Un sommet entre l’Espagne et le Maroc pour mettre en scène leur lune de miel
Après la déclaration de soutien à la position du Maroc sur la souveraineté du Sahara occidental, Rabat veut montrer au monde que ce geste paye.
Publié le 01-02-2023 à 11h00 - Mis à jour le 02-02-2023 à 13h39
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Mettre en scène l’entente retrouvée, après le geste de l’Espagne en direction du Maroc sur l’épineuse question du Sahara occidental. C’est tout l’enjeu du sommet qui doit se tenir, mercredi et jeudi, à Rabat, entre les gouvernements espagnol et marocain. Le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, doit traverser la Méditerranée accompagné de 12 ministres, pour rencontrer son homologue marocain, Aziz Akhannouch, entouré de ses ministres. L’état de la relation entre les deux voisins détermine la qualité de leur coopération dans des domaines dont certains intéressent l’ensemble de l’Union européenne.
Le rendez-vous doit aussi servir à donner corps aux démonstrations de rapprochement entre les deux royaumes, très symboliques jusque-là. Une vingtaine d’accords devraient être signés. La coopération en matière d’énergies vertes et les relations entre les entreprises des deux pays devraient occuper une place de choix dans les discussions.
“Il faut redonner une impulsion à cette relation, après des années de froid et de crise”, estime Haizam Amirah Fernández, expert des relations entre les pays méditerranéens à l’institut royal El Cano, à Madrid. “La dernière réunion de haut niveau s’est tenue en 2015, alors qu’elle devrait avoir lieu tous les ans.” En mars dernier, une lettre de Pedro Sánchez au roi du Maroc, Mohamed VI a tout débloqué. La missive annonçait que l’Espagne considérait la proposition marocaine sur le statut du Sahara occidental comme “la plus sérieuse, crédible et réaliste”.
Le Sahara occidental, l’alpha et l’oméga de la politique extérieure marocaine
Ancienne colonie espagnole dont le statut n’a toujours pas été tranché depuis sa décolonisation, cette bande de territoire au sud-ouest du Maroc est revendiquée par Rabat, qui propose un statut d’autonomie à l’intérieur des frontières de son royaume. Mais l’autorité sahraouie, incarnée par le Front Polisario, veut un référendum pour que les habitants décident s’ils veulent se rattacher au royaume chérifien ou former un État indépendant. Pour le Maroc, toutes les relations extérieures sont conditionnées par cette question.
“Avec ce sommet, le gouvernement espagnol veut montrer à l’opinion publique que ce tournant (impopulaire en Espagne, NdlR) donne des résultats. Et Rabat veut montrer aux autres pays que le geste de P. Sánchez est payant”, analyse l’expert des relations entre les deux pays.
Côté espagnol, le dossier prioritaire est le contrôle des frontières. La proximité géographique entre les pays en fait un point de passage privilégié de migrants depuis l’Afrique vers l’Europe. L’Espagne pousse son voisin du sud à s’impliquer toujours plus pour empêcher les passages d’un côté à l’autre de la frontière. Par la mer, autour du détroit de Gibraltar ou sur les îles Canaries, ou par voie terrestre, dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, dans le nord du Maroc.
Le contrôle de l’immigration préoccupe autant à Madrid qu’à Bruxelles
L’UE aussi pousse dans ce sens. “L’Espagne n’est pas seulement un pays de destination, c’est aussi un pays de transit vers le reste de l’Europe”, rappelle Haizam Amirah Fernández. La bonne relation de l’Espagne avec le royaume Chérifien touche directement les intérêts de l’UE. “Permettre l’arrivée d’un plus grand nombre de migrants est une façon de transmettre des messages.” Pour ne pas dire un moyen de pression.
Le sujet ne sera pas au menu des conversations. “Mais cette stratégie de l’UE et de l’Espagne a des conséquences létales pour de nombreuses personnes. Depuis 2005, nous assistons à des violations des droits humains en raison de la brutalité des interventions pour empêcher les passages. Comme en juin 2022, à la frontière avec Ceuta, où au moins 37 personnes sont mortes, et 77 ont disparu”, dénonce Virginia Álvarez, porte-parole de l’ONG Amnesty International en Espagne.
Par ailleurs, le 19 janvier dernier, le Parlement européen a voté une résolution demandant au Maroc de “respecter la liberté d’expression”, “la liberté des médias” et de “garantir aux journalistes incarcérés un procès équitable”. Le texte fait référence au journaliste Omar Radi, emprisonné depuis 2020, ou encore à celui du journaliste espagnol spécialiste du Maghreb Ignacio Cembrero, victime de harcèlement judiciaire. La majorité des députés du parti du Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, le PSOE, n’ont pas voté cette résolution. “Avec l’étape actuelle de lune de miel que vivent le gouvernement espagnol et le gouvernement marocain, le premier aurait pu demander aux autorités marocaines qu’elles retirent leur action en justice contre moi. Il ne l’a pas fait”, regrette Ignacio Cembrero. Certains soupçonnent l’Espagne de ménager son voisin du sud pour éviter un nouvel épisode de dégradation des relations.