Les autorités russes font mourir Alexeï Navalny “à petit feu”
Les proches et soutiens de l’opposant n°1 au Kremlin, malade, ont lancé une campagne appelant à sa libération. Régulièrement envoyé en cellule d’isolement, il a déjà passé 738 jours en détention depuis son retour en Russie.
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- Publié le 26-01-2023 à 16h49
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“Encore une fois, je me suis mal présenté.” Alexeï Navalny vient d’être renvoyé en cellule d’isolement, cette semaine, sous un nouveau motif fallacieux. Le 31 décembre, ses geôliers l’y avaient déjà emmené croupir pendant 15 jours pour le punir de s’être lavé le visage peu avant l’heure réglementaire, si bien que, depuis la mi-août, l’opposant n°1 au Kremlin a été contraint à plus de 110 jours d’isolement. Depuis son retour d’Allemagne le 17 janvier 2021, où il avait été soigné après avoir été empoisonné, Alexeï Navalny a passé 738 jours en détention.
Les proches de l’opposant russe, dont la santé s’est considérablement détériorée en deux ans d’incarcération, ont lancé ce mois-ci une campagne appelant à sa libération, #Free Navalny, dont lui-même a appris l’existence par ses avocats. “Je la considère, bien sûr, comme une campagne pour la libération de tous les prisonniers politiques en Russie et en Biélorussie, dont mon nom est l’un des symboles”, a tweeté l’opposant le 25 janvier. Les Poutine et autre Loukachenko, dirigeants russe et biélorusse, “veulent que nous, qui refusons de nous soumettre à leur pouvoir, nous sentions seuls, abandonnés, misérables et oubliés face à leurs machines de mensonge, de corruption et de déshumanisation”, a-t-il affirmé. “Quand vous vous retrouvez en prison, vous comprenez particulièrement bien que vous ne devez pas vous sentir seul. Se sentir seul aujourd’hui, c’est être brisé demain.” Aussi cette campagne lui permet-elle “de sentir que je ne suis pas seul à chaque seconde de ma vie en prison, aussi difficile soit-elle”.

Son épouse, Ioulia Navalnaïa, a accusé les autorités pénitentiaires de dégrader “expressément” les conditions de détention de son mari : “êtes-vous humains ?”, les a-t-elle interpellées sur Instagram. Malade, l’opposant de 46 ans, privé d’un accès aux soins médicaux, a déclaré devoir mener “une lutte acharnée” pour obtenir des “médicaments de base”. Sa situation est devenue telle que près de 500 médecins russes ont signé une pétition, publiée sur Facebook, appelant Vladimir Poutine à lui fournir des soins appropriés et cesser les “sévices” contre lui.
Les prisons russes, “un système de torture”
“Je suis très pessimiste” pour l’avenir des opposants politiques emprisonnés, nous déclare Olga Gnezdilova, avocate spécialisée dans les droits de l’homme, de passage à Bruxelles. “J’ai visité des prisonniers pendant 20 ans, et je sais à quel point la santé peut souffrir à vivre dans de telles conditions. Nous savons tous que Navalny est maintenant très malade ; il est temps de parler de sa santé. Jusqu’ici, il voulait souffrir, montrer qu’il était prêt à mourir en prison, mais je pense vraiment qu’il y a un risque énorme que sa santé se détériore fortement et qu’il perde toute son énergie. Les prisons russes sont un système de torture, à cause du manque de soins médicaux et des pressions incessantes”, témoigne-t-elle.
Alexeï Navalny a lui-même expliqué récemment que, pour le faire craquer, un fou, qui hurlait 24h/24, avait été placé dans la cellule voisine à la sienne. “Il y a beaucoup d’autres illustrations de la façon dont le système veut détruire sa personnalité”, poursuit Olga Gnezdilova. “Je crois bien sûr en sa motivation, il est d’une grande importance pour toute l’opposition russe, mais je sais aussi qu’il peut être détruit. ”
Pour Oleg Kozlovsky, chercheur sur la Russie pour Amnesty International, les autorités essaient moins de tuer l’opposant – “ils pourraient le faire n’importe quand : il est en prison, sous leur contrôle total” – que de “faire en sorte que sa santé se détériore à un niveau tel qu’il doive céder et se soumettre ou qu’il ne soit plus capable de faire quoi que ce soit d’utile”. “Cela rend d’autant plus important le fait de maintenir la pression sur les autorités russes”, plaide-t-il.
Jusqu’à 30 ans de prison
D’autant qu’Alexeï Navalny n’en a pas fini avec la justice. L’homme a déjà été condamné à neuf ans de prison en régime “sévère”, une peine qu’il purge dans une colonie pénitentiaire. Ses fondations, celle de lutte anticorruption et celle pour la protection des droits des citoyens, ont été interdites et désignées comme organisations “extrémistes”. Et deux autres procédures pénales ont été encore ouvertes contre lui, notamment pour “promotion du terrorisme”, “financement et promotion de l’extrémisme” et “réhabilitation du nazisme”, qui pourraient le maintenir durant 30 ans derrière les barreaux. “Il est clair que pour Alexeï Navalny, Ilya Iachine, Vladimir Kara-Murza et d’autres opposants politiques, le temps passé en prison est uniquement déterminé par des facteurs politiques, et non par quoi que ce soit qui ait un rapport avec la loi”, constate Oleg Kozlovsky.
En rentrant en Russie, ou en refusant de s’exiler, ces opposants s’attendaient à endurer des années de torture carcérale. Ilya Iachine a été condamné, en décembre dernier, à huit ans et six mois de prison pour “discrédit de l’armée”, tandis que Vladimir Kara-Murza, accusé de “haute trahison”, encourt vingt ans.
Le temps passé en prison est uniquement déterminé par des facteurs politiques, et non par quoi que ce soit qui ait un rapport avec la loi.
“J’admire le courage de ces personnes. Ce n’est pas comme si elles avaient été soudainement arrêtées sans s’attendre à rien, elles savaient où leurs positions les mèneraient et elles ont quand même continué leur travail. Cela montre leur supériorité morale sur ceux qui les torturent maintenant”, estime Oleg Kozlovsky.
“Il est impératif qu’elles ne soient pas oubliées, même si d’autres choses terribles se passent en ce moment, peut-être bien plus terribles, comme la guerre avec son lot de morts quotidiens. Mais nous devons aussi continuer à nous souvenir de ceux qui se mettent en danger, parce qu’ils croient en la justice, ils croient en leurs idées, ils croient que les droits de l’homme sont dignes de leur sacrifice. ”