Réforme des retraites en France: une rue qui gronde et des députés de la majorité qui hésitent
Une majorité de députés n’est pas acquise pour faire adopter la réforme des retraites. Des parlementaires de la droite pourraient ne pas approuver le projet de loi. C’est aussi le cas d’élus de la majorité d’Emmanuel Macron. Trois d’entre eux en expliquent les raisons.
Publié le 01-02-2023 à 07h37 - Mis à jour le 02-02-2023 à 09h07
1,272 million de personnes ont manifesté ce mardi en France contre la réforme des retraites, selon le ministère de l’Intérieur. Cela place cette journée de mobilisation en tête des plus grandes manifestations sociales depuis 1995. D’après les syndicats, ils étaient même 2,8 millions à protester contre le projet de loi qui vise à repousser l’âge de départ de 62 à 64 ans en 2030. Lors du premier acte de la contestation du projet-phare du deuxième quinquennat du président Emmanuel Macron (Renaissance), le 19 janvier, le ministère de l’Intérieur avait déjà décompté 1,12 million de manifestants. D’après les syndicats, ils étaient plus de 2 millions.
Alors que l’examen de la réforme a débuté ce lundi en commission à l’Assemblée nationale, le gouvernement est inquiet. Il ne s’attendait pas à un tel rejet qui se traduit aussi dans les enquêtes d’opinion. Selon un sondage Elabe pour BFM TV publié le 25 janvier, 72 % des Français s’opposent à la réforme des retraites, soit treize points de plus en deux semaines. Autre donnée importante : 52 % des électeurs d’Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle sont contre le projet de loi.
L’exécutif est d’autant plus anxieux que le vote s’annonce serré. Pour faire adopter le texte à l’Assemblée nationale sans passer en force avec le 49.3, le gouvernement, qui ne dispose que d’une majorité relative, doit convaincre 289 députés. Il comptait sur les 249 élus des trois groupes du camp présidentiel (Renaissance, MoDem et Horizons) ainsi que sur les 62 élus Les Républicains (LR).
Problème : des députés LR, de la droite sociale notamment, ont décidé de tourner le dos à leur nouveau président, le très droitier Éric Ciotti, qui avait assuré son soutien à l’exécutif. D’après un pointage des députés LR réalisé par France Inter et dévoilé le 24 janvier, sur les 42 des 62 élus qui ont répondu à la radio, seize voteraient contre le texte à ce stade, quinze pour, sept s’abstiendraient et quatre se sont déclarés indécis.
Pire encore : selon un comptage publié lundi, sur les 153 des 249 députés de la majorité qui ont répondu à France Inter, sept voteraient contre le texte en l’état, cinq s’abstiendraient et trois se disent indécis.
Oser s’opposer
Parmi ces élus du camp présidentiel qui désapprouvent la réforme présentée par l’exécutif, figure le député de l’Hérault Patrick Vignal (Renaissance). “Je souhaite que cette réforme soit juste. La politique, c’est avant tout de la chair et de l’humain, pas un tableau Excel. Et au lieu de cirer les pompes d’Emmanuel Macron, je lui donne le retour du terrain.”
”Je ne reçois pas de pression de mon camp mais disons que ça agace”, glisse la députée du Val-d’Oise Cécile Rilhac (Renaissance), et membre du mouvement En commun porté par l’ex-ministre Barbara Pompili.
”Je ne suis pas un frondeur”, insiste le député du Loiret Richard Ramos (Modem). ” Un frondeur, il veut faire tomber le gouvernement. Moi, je veux qu’il réussisse. Mais je ne suis pas un godillot non plus. Quand il faut rectifier le tir, quand il y a des angles morts, je le dis.”
Double frustration
Et les trous dans la raquette sont nombreux à en croire ces députés. Sans être contre le report de l’âge légal de départ à la retraite, ils tiennent peu ou prou les mêmes propos. “Avec notre groupe En commun, nous aimerions des avancées sur la pénibilité du travail, sur les carrières longues, pour les jeunes, les femmes…” énumère Cécile Rilhac.
Concernant les femmes d’ailleurs, même le ministre des Relations publiques avec le Parlement, Franck Riester (Renaissance), a admis qu’elles seraient “un peu pénalisées” par le report de l’âge de départ à la retraite.
”Et puis, il y a la question de l’emploi des seniors”, souligne Richard Ramos. ” Ils ont parfois travaillé toute leur vie, ils ont grimpé les échelons et puis, à 50-55 ans, des entreprises s’en séparent pour embaucher des jeunes, moins chers. Et en plus, on a durci les conditions d’accès au chômage. Nous devons donc mieux protéger les seniors. Cela pourrait se traduire par l’instauration d’un malus, lourd, afin de dissuader les entreprises de les licencier.”
Patrick Vignal évoque une autre problématique : la natalité. 30 % des Françaises entre 18 et 49 ans ne désirent pas d’enfant, selon un sondage Ifop pour le magazine Elle, publié le 28 septembre 2022. Or si le taux de natalité continue de baisser, celui des actifs aussi, et le problème s’amplifiera. “Ça, ça devrait inquiéter le monde politique”, lâche le député. ” En fait, cette réforme amène un débat bien plus large, un débat de fond sur notre société, sur notre relation au travail aussi.”
”Cette réforme pose en effet des questions bien au-delà du report de l’âge de départ à la retraite, mais elle ne les traite pas, et c’est très frustrant”, regrette Cécile Rilhac, également refroidie par les premiers débats à l’Assemblée nationale. ” Nous avons déposé des amendements sur les avancées que vous voulions, aussi pour réparer les injustices du système actuel, et les trois-quarts d’entre eux sont irrecevables, parce que nous sommes dans le cadre d’un projet de loi budgétaire ou parce qu’ils sont considérés comme des cavaliers législatifs.”
En d’autres termes, les demandes impliquant une hausse budgétaire ou dépourvues de lien suffisant avec le texte sont refusées.
”Pas prêts à signer un chèque en blanc”
”Mais un autre texte issu du projet de notre gouvernement doit arriver : la loi du plein-emploi”, poursuit Cécile Rilhac. ” Si nos amendements ne sont aujourd’hui pas pris en compte, nous aurons besoin de garanties très fortes du gouvernement pour voter la réforme des retraites. Nous voulons que ce projet de loi spécifique au travail traite tous ces sujets que sont la pénibilité, l’emploi des seniors, des femmes et des jeunes, ainsi que tout le débat sur notre société et notre rapport au travail. La réforme des retraites est une nécessité pour défendre notre système mais nous ne sommes pas prêts à signer un chèque en blanc.”
Alors que les syndicats ont annoncé deux nouvelles journées de mobilisation, les 7 et 11 février, ces garanties semblent indispensables pour convaincre des députés de la majorité hésitants. Mais même avec un bloc présidentiel au complet derrière la réforme, le gouvernement doit encore amener 40 députés LR à le rejoindre. Sans quoi, l’exécutif pourrait utiliser, une nouvelle fois, le 49.3.