”J’agis pour l’avenir de ma fille” : les militants de Letzte Generation devant les tribunaux
En Allemagne, les procédures judiciaires se multiplient auprès des activistes climatiques de Letzte Generation. Ce mouvement soulève de vifs débats dans le pays.
Publié le 22-12-2022 à 20h19
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Sonja Manderbach commence à être habituée. Cette Allemande de 45 ans, aux yeux bleus et aux longs cheveux auburn, est convoquée pour la deuxième fois en un mois par un tribunal berlinois. Membre du mouvement Letzte Generation (Dernière génération en allemand), cette activiste climatique est poursuivie pour avoir participé, avec d’autres militants, à quatre blocages de rues à la fin janvier dans la capitale allemande, dans le but d’alerter sur “l’urgence climatique”.
Comme le reconnaissent la procureure, la juge et les policiers venus témoigner, ces actions “paisibles” étaient les premières du genre avant qu’elles ne gagnent en nombre et en diversité, avec le blocage d’aéroports et le jet de purée ou ketchup sur des œuvres d’art.
Devant la juge, Sonja Manderbach reconnaît les faits. Oui, elle a bloqué plusieurs rues, créant des embouteillages importants. Oui, elle s’est collé le pied une fois au macadam, prolongeant la durée d’intervention de la police. Pour la militante toutefois, l’enjeu justifie les moyens. Ce genre d’actions coup de poing équivalent à “appeler les pompiers face à un incendie”. “Je n’agis pas pour gêner les gens mais pour qu’ils prennent conscience de l’urgence et pour sauver les fondements de notre vie sur terre. J’agis pour l’avenir de ma fille de 15 ans”, se défend-elle.
Sans avocat, Sonja Manderbach saisit chaque occasion de prise de parole pour faire passer son message politique. Insuffisant toutefois pour convaincre la juge qui, tout en disant “soutenir ses objectifs” estime “mauvais” les moyens employés. “Ce sont des délits qui ne servent pas votre cause”, commente la juge en condamnant cette militante à 2 000€ d’amende. Une peine qui s’ajoute à une autre, de 1 000€, obtenue un mois plus tôt et qui ne sera certainement pas la dernière. Sept procédures sont en cours contre Sonja Manderbach, sans parler de celles à venir. L’activiste poursuit en effet ses actions.
”Nous ne sommes pas des criminels”
De plus en plus fréquentes dans les tribunaux allemands, ces procédures judiciaires vont tendre à se multiplier dans les prochains mois. Rien qu’à Berlin, plus de 950 sont en cours auprès du procureur général. Mais cela ne semble pas effrayer les militants. C’est le cas d’Edmund Schulz qui est venu soutenir sa collègue au tribunal et qui se trouve lui-même dans le viseur des autorités. Le 13 décembre, il a vu son domicile perquisitionné, comme celui de 10 autres militants. Tous auraient participé aux blocages d’un pipeline approvisionnant en gaz russe la raffinerie de Schwedt, à la frontière polonaise. Le parquet de Neurupin les soupçonne de “former ou de soutenir une organisation criminelle”. Un terme employé pour la première fois pour qualifier les membres de Letzte Generation.
”Nous ne sommes pas des criminels”, se défend Edmund Schulz. “Nous ne sommes pas violents et ne menaçons personne. Nous critiquons uniquement l’État qui au lieu de faire son autocritique rejette la faute sur nous. Mais peu importe. Notre message passe et nous recevons de plus en plus de soutien”, note cet activiste aux cheveux longs.
Une “RAF verte” ?
Comment réagir face à ces actions coups de poing ? La question divise. Ainsi la Bavière se montre ferme, allant jusqu’à placer certains activistes en détention provisoire pendant 30 jours. À Berlin, face au nombre de récidives, la police est désormais autorisée à verbaliser à hauteur de 2 000€. Dans les rangs de la droite, certains élus comparent désormais ces activistes climatiques à une “RAF verte” en référence au groupe terroriste d’extrême gauche qui a assassiné une trentaine de personnes dans les années 1970 et 80. Même les services de renseignements sont pris à partie pour savoir si Letzte Generation est une organisation extrémiste voire terroriste.
”Absurde”, a répondu en novembre Thomas Haldenwang le chef des services de renseignements intérieurs. “Letzte Generation est un groupe qui veut attirer l’attention avec des actions spectaculaires. Ce qu’ils font sont des délits. Mais commettre des délits ne fait pas d’eux un groupe extrémiste. Je ne considère pas ce groupe comme un danger pour l’ordre libre et démocratique”, a-t-il tranché.
Les militants, eux, s’étonnent de la brutalité des débats mais surfent sur la vague médiatique pour faire entendre leur cause. Et ils y croient. Certains juges, comme à Fribourg, ont relaxé des militants poursuivis pour des faits similaires à ceux reprochés à Sonja Manderbach. Cette activiste veut croire que le vent tournera, dans les tribunaux et dans les esprits. D’ici là, elle compte bien poursuivre son militantisme.