À Volgograd, Vladimir Poutine a voyagé dans le temps et emmené dans sa délégation le nouveau chouchou de la propagande russe
En déplacement sur les rives de la Volga, le président russe a, lors de son court discours, abondamment comparé la bataille de Stalingrad à son offensive en Ukraine. La Russie, selon lui, est “à nouveau” menacée par des “chars allemands”. Un reportage de notre envoyé spécial à Volgograd
Publié le 02-02-2023 à 18h00 - Mis à jour le 03-02-2023 à 09h33
Père de famille, la trentaine, Andreï a tenu, jeudi, à “rendre hommage à (ses) proches, pour que ça ne se reproduise plus jamais”. Avec son fils, il est venu assister à un défilé militaire dans le centre-ville de Volgograd, anciennement Stalingrad, sur les rives de la Volga. La bataille de 200 jours a pris fin il y a exactement 80 ans. Elle avait permis aux Soviétiques de créer un tournant dans ce qu’on appelle en Russie la Grande Guerre patriotique. Le 2 février 1943, les troupes du maréchal allemand Friedrich Paulus avaient capitulé, cette reddition était la première de l’armée nazie depuis le début de la Seconde Guerre mondiale. Plus de 800 000 militaires et civils étaient morts durant ces combats.
Jeudi, Vladimir Poutine s’est rendu sur place pour créer un lien entre les deux guerres, celle d'hier et celle d'aujourd'hui. Andreï, lui, ne fait pas naturellement ce lien. “Ce qui se passe en ce moment, on ne le voulait pas mais l’Occident nous a forcés à protéger nos frontières. Il y a Rostov, Voronej, on ne pouvait pas laisser l’Otan s’installer à proximité de ces villes”, explique-t-il, sans vraiment pouvoir décrire la nature de la menace qui aurait rendu la guerre indispensable. Il hésite. “Il y avait des menaces pour notre vie, j’imagine qu’une invasion de notre pays était possible..”
La ville la plus patriotique du pays
À Volgograd, les 1er et le 2 février ont été déclarés non travaillés le temps de célébrations en grande pompe. Des dizaines d’expositions ont été organisées, des concerts et des hommages sur les nombreux monuments de la ville ont eu lieu. Fait notable, un buste de Staline a été inauguré mercredi midi, rappel que toute la société russe n’est pas au clair avec l’histoire complexe de son pays.

Pour Vladimir Poutine, qui a effectué un rare déplacement en dehors de ses bureaux jeudi, l’occasion était trop belle. Volgograd, par son sacrifice durant la guerre, auquel de nombreux Ukrainiens ont contribué à l’époque au sein des troupes soviétiques, est considérée comme la ville la plus patriotique du pays. À plusieurs reprises, ces dernières semaines, certains commentateurs de l’offensive en Ukraine ont osé comparer la bataille de Soledar, dans le Donbass ukrainien, avec celle de Stalingrad. Adepte de l’usage politique de l’histoire, le président russe avait passé le mot d’ordre aux organisateurs des festivités : la guerre en Ukraine doit être présentée comme une suite de la Seconde Guerre mondiale.
Jeudi matin, dès la parade militaire, des tanks “engagés dans l’opération spéciale en Ukraine” ont défilé au côté de tanks de l’époque. “Notre ville est encore aujourd’hui protectrice de la Russie en ces temps d’opération spéciale”, a commenté la voix de la cérémonie. Perché sur sa colline, éloigné des Russes par des centaines de policiers en uniforme et en civil, Vladimir Poutine a poursuivi la comparaison après avoir déposé une gerbe au pied de l’impressionnant monument mémorial Mamaïev Kourgan. Lui, a mis les pieds dans le plat en faisant une référence au feu vert donné par les Allemands pour la livraison de leurs tanks à l’Ukraine, “les dernières terres d’Hitler”. “C’est incroyable mais c’est la vérité : nous sommes à nouveau menacés par les chars Leopard allemands avec des croix dessus, qui sont entre les mains des bandéristes”, a déclaré le président russe sans aucune modération. Les bandéristes sont les partisans du nationaliste ukrainien Stepan Bandera. Ce personnage controversé est érigé comme un ennemi commun par le Kremlin depuis 2014.
Vladimir Poutine a de nouveau justifié son intervention en Ukraine par une lutte contre le nazisme. “L’idéologie nazie moderne menace de nouveau directement la sécurité de la Russie”, a-t-il affirmé avant de promettre aux Russes, une victoire semblable à celle de Stalingrad.
“La vérité est de notre côté, elle est dans la nature de notre peuple multinational. La continuité des générations, des valeurs et des traditions rend la Russie et les Russes forts et confiants en eux-mêmes, en leur justesse et en notre victoire.”
Pierre de Gaulle, côté russe
Le chef d’État avait également emmené dans sa délégation le nouveau chouchou de la propagande russe, le petit-fils du général, Pierre de Gaulle. Le nom de famille est connu et évidemment respecté en Russie, d’autant plus depuis que l’homme a pris fait et cause pour le Kremlin. En quête de voix qui portent pour diffuser sa vision de la guerre en Ukraine, Moscou met régulièrement les petits plats dans les grands pour accueillir ses "prises de guerre". À chaque fois, la presse locale déroule le tapis rouge à ces personnages qui se voient ouvrir des portes rarement ouvertes aux étrangers. Face à la lutte contre ses agents d’influence en Europe, Russia Today en première ligne, Moscou a besoin de nouveaux relais en France. “La Russie apprécie hautement les évaluations objectives de la situation géopolitique actuelle promues par Pierre de Gaulle”, a déclaré le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, mercredi.
Quelques heures plus tôt, le Kremlin avait également affirmé qu’il ne marquerait pas la date de la première année de guerre en Ukraine, le 24 février prochain. Dans le même temps, dans une interview mise en ligne, Sergueï Lavrov admettait froidement lorgner sur la Moldavie. À la journaliste qui lui demandait quel pays pourrait “suivre le même chemin que l’Ukraine”, le ministre a répondu : “La Moldavie est considérée”.