Plus essentielle que jamais, la Cour européenne des droits de l’homme réclame plus de moyens
Le nombre d’affaires pendantes augmente, notamment celles concernant la Belgique. Elles sont pour l’essentiel liées à la saturation des hébergements pour demandeurs d’asile.
Publié le 01-02-2023 à 14h08
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Nous avons besoin de plus de ressources”, a déclaré jeudi dernier Siofra O’Leary, première femme à présider la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Un constat alarmant prononcé lors de la présentation du bilan 2022 de l’institution, organisée en parallèle de la session d’hiver de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. La Cour est en effet la plus puissante émanation de cette vaste organisation qui compte aujourd’hui 46 États membres, le 47e – la Russie – en ayant été exclu en mars 2022 après l’invasion armée de l’Ukraine.
La violence du conflit entre deux de ses États membres a mis l’institution strasbourgeoise face à un terrible constat d’échec, son but étant, dès sa création en 1947, la sauvegarde de la paix sur le continent en s’appuyant sur la défense de la démocratie, des droits humains et de l’état de droit. Pour y faire face, un sommet des chefs d’État et de gouvernement souvent présenté comme celui “de la dernière chance” a été programmé les 16 et 17 mai prochains à Reykjavik.
Lors d’une prise de parole devant l’hémicycle mardi, la ministre des Affaires étrangères allemande Annalena Baerbock a insisté dans ce cadre sur l’importance de l’exécution des arrêts de la CEDH en tant que “système d’alerte précoce” quant au risque de voir une démocratie glisser vers l’autocratie. Importance soulignée également par la secrétaire générale du Conseil de Marija Pejčinović Burić. “Il ne faut pas que les droits de l’homme soient considérés comme une curiosité du XXe siècle”, a-t-elle déclaré.
Or, la CEDH doit faire de plus en plus avec des moyens trop étriqués. Soit 76 millions d’euros par an, a précisé Siofra O’Leary alors que le nombre d’affaires pendantes (identifiées comme recevables mais non encore traitées) est reparti à la hausse après plusieurs années de baisse liée essentiellement à la mise en place de nouvelles procédures. Elles sont aujourd’hui au nombre 74 650 et l’on relève comme plus grands pourvoyeurs d’affaires, la Turquie (20 100 requêtes) et la Russie (16 700 requêtes).
27 % des affaires turques concernent les purges qui ont suivi le coup d’État raté de 2016. Les affaires russes continueront quant à elles à être traitées pour autant qu’elles concernent des faits survenus avant le 16 septembre 2022, date à laquelle la Russie n’a plus été liée à La Convention européenne des droits de l’homme, six mois après son exclusion du Conseil de l’Europe le 16 mars. Toutes les affaires concernant des faits survenus avant cette dernière date seront dès lors prises en compte par la Cour qui, lorsqu’un arrêt s’imposera, mandatera un de ses 46 juges (un par État membre) en remplacement du juge russe parti ce même 16 septembre.
Augmentation du nombre des affaires belges
Le flot n’est donc pas près de s’arrêter même si l’exécution des arrêts tient, à ce stade, du vœu pieux. Siofra O’Leary en est consciente mais précise “qu’un juge doit faire son travail” et que “ces jugements auront une grande valeur”. Ne serait-ce qu’au titre de la jurisprudence comme l’a prouvé un arrêt prononcé en janvier en matière de défense des droits des personnes LGBTI (Fedotova vs Russie).
”Près de 10 200 requêtes pendantes concernent des conflits entre États : Russie/Ukraine, Arménie/Azerbaïdjan, Géorgie/Russie”, a aussi signalé la présidente. Elles seront traitées “de façon prioritaire” et “nécessitent beaucoup de ressources”.
Mercredi dernier, la Cour a d’ailleurs annoncé qu’elle statuera sur les requêtes des Pays-Bas et de l’Ukraine relatives au crash du vol MH17 en 2014, dans la région de Donetsk. Imputé au régime russe, il avait fait 298 victimes.
En 2022, la CEDH a statué sur quelque 39 570 requêtes et prononcé 4 168 arrêts (1 000 de plus qu’en 2021). Treize d’entre eux concernent la Belgique (dont “l’arrêt phare” rendu dans l’affaire Mortier concernant l’euthanasie pour raisons psychiques). À noter aussi, l’augmentation du nombre d’affaires belges pendantes : 233 au 1er janvier 2022, 1 228 un an plus tard.
”Elles sont pour l’essentiel liées à la saturation des hébergements pour demandeurs d’asile”, a précisé la présidente. Après avoir été déboutés par les autorités judiciaires belges, beaucoup d’entre eux sont tournés vers la Cour européenne des droits de l’homme. En dernier recours.