Sur les pas audioguidés de la prostitution, le plus vieux métier du monde
Une application permet de découvrir l’histoire berlinoise du plus vieux métier du monde. Un parcours guidé aux accents militants.
- Publié le 29-01-2023 à 08h17
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C’est une manière inhabituelle de visiter l’arrondissement berlinois de Schöneberg, et plus exactement le quartier dit de “Bülow”. Depuis le 1er décembre, les visiteurs peuvent suivre un parcours audioguidé, téléchargeable sur leur smartphone, sur le thème de la prostitution. Répondant au nom de “Nous avons toujours été là”, cette application revient sur la longue histoire de la prostitution dans ce quartier du sud-ouest de la porte de Brandebourg.
Le parcours débute à la station de métro Bülowstrasse, l’une des premières de la ville, et dont la construction à la fin du XIXe siècle a accéléré l’arrivée de travailleurs immigrés et donné un élan à la prostitution. Aujourd’hui encore, c’est ici que se concentrent bon nombre de lieux de “plaisir” de la capitale. Berlin compte officiellement près de 8 000 travailleurs et travailleuses du sexe, la plupart salariés dans des maisons closes. Un chiffre qui ne comprend pas ceux et celles qui travaillent de manière illégale.
”S’ils savaient, nous traiteraient-ils différemment ?”
À l’origine de cet audioguide se trouvent le musée gay de Berlin, qui se trouve dans ce même quartier, et un syndicat des travailleurs et travailleuses du sexe. Emma Pankhurst – pseudonyme choisi en référence à la suffragette britannique du même nom — en est l’une des initiatrices. “Nous avons eu l’idée de ce projet durant la crise du coronavirus”, explique cette Américaine aux cheveux auburn, qui travaille dans une maison close. “Tout a débuté par une discussion avec une autre activiste sur les raisons de la hausse des violences contre les travailleurs du sexe, depuis le covid, et particulièrement dans ce quartier où les gens travaillent dans la rue. Il y a toujours eu de la violence contre eux dans ce quartier mais cela a empiré récemment. Nous avons donc parlé du fait que la prostitution est très profondément ancrée dans l’histoire locale. Nous nous sommes demandées si les gens du quartier savaient depuis combien de temps nous travaillons dans ces rues, c’est-à-dire depuis plus d’un siècle. S’ils le savaient, nous traiteraient-ils différemment ?” demande la jeune femme.
Emma Pankhurst et trois de ses collègues ont ainsi passé une année à mener des recherches historiques sur le sujet et obtenu 25 000 € de financements de la part de la ville de Berlin. “Ce que l’on entend sur la prostitution dans l'histoire est très limité et très biaisé, et souvent uniquement débattu sous l’angle de la pauvreté”, constate-t-elle. “On ne parle pas du fait que les travailleurs du sexe sont des gens. C’est cela que l’on veut changer”, ajoute la jeune femme.
Une visite très militante
Avec cet audioguide gratuit, les visiteurs découvrent des lieux, anciens ou existants, comme l’eldorado, night-club mythique des travestis, fermé par les nazis en 1933. Dans un quartier aujourd’hui en pleine transformation, où la pression immobilière s’accroît, on découvre aussi les rares hôtels qui acceptent encore des clients à la demi-heure et on entend des témoignages sur la difficulté à travailler dans la rue, quand des familles s’installent dans ce quartier désormais coté. Au fil de la visite, une dizaine de personnes témoignent, de manière anonyme, sur leurs conditions de travail, la peur du sida, l’arrivée de jeunes filles venues des pays de l’Est avec la chute du mur de Berlin, ou encore sur les effets du coronavirus.
Cette visite du quartier de Schöneberg se veut aussi très militante. Et pour cause, le syndicat des travailleurs et travailleuses du sexe plaide pour une dépénalisation totale du métier. Si la prostitution est autorisée en Allemagne, elle l’est sous condition avec l’obligation de s’enregistrer auprès des autorités, de se soumettre à des tests sanitaires stricts et d’utiliser des préservatifs. Ceux qui s’y refusent sont sanctionnés. Une loi qu’Emma Pamkhurst critique pour ses effets pervers, notamment en ce qui concerne la lutte contre la transmission du sida. “L’Allemagne est l’un des pays où il est le plus difficile d’imposer au client le port du préservatif. Ils assument que ce n’est pas de leur responsabilité de lutter contre la transmission du virus HIV car nous sommes contrôlées et suivies médicalement, de manière obligatoire. Cela donne une fausse impression terrible”, raconte-t-elle.
Emma Pamkhurst et ses collègues demandent ainsi de pouvoir travailler de manière tout à fait légale, sans encadrement particulier. Histoire d’être reconnus comme une profession comme les autres. C’est cela aussi l’un des objectifs de cet audioguide.