Le témoignage émouvant de Gidon Lev, enfant rescapé du ghetto de Terezin : "J’avais faim. Tout le temps"
Parmi les 15 000 enfants juifs qui furent détenus par les nazis à Theresienstadt, seule une centaine survécut. Gidon Lev est l’un d’eux. Il témoigne à La Libre.
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- Publié le 28-01-2023 à 08h02
Gidon Lev, à l’âge de six ans, vous êtes déporté à Terezin avec votre maman et vous restez quatre ans dans ce ghetto. Quels sont vos souvenirs de ce faux village de province que les nazis ont aménagé en 1944 pour duper la Croix-Rouge internationale ?
Quand les Juifs sont arrivés au camp en provenance du Danemark, le gouvernement danois a demandé aux Allemands de voir comment leurs citoyens étaient traités. Les Allemands se sont dit : ah, on peut utiliser ceci comme une bonne propagande ! Alors qu’ont-ils fait ? Au milieu de Terezin, il y avait un square avec des arbres et une pelouse. Je n’avais jamais été là auparavant. Lorsque la délégation est arrivée, ils sont allés nous chercher dans notre baraquement, le “Dresden” . Ils nous ont mis dans un camion et amené sur place. Ils avaient installé des balançoires et des toboggans. Ils nous ont dit : “Jouez ! ”. Que font des enfants de sept-huit ans ? Ils jouent !
Avez-vous reçu quelque chose à manger ?
Ils nous ont donné des bonbons. Les caméras filmaient. Ils avaient aussi imprimé des billets, comme au Monopoly, qu’ils distribuaient aux Juifs. Ils avaient ouvert des magasins et que vendaient-ils dans ces magasins ? Les affaires des Juifs venus dans le dernier transport. Les Juifs n’avaient aucun contrôle de ce qui se passait, car à la minute où le commandant en second décidait qu’il fallait un millier de personnes pour le prochain convoi (vers Auschwitz, NdlR), il fallait s’y plier.
De ces journées où Terezin avait été “embellie” par les nazis, quels sont vos souvenirs ? Étiez-vous heureux ?
Je ne peux pas dire que j’étais malheureux. Mais j’avais faim. Tout le temps. Un camion rempli de pain alimentait parfois le camp. Il fallait porter le pain dans l’entrepôt. Hommes et femmes s’occupaient de cela. Nous les enfants, nous avons demandé de participer. Nous voulions faire quelque chose mais aussi subtiliser des miches de pain… Un jour, alors que nous avions terminé, nous avons aperçu dans un coin un tonneau qui avait contenu de la confiture. Nous avons raclé le fond, ce qui nous a permis d’avoir quelque chose à mettre sur le pain.
Que pensez-vous de cette fameuse photo où l’on voit des détenus regarder fixement le délégué du CICR, Maurice Rossel, alors qu’ils sont censés écouter un orchestre qui jouait sur le kiosque ?
Ils avaient peur. Ils appelaient à l’aide. Ces gens, par après, ont été emmenés à Auschwitz. Nous ne savions pas qu’il y avait la mort, des chambres à gaz, à Auschwitz. Nous savions que c’était mauvais. Mais personne n’était revenu de là en disant : ils tuent les gens par milliers. Neuf mille chaque jour ! Je n’ai jamais compris pourquoi les Britanniques ou les Américains n’ont pas détruit le rail qui menait à Auschwitz. Cela n’aurait pas arrêté, mais ralenti le nombre de morts.
Votre père a été déporté également à Auschwitz ?
Mon père est resté à Terezin jusqu’en 1944 avant d’être envoyé à Auschwitz. Il a fait partie d’un groupe soumis à une expérimentation du Dr Mengele. Je pense qu’il avait le typhus. Puis il a été envoyé à Buchenwald. Le 27 janvier 1945, l’armée russe a libéré Auschwitz. Il est mort à Buchenwald dix jours plus tard. S’il était resté à Auschwitz, il aurait peut-être survécu.
Et vous avez survécu.
Oui, avec ma mère. Nous sommes restés à Terezin. Elle travaillait 10 à 12 heures par jour à la taille des micas, une pierre qu’elle devait limer au couteau et qui était utilisée comme isolant électronique. Comme elle travaillait bien, elle a été sauvée. Parce que j’avais moins de dix ans, je restais avec elle dans le même baraquement. Les enfants avaient leurs activités, mais eux aussi, ont été envoyés dans les camps de concentration. C’était pénible. Ceux qui avaient douze-quatorze ans s’entraidaient. Ils devenaient amis. Et soudain, à 8 heures, 11 heures, 17 heures, ils étaient envoyés au train. Ils pleuraient. Des 15 000 enfants de zéro à seize ans qui sont passés par Terezin, seulement une centaine sont restés vivants. Et je suis l’un des leurs. J’ai eu cette chance.
Que dites-vous aux jeunes d’aujourd’hui qui n’ont pas connu la guerre ?
Qu’il faut savoir ce qui s’est passé et comment des gens comme Mussolini ou Hitler ont reçu tant de pouvoir pour commettre tant de destructions. Vous devez en être conscients et le combattre de toutes les façons possibles. Faites du monde un monde meilleur !