Mort de Sihem : "Jamais j’aurais pensé qu’on ait une affaire pareille"
Mahfoud H., 39 ans, a avoué avoir tué la jeune femme retrouvée morte jeudi, avec laquelle il dit avoir eu "une relation amoureuse". Ce que contestent les proches et le village.
Publié le 02-02-2023 à 21h02 - Mis à jour le 02-02-2023 à 21h03
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"On avait encore espoir…" Le regard éteint, l’homme vient d’apprendre que le corps de Sihem Belouahmia, 18 ans, a été retrouvé quelques heures plus tôt, dans la nuit de mercredi à jeudi, dans une forêt toute proche. Alors, comme les autres, amis, cousins, ou simples connaissances de la famille de la victime, il est venu ici, devant le foyer communal de l’Habitarelle, pour témoigner de son soutien. Embrassades, accolades, chacun étreint l’autre pour tenter d’atténuer un peu sa peine. "La communauté algérienne ici est nombreuse et soudée. On est tous un peu cousins."
C’est dans ce quartier populaire de 300 à 400 habitants, coincé entre les Cévennes et le Gardon, au sud de La Grand-Combe, que Sihem a été vue la dernière fois. Le 25 janvier, elle rendait visite à sa grand-mère qui vit dans l’un des immeubles modestes de cette zone dépourvue de tout commerce. Puis Sihem n’avait plus donné de signe de vie.
Placé en garde à vue le 31 janvier, le suspect, Mahfoud H., 39 ans, a reconnu dans la nuit du mercredi à jeudi avoir tué la jeune fille. Peu après, il a conduit les enquêteurs vers le corps, au lieu-dit La Croix des Vents, en bordure d’un chemin de cette zone forestière située tout près de l’Habitarelle, sur la commune des Salles-du-Gardon. Même si elle doit être confirmée par des investigations scientifiques, l’identité du corps ne fait guère de doute.
"Le suspect a expliqué avoir eu un geste d’étouffement"
Lors d’une conférence de presse qui s’est tenue jeudi matin, Cécile Gensac, procureure de la République de Nîmes, confirmait plusieurs éléments déjà parus dans la presse : Mahfoud H. a déjà été condamné à treize reprises, cinq fois pour atteinte aux biens et huit fois pour des faits en lien avec la conduite d’un véhicule. Il avait notamment purgé douze ans de réclusion criminelle pour vol avec arme et était sous contrôle judiciaire pour une affaire similaire. Il devait comparaître mercredi dans le cadre d’un procès d’assises pour des faits de vol avec arme.
"Je suis ses dossiers et le connais depuis des années", explique Me Jean-Marc Darrigade qui devait le défendre ce jour-là. Il décrit son client comme ayant pâti d’un père "défaillant" : "Ce père a fondé deux familles, l’une à Saint-Etienne et l’autre dans la région de La Grand-Combe. Il a eu en tout 11 enfants. Les autres ont une vie normale, mais Mahfoud a pris le mauvais chemin. Il avait trouvé un travail chez un carrossier, puis l’a perdu. La justice ne l’a lâché que récemment."
Selon la procureure, Mahfoud entretenait avec Sihem une "relation amoureuse" – relation qu’a contestée l’avocat de la famille de Sihem Belouahmia à l’AFP –, malgré leur différence d’âge et leur lien de parenté. Mahfoud est en effet l’ex-compagnon d’une cousine de Sihem (cousine qui avait aussi été placée en garde à vue mardi). Ce serait dans le cadre de cette "relation amoureuse" qu’une dispute aurait éclaté, mais les circonstances exactes de la mort de la jeune fille restent obscures. "Le suspect a expliqué avoir eu un geste d’étouffement qui aurait mené à la mort de Sihem, raconte Jean-Marc Darrigade. Mais pour les enquêteurs, l’urgence était de retrouver le corps, pas de connaître les détails du crime."
A La Grand-Combe, les drapeaux sont en berne. "Nous n’avions jamais eu à vivre une telle situation, explique Patrick Malavieille, maire de cette ancienne cité minière. A part quelques incivilités, la ville est plutôt calme. Nous ne sommes que 5 000 habitants, tout le monde se connaît." Il est allé présenter ses condoléances aux parents de la victime. "Ils sont très dignes, et remercient les forces de police qui ont permis de retrouver leur fille. C’est très impressionnant."
"Un sale plan"
A deux pas de la mairie, dans un café, certains dissimulent mal leur colère : ils connaissent le suspect, racontent avoir grandi avec celui qu’ils qualifient aujourd’hui de "psychopathe", de "crapule", de "drogué". Un "vrai malade", disent-ils, "et pourtant père de 3 enfants". S’il était connu pour ses trafics ? "On peut vous dire qu’il a commencé tôt les conneries. Il vendait tout ce qu’il pouvait ! Comment un gars comme ça peut encore être en liberté ? Incompréhensible. Vous vous rendez compte ? Treize condamnations !" Tous sont révoltés par la thèse d’une relation amoureuse qui aurait mal tourné. Selon eux, la fin tragique de Sihem ne serait pas liée à une histoire de cœur mais à "un sale plan" de Mahfoud qui aurait mal tourné. "On savait que c’était lui dès que Sihem a disparu."
A l’Habitarelle aussi, on connait bien Mahfoud, "un enfant du quartier". "Tout le monde sait qu’il a mal tourné, raconte un habitant. Dès le lendemain de la disparition de Sihem, on est tous allés devant le domicile de Mahfoud pour lui demander des comptes. On savait tous que c’était lui." Mais ce jeudi, dans le quartier, le deuil fait taire la rage, la révolte et les rumeurs. Malgré le vent glacial, une cinquantaine d’hommes se tiennent devant le foyer communal et parlent à voix basse. "On va rester toute la journée, tout le temps qu’il faudra pour aider la famille", dit un homme qui se présente comme l’un des cousins de Sihem. "Je vais avoir 60 ans et ici, ça a toujours été calme. Jamais j’aurais pensé qu’on ait une affaire pareille", témoigne un autre. Les femmes se sont rassemblées un peu à part, dans la rue d’Alger. L’une d’elles, les yeux mouillés, a ces mots : "Sihem, c’était la fille de tout le monde."