Marionnette, prières et petit déj : qu'est-ce que la “Bubble Church", cette initiative qui tente de revitaliser les églises anglicanes ?
Pendant la pandémie de Covid-19, une église du sud de Londres a développé une session spéciale famille. Le succès a été immédiat. Une piste pour attirer de nouveau les familles vers les églises, alors que les Chrétiens représentent pour la première fois moins de 50 % de la population en Angleterre et au Pays-de-Galles.
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- Publié le 25-12-2022 à 12h17
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Fraser, 4 ans, se précipite sur l’estrade et tend sa carotte en tissu vers la marionnette d’un âne. “C’est l’âne de Marie et Joseph et j’ai l’impression qu’il a vraiment faim ! Les enfants, venez à votre tour lui apporter à manger !” annonce au micro Andy Monks, en charge depuis septembre des activités pour les enfants au sein de l’église Ascension Balham, et revêtu pour l’occasion d’une tunique et d’un turban semblable à ceux portés par les Palestiniens contemporains de Jésus. Dans un joyeux brouhaha, une trentaine d’enfants se précipitent vers l’âne. Une fois retournés à leur place, un tapis circulaire bleu autour duquel est assise leur famille respective, l’écran géant installé sur la gauche de la nef de l’église s’allume. Un garçon, revêtu du t-shirt rouge floqué du logo d’Ascension Balham, chante un hymne de Noël, repris, plus ou moins en cœur, par les nonante-et-un enfants et parents présents.
Tapis, croissants et pains au chocolat
Tous les dimanches matin à 9h30, cette église anglicane du sud de Londres accueille les familles du quartier pour sa Bubble Church, son “Église bulle”. “Ces sessions ont débuté en octobre pendant la pandémie”, raconte le révérend Marcus Gibbs, le vicaire d’Ascension Balham. “Le gouvernement avait autorisé les Britanniques à se rendre à l’église tant qu’ils demeuraient dans leur 'bulle'. À la suggestion de mon épouse, nous avons créé un service avec des bulles physiques, c’est-à-dire des petits tapis éloignés les uns des autres, sur lesquels les membres d’une même famille peuvent s’asseoir. Nous lui avons associé un aspect communautaire, comme par exemple la distribution gratuite de croissants et de pains au chocolat pour les participants.” Dont l’alléchante odeur beurrée se répand d’ailleurs dans toute l’église.
Dès son lancement, Bubble Church connaît un succès considérable. “Depuis ma nomination dans cette église sept ans plus tôt, j’avais tenté d’innombrables choses pour faire croître la congrégation, avec un succès mitigé”, poursuit le vicaire. “Et là, en quatre semaines, nous sommes passés de zéro à soixante personnes. Et le plus encourageant : la plupart de ces soixante personnes ne se rendaient auparavant pas à l’église, que ce soit ici ou dans les paroisses voisines.”
Haylie Gordon et son époux Jordan correspondent à ce profil. “Je suis venue ici pour la première fois pendant l’automne 2020 dans le cadre du café organisé pour les jeunes mères et les femmes enceintes,” raconte la mère de Charlotte, 3 ans, et Oliver, 1 an, pendant que son époux court après leur dernier né, parti explorer l’autre bout de l’église. Le personnel du café lui parle de Bubble Church. Elle découvre un service sur-mesure pour les enfants – dont la durée est fixée très exactement à vingt-sept minutes pour préserver leur attention – à l’ambiance très détendue. “C’est le cadre idéal pour permettre aux enfants d’entrer dans le monde de Dieu et leur permettre d’avoir des valeurs chrétiennes : doux, agréable et divertissant, ce qui n’est pas le cas du plus traditionnel catéchisme dominical, strict et parfois ennuyeux.”
Malgré la fin de la pandémie, cette famille poursuit ses visites à Bubble Church. Pour la plus grande joie du révérend Marcus Gibbs, qui craignait une raréfaction du nombre de participants une fois les confinements terminés. “Nous voyons quasiment chaque semaine une nouvelle famille,” assure Andy Monks, 28 ans, embauché en septembre. Si bien qu’une centaine de personnes en moyenne participent désormais à ce rendez-vous du dimanche matin, devenu pour certains immanquable. Signe de leur intégration et de leur implication dans leur nouvelle communauté, un terme revenu dans la bouche de toutes les familles interrogées : alors qu’Ascension Balham célébrait en moyenne cinq baptêmes par an avant la pandémie, elle en a organisé dix l’an dernier et quinze cette année.
Vision et stratégie
Ces résultats sont d’autant plus étonnants qu’ils vont à l’encontre de la tendance nationale. Le recensement de 2021 a révélé que pour la première fois de l’histoire les Anglais et Gallois se considérant comme chrétiens représentent moins de la moitié de la population anglaise et galloise : 46,2 % contre 59,3 % dix ans plus tôt. La case sans religion est la deuxième réponse la plus donnée avec 12 % des Anglais et Gallois, bien loin devant les musulmans (6,5 %) et les hindous (1,7 %). “Ces chiffres ne sont pas surprenants, cette tendance existe depuis au moins un siècle, et au moins depuis que le recensement a intégré cette question, en 2001”, explique Linda Woodhead, directrice du département de théologie et d’études religieuses de l’université King’s College London. “Autrefois, les gens s’identifiaient à la religion parce qu’ils étaient baptisés et qu’ils y allaient avec leurs parents. Or le nombre des baptêmes a chuté et les enfants ne se sentent plus obligés de suivre les habitudes de leurs parents. Et les deux Églises nationales, l’Église d’Angleterre et l’Église d’Ecosse, ont échoué à attirer les jeunes, à l’inverse des musulmans, des hindous et des sikhs.”
Conscient du caractère porteur de sa “petite formule”, le révérend Marcus Gibbs a déjà aidé trois autres églises londoniennes à proposer leur propre Bubble Church. “Un de mes amis vicaires dans le nord de Londres m’a récemment écrit, peu après son lancement, que cinquante personnes viennent à sa Bubble Church, ce qui a considérablement augmenté sa congrégation”, témoigne-t-il, enthousiaste. “Le voilà régénéré !” Cette expérimentation ne pouvait passer inaperçue après le lancement l’an dernier par l’Église d’Angleterre de son programme d’évangélisation “Vision et stratégie”. Celle-ci lui a donc accordé une bourse de 290 000 euros pour embaucher pendant trois ans une personne chargée de partager son expérience à d’autres églises anglicanes du pays. Bubble Church n’en est donc qu’à ses débuts.