Pour beaucoup de migrants, envisager le retour peut être difficile : "Il y a ce sentiment d'avoir échoué"
Entretien avec Anne Dussart, responsable Asile et Migration pour Caritas International en Belgique. L'ONG soutient et accompagne les migrants qui décident, volontairement, de rentrer et veille à leur réintégration. Prendre conscience de cet enjeu humain, c’est comprendre pourquoi certains gouvernements rechignent à faciliter les retours forcés de leurs ressortissants.
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- Publié le 26-01-2023 à 11h30
Pour beaucoup de personnes qui ont réussi à atteindre l'Europe, parfois au prix de grands sacrifices, retourner dans leur pays d'origine reste un choix difficile. "Il y a ce sentiment d'avoir échoué son parcours migratoire", explique Anne Dussart, responsable opérationnelle Asile et migration pour Caritas International en Belgique. L'ONG soutient et accompagne les migrants qui optent, volontairement, pour un retour et veille à leur réintégration.
Prendre conscience de cet enjeu humain, c’est comprendre aussi pourquoi certains gouvernements rechignent à faciliter les retours forcés de leurs ressortissants, au-delà des considérations économiques - les sommes envoyées par les exilés à leur famille peuvent représenter une part considérable du PIB de certains pays.
Pourquoi le retour est-il envisagé ?
C’est souvent quand une personne se trouve dans une situation de très grande précarité qu’elle songe au retour. Il y a aussi la fatigue liée à l’absence de futur en Belgique. Pour des personnes plus âgées, cela peut être l’aspect culturel, le mal du pays, l’envie de goûter à nouveau la nourriture traditionnelle, entendre la musique locale. Pour d’autres, cela peut être lié à des événements familiaux. Les raisons peuvent être très variées. Mais il faut encore parvenir à se mettre dans une optique de retour, après avoir enclenché, pour certains, tant de procédures, investi tant d’efforts pour pouvoir rester en Belgique.
D’où l’importance de l’aide à la réintégration fournie via le programme belge de retour volontaire…
Le support d’un partenaire local de Caritas et le financement sont d’une grande aide. L’enjeu n’est pas tant l’argent. Mais le projet de vie, l’activité génératrice de revenus qui sera exercée sur place. La préoccupation, c’est "comment subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille". Pour beaucoup, il y a cette idée de responsabilité vis-à-vis de leurs proches.
Quelles sont les difficultés sur place ?
Au début, un projet de réintégration reste toujours très flou. Avec le partenaire Caritas sur place, il faut donc se poser et réfléchir calmement aux options. [Le programme de retour] pousse très fort sur l’entreprenariat des personnes. Mais on parle d’environ 2 500 euros d’aides, ce n’est pas non plus un montant qui va permettre de créer une entreprise. Certains ne s’y connaissent pas trop. Donc, si une personne veut acheter une voiture pour faire le taxi, mais que le partenaire local sait que cela n’est pas porteur par exemple, il peut l’aiguiller un peu. J’ajoute que pour les individus souffrant de maladies, ce n’est pas évident de trouver l’équilibre entre l’accès aux soin, l’achat de médicaments et le lancement d’une activité.
Mais, surtout, il y a la difficulté de renouer avec la famille. Avec cette honte de rentrer, surtout quand tout le monde a cotisé pour faire partir le jeune. De plus, la personne qui a migré aura eu tendance à dire que tout se passe bien en Europe. Rentrer, c’est avouer le contraire de ce qu’on disait. C’est pesant psychologiquement. C’est là que la médiation peut jouer un rôle. Parler de la "défaite" en Europe fait aussi partie de la réintégration.
Pour quels types de projets optent-ils ?
Ce sont souvent des projets très humbles. Certains ouvrent une petite épicerie, d’autres un magasin de vente et réparation de téléphones portables. Ils peuvent aussi s’orienter vers l’agriculture, en achetant une ou deux vaches...
Y a-t-il beaucoup d’échecs ?
Certains peuvent être confrontés à des difficultés, dont ils ne sont parfois pas responsables. Par exemple, si quelqu’un a acheté des grains juste avant une sécheresse. Ou si un tracteur acheté en deuxième main a besoin d’un nouveau moteur. Via le projet belge, on peut injecter un peu d’argent supplémentaire en cas de force majeure pour que la personne puisse continuer son projet. De notre expérience, les personnes réussissent assez bien. Cela dit, évidemment, les gens sont libres, ils peuvent à nouveau migrer, bouger dans des pays tiers.