Les pays de l'Union européenne se cherchent une approche commune pour accélérer les retours de migrants
Jeudi, les ministres des Affaires intérieures des Vingt-sept se penchent sur des pistes notamment pour inciter les pays d'origine à mieux coopérer pour récupérer leurs ressortissants. Mais la question des retours n'est pas encore abordée de façon européenne. Un reflet de l'absence d'une politique d'asile et de migration commune.
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- Publié le 26-01-2023 à 10h57
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C'est un casse-tête auquel les pays de l'Union européenne peinent à trouver une réponse depuis toujours. Renvoyer chez eux les migrants ayant reçu l'ordre de quitter le territoire et dont la demande d'asile a été refusée reste une affaire compliquée, notamment en raison de la réticence des pays d'origine à coopérer. Les États membres ont beau taper sur ce clou, rien n'y fait : le bilan peu reluisant en matière de retours effectués s'invite chaque année dans l'ultrasensible débat européen lié à la migration. En 2021, sur les 340 515 décisions de renvois rendues dans l'UE, seules 21 % ont été exécutées. "Nous devons faire mieux", a déclaré mardi Ylva Johansson, commissaire aux Affaires intérieures, en présentant un plan d'action qui doit alimenter ce jeudi une discussion entre les ministres compétents des Vingt-sept, réunis à Stockholm.
Les retours - et de manière générale la prise en charge des demandeurs d'asile et des migrants - sont une compétence des États membres, dont les performances peuvent varier selon les capacités administratives à gérer ces procédures ou, surtout, selon le profil des personnes à renvoyer et donc les relations diplomatiques qu'ils entretiennent avec le pays d'origine. "Certains États membres affichent un bilan de 5 %" de retours exécutés, s'alarmait mardi un diplomate européen, se gardant de citer des coupables. Pour la Belgique, en 2021, le taux se situait autour de 14 %, selon les données de l'Office européen des statistiques (Eurostat). Ce sont "des chiffres sensibles pour l'opinion publique", confie une source proche du gouvernement belge.
Certes ces données peuvent être faussées, en ce sens qu'elles incluent des décisions "délivrées à des ressortissants de pays vers lesquels on ne peut pas effectuer de retours à cause de la situation sécuritaire", a constaté mardi Mari Juritsch, la nouvelle coordinatrice de l'UE en matière de retours. L'Afghanistan, par exemple.
Focus sur les "aspects externes" de la migration
Mais quoi qu'il en soit, l'efficacité des retours "reste une question importante pour le maintien de l'intégrité du système de migration et d'asile. Elle est liée à la valeur qu'aura toute la procédure que les personnes doivent suivre pour obtenir le droit de rester. Et elle renvoie à l'idée qu'un État membre a le contrôle et décide de qui entre et qui sort de son territoire", explique Hanne Beirens, directrice du Migration Policy Institute Europe. Il n'est donc pas surprenant que le sujet s'impose à nouveau à l'agenda, au moment où les flux migratoires en direction de l'UE s'intensifient - en 2022, les entrées irrégulières ont augmenté de 64 %. D'autant que s'attaquer à la question des retours permet aux Vingt-sept de se focaliser sur les "aspects externes" de la migration. Autrement dit, d'éviter le débat ultra-sensible sur la manière dont ils doivent eux-mêmes gérer la migration au sein de l'Union.
Cela arrange bien la Suède, qui assure la présidence du Conseil de l'UE jusqu'en juin et n'ambitionne pas d'arracher d'ici là un accord sur une politique d'asile européenne. La priorité du gouvernement suédois, soutenu au Parlement par l'extrême droite, semble surtout de durcir le ton. Cette semaine, Stockholm a d'ailleurs lancé une campagne, visant à décourager les migrants de venir dans le pays.
Lors de la réunion informelle organisée jeudi dans la capitale suédoise, les ministres de l'Intérieur des Vingt-sept ont donc été invités à discuter surtout des moyens pour inciter les pays tiers à faire plus d'efforts pour récupérer leurs ressortissants (délivrer plus rapidement les papiers d'identité nécessaires, l'accord de réadmission sur le territoire, etc.). Encore faut-il qu'ils s'accordent eux-mêmes sur les leviers à utiliser et surtout vis-à-vis de quel pays. Ce qui n'est pas gagné. "Les retours ne sont pas encore perçus comme un domaine de travail commun et comme une responsabilité partagée", regrettait mardi Mme Juritsch.
La politique de visas, un levier délicat
Prenez la politique des visas, qui sera au cœur des discussions ce jeudi. En 2019, l’UE a décidé de mettre dans la balance l’accès à son espace de libre-circulation pour "récompenser" ou "punir" les pays tiers selon leur attitude en matière de réadmissions. La Commission a proposé de cibler l’Irak et le Bangladesh - qui se sont empressés de coopérer -, ainsi que le Sénégal et la Gambie. Seule cette dernière a été sanctionnée. En octobre 2021, les Vingt-sept ont décidé de durcir les conditions de délivrance des visas aux Gambiens (plus de pièces justificatives exigées, délais plus longs…). Faute de réaction de Banjul, le prix des visas a été augmenté à 120 euros (au lieu de 80) en décembre 2022.
"Cibler la Gambie, cela peut peut-être aider l'Allemagne", qui avait délivré en 2020 le plus d'ordres de quitter le territoire à des Gambiens (750). "Mais ce n'est pas le cas le plus problématique", commente un diplomate européen. En vue de la réunion de jeudi, la Commission a dressé une liste des mauvais élèves en matière de réadmissions. Selon nos informations, le Maroc et l'Algérie domineraient le classement, qui inclut aussi des pays de la corne de l'Afrique. Or la Commission ne s'est pas encore attaquée à ces pays via la politique de visas, s'agace une autre source proche du dossier.
L'explication se trouve du côté des considérations politiques des différents États membres, qui doivent valider à la majorité qualifiée les propositions de l'exécutif européen. Autant dire que l'appétit pour réprimander Rabat et Alger n'y est pas. L'Espagne assure que son expérience avec le Maroc est excellente, tandis que la France argue que la coopération avec ce pays s'améliore. "Chacun peut avoir une stratégie bilatérale différente, plus ou moins punitive", observe la même source. "Et puis d'autres considérations, liées à l'énergie, à l'économie ou aux affaires étrangères, peuvent entrer dans l'équation." Cela vaut sans doute aussi pour l'Algérie, sur laquelle misent les pays européens, à commencer par l'Italie, pour réduire leur dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.
"L’UE pourrait faire plus"
Sur papier, "l'Union européenne pourrait faire beaucoup plus" pour accélérer les retours, assure Marc Bossuyt, ancien commissaire général aux réfugiés et aux apatrides en Belgique, citant, outre la politique des visas, les outils économiques, commerciaux et l'aide au développement. "Si tous les États membres et l'UE adoptaient une position commune pour expliquer à des pays d'origine qu'ils doivent reprendre leurs citoyens, ils le feront", assure M. Bossuyt. Sauf que, selon la pression migratoire plus ou moins forte qu'ils subissent, "les pays de l'UE sont confrontés à cette problématique d'une manière différente". Et y accordent donc plus ou moins d'importance.
On en revient donc au vieux débat sur le partage de la responsabilité de l'accueil et de la gestion des réfugiés et des migrants, que les Européens ne parviennent pas à trancher depuis la crise de l'asile de 2015.
Dans un document informel que La Libre a consulté, les Pays-Bas, dont les capacités d'accueil des candidats à l'asile ont atteint leur limite, plaident certes pour se servir davantage du levier de la politique de visas. Mais exigent dans la foulée le respect du règlement de Dublin, en vertu duquel les pays de première entrée dans l'UE doivent assurer l'accueil et la gestion des demandeurs d'asile - y compris le retour des candidats déboutés. Les Néerlandais exigent donc d'agir face aux mouvements secondaires des migrants qui poursuivent leur route, vers l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique… Ce à quoi les pays du Sud répondront qu'ils font ce qu'ils peuvent en l'absence d'une solidarité européenne établie en matière migratoire.
Spoiler : ces problématiques ne seront pas résolues ce jeudi. Ni même au sommet européen des 9-10 février, convoqué notamment pour tenter de relancer les discussions de haut niveau sur ce sujet clivant…