous dites ?
Ces états de service ne paraissent pas avoir marqué les esprits. Le Belge Philippe Lamberts, coprésident du groupe des Verts, peine à se rappeler de quoi que ce soit de significatif par rapport à son ancien collègue. Répondant à La Libre, à qui il a raconté comment le Maroc a tenté de le corrompre, l'ancien eurodéputé français (vert aussi) José Bové se rappelait "avoir croisé" [M. Panzeri], "mais pas de discussions particulières avec lui". Une eurodéputée conservatrice de la commission "Afet", ne souhaitant pas que son nom soit lié à l'affaire, affirme pour sa part ne "se souvenir de rien" à propos de l'Italien "ni même d'avoir échangé avec lui". Le libéral luxembourgeois Charles Goerens se souvient, lui, de Pier Antonio Panzeri. Et pour cause : les deux hommes figuraient parmi les quatre rapporteurs, avec les conservateurs roumain Cristian Dan Preda et luxembourgeois Frank Engel, d'un texte législatif concernant l'établissement de "l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale". M. Goerens évoque "quelqu'un de très agréable", mais souligne que "des quatre rapporteurs, ce n'est pas [M. Panzeri] qui avait la plus lourde charge". Le fait que Pier Antonio ne maîtrise pas d'autres langues que l'italien explique qu'il n'ait pas développé beaucoup de contacts au-delà du cercle de ses compatriotes.
Il entretenait aussi de bonnes relations avec les italophones, dont Marc Tarabella, avec qui, selon une source du groupe S&D, "il discutait beaucoup de football" dont les deux hommes sont passionnés. Lorsqu'Antonio Panzeri a quitté l'hémicycle, l'un de ses anciens assistants, G. M., a travaillé un moment avec M. Tarabella. C'est le bureau de cet assistant sur lequel la police belge a voulu mettre les scellés, le 9 décembre, mais G. M. était, jusqu'il y a peu, renseigné comme assistant d'une eurodéputée italienne du Parti populaire européen. L'autre bureau scellé lors de la perquisition du 9 décembre est celui d'une femme ayant réalisé un travail de consultance pour Fight Impunity, devenue l'assistante d'une autre socialiste belge, Marie Arena.
Plus que de Marc Tarabella, c'est d'elle qu'Antonio Panzeri était proche. Membre de la sous-commission Droits de l'homme lorsque l'Italien était à sa tête, Mme Arena en était la présidente depuis le début de la législature, et jusqu'à la semaine dernière, où elle a décidé de faire un pas de côté pendant l'enquête. L'eurodéputée précise à La Libre qu'elle entretenait avec son ancien collègue, "une amitié professionnelle" entamée lors de la précédente législature. Cette relation amicale s’est poursuivie dans le cadre Fight Impunity, Marie Arena ayant participé à plusieurs événements organisés par l'ONG en sa qualité de présidente de la sous-commission Droi.
L'eurodéputée insiste sur le fait qu'entre M. Panzeri et elle, il n'a "jamais été question de pression qu’elle soit politique ou financière", et d'ajouter que "quand leurs positions étaient divergentes, elles le sont restées". La Belge avait par exemple vote contre la conclusion de l’accord commercial pêche et agriculture avec le Maroc. Marie Arena justifie son opposition à l'adoption d'une résolution sur le Qatar en plénière du Parlement par le fait qu'elle privilégieait "un travail plus rigoureux, initié dans la sous-commission" qu'elle présidait.. Elle défend enore que "[ses] positions politiques envers les pays qui ne respectent pas les Droits de l’homme n’ont jamais souffert d’une quelconque ambiguïté et ni le Qatar ni le Maroc ni aucun autre pays n’a bénéficié d’ un traitement privilégié".
Véritable ONG ou paravent ?
L'ONG lancée il y a trois ans s'est donné pour mission de promouvoir la lutte contre l'impunité pour les sérieuses violations des droits humains et les crimes contre l'humanité. Il y avait du beau monde lors du débat du 3 décembre 2019 qui lançait les activités de Fight Impunity. Parmi elles : Marie Arena ; l'auteure turque Hatice Cengiz, fiancée du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, assassiné au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul un an plus tôt ; la future secrétaire générale d'Amnesty International Agnès Callamard et les eurodéputés Kaïli, Cozzolino et Tarabella. L'invitée de prestige de la soirée était l'Italienne Federica Mogherini, dont le mandat de cheffe de la diplomatie européenne venait de s'achever.
L'Italienne était recensée sur la liste des membres honoraires du Conseil de l'ONG, dont la lecture achèvera de convaincre que Pier Antonio Panzeri est un homme de réseaux, en particulier au sein de la gauche européenne. Y figurent les anciens commissaires européens Dimitris Avramopoulos et Emma Bonino, l'éphémère Premier ministre socialiste français Bernard Cazeneuve, les anciennes députées européennes suédoise Cecilia Wikström et portugaise Isabel Santos. On y trouve aussi le gynécologue congolais Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix 2018. C'est M. Panzeri lui-même qui avait approché celui qui a aussi été lauréat du prix Sakharov du Parlement européen. "Le lien avec l'objet de Fight Impunity et le combat du Dr Mukwege était évident", resitue un membre de l'entourage de "l'homme qui répare les femmes". "Mais le Dr Mukwege n'a jamais siégé dans ce conseil, ni eu de rôle exécutif, ni de participation concrète." Comme les autres membres de ce Conseil Denis Mukwege a demandé que son nom n'apparaisse plus sur le site de l'ONG, sans succès jusqu'ici.
Un rôle plus actif pour l'ex-commissaire Avramopoulos
L'ancien commissaire européen à l'Immigration Dimitris Avramopoulos a eu un rôle plus actif en tant que membre honoraire du conseil d'administration, mais "sans engagement exécutif", a précisé le Grec. M. Avramopoulos avait reçu en 2020 l'autorisation de son ancien employeur de se mettre au service de Fight Impunity - après leur mandat, les anciens commissaires sont tenus d'obtenir l'approbation de l'institution avant d'embrasser une nouvelle activité professionnelle.

Le Grec a a reçu une "indemnisation" de 60 000 euros de Fight Impunity, ainsi que l'a révélé le quotidien La Stampa. "Les paiements ont été effectués pendant un an, de février 2021 à février 2022, à raison de 5.000 euros par mois, déclarés et imposés en Grèce", a expliqué l'ancien commissaire à l'agence de presse grecque Amna. "Après un an, en février 2022, l’activité de l’organisation ayant considérablement diminué, j’ai demandé la fin des paiements. Après le mois de mars, ma participation avait en pratique pris fin", a ajouté M. Avramopoulos. Le Grec, par ailleurs candidat au poste de représentant spécial de l'UE dans la région du Golfe, a démissionné de ses fonctions d'administrateur honoraire de l'ONG le 11 décembre, deux jours après la révélation du scandale. La Commission européenne indique "mener des vérifications" que rien ne contrevient aux règles que devaient respecter M. Avramopoulos en tant qu'ancien commissaire.
Difficile de savoir si l’ONG effectuait les missions qu’elle affirmait mener et pour lesquelles elle a obtenu des fonds de la Commission européenne et du Parlement européen. Elle a certes organisé quelques conférences à Bruxelles, en Italie et une en France à... Bazoches-sur-Guyonne, en collaboration avec le service de recherche du Parlement. Confinement oblige, durant la pandémie, ce sont surtout des webinaires et des événements en ligne qui ont été mis sur pied par l'ONG. Fight Impunity a publié deux rapports sur l’état de l’impunité dans le monde. Riche de plus de 400 pages, l’édition 2021 a été réalisée par l’Associazione Società Informazione Onlus. Mais c’est par Fight Impunity qu’elle a été présentée au Collège d’Europe, dirigé par Federica Mogherini, et au Parlement où l’ancien député Panzeri avait toujours ses entrées, quand bien même il n’a pas inscrit son ONG au registre de transparence des institutions.
Le soupçon demeure que l'ASBL Fight Impunity soit un paravent pour des activités lucratives et illégales. L'enquête le dira, comme elle devra démontrer que Pier Antonio Panzeri est bien coupable de ce qu'on lui reproche. À Bergame, on se désole de ce qu'on lit dans la presse italienne et internationale de l'enfant du pays. Ce que les camarades du syndicat lisent dans les journaux surprend tout le monde. À La Repubblica, un ami de l'ancien syndicaliste raconte que Pier Antonio Panzeri "aimait voyager, pour le travail, pour le plaisir, chaque motif était bon pour prendre un avion. Peut-être que les voyages l'ont ensorcelé".