Avec le prix Sakharov, le Parlement européen décerne son "Nobel des droits de l'homme"
La liste des lauréats du "prix Sakharov pour la liberté de l'esprit" décerné depuis 1988 par le Parlement européen est prestigieuse.
- Publié le 04-02-2023 à 11h00
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Nelson Mandela en fut le premier récipiendaire, alors qu'il était encore emprisonné en Afrique du Sud par le régime de l'apartheid. Lui ont notamment succédé des personnalités et organisations telles que l'auteure et militante féministe bangladaise Taslima Nasrin ; les mères argentines de la place de Mai ; les Nations unies, l'organisation citoyenne espagnole contre le terrorisme Basta Ya ! ; cinq représentants de pays sur lequel souffla le vent du printemps arabe ; l'opposant russe Alexandre Navalny et, en 2022, le peuple ukrainien. "Quand on regarde la liste des lauréats des vingt dernières années, on constate que plusieurs d'entre eux ont reçu ensuite le prix Nobel", fait observer l'eurodéputé conservateur allemand David McAllister (Parti populaire européen), président de la commission des Affaires étrangères (Afet) du Parlement européen : la militante pakistanaise Malala Yousafzai, qui s'est dressée contre les talibans, le gynécologue congolais Denis Mukwege, l'ONG russe Memorial…
Un prix qui attire l’attention
Dénommé d'après l'ancien scientifique et dissident soviétique Andrei Sakharov, ce prix est la manifestation la plus visible du rôle qu'entend jouer le Parlement européen en tant que défenseur des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Jouissant d'une importante renommée internationale, le Sakharov a, en certaines occasions, servi à attirer l'attention du monde sur des situations méconnues ou peu médiatisées en mettant en avant des personnes ou des groupes. Le choix du Parlement est délicat, parce que les candidats potentiels sont très nombreux. "Il faut que la cause ait déjà une certaine notoriété sans quoi personne ne parlera du prix, ce qui le rendra inutile", estime l'eurodéputé français Bernard Guetta. L'élu du groupe libéral-centriste Renew Europe juge aussi qu'il faut éviter de le décerner systématiquement "à un ou à des héros de 'la cause de l'année' qui n'a pas besoin de la lumière qu'apporte le Sakharov". L'ancien grand reporter rappelle qu'il avait, avec plusieurs de ses collègues de différents groupes, "fait un lobbying de tous les diables" pour que le prix 2019 soit attribué au militant et intellectuel ouïghour Ilham Tothi. "Ça a été dur parce qu'il y a quatre ans, personne ou presque ne connaissait les Ouïghours." Le prix a contribué à ce que le monde prête attention, et s'indigne de ce qui se passe au Xinjiang.
Au-delà de sa dimension de "lanceur d'alerte", le Sakharov a un objectif politique évident : "Les prix accordés aux défenseurs des droits de l'homme servent aussi à faire pression" sur les régimes dictatoriaux, constate une source du Conseil.
Considérations politiques
Le choix d'un lauréat s'effectue à l'issue d'un processus approfondi. Des noms sont proposés par les groupes politiques ou des députés (avec le soutien d'au moins 40 pairs) aux commissions Affaires étrangères et Développement, ainsi qu'à la sous-commission Droits de l'homme et Développement, qui étudient les candidatures. À l'issue d'un vote est arrêtée une liste de trois noms soumise à la conférence des présidents de groupes politiques qui effectue le choix final. Choix dont les motivations peuvent être très politiques, chacun poussant un candidat présélectionné en fonction de ses mérites, mais aussi des intérêts ou des affinités politiques de l'un ou l'autre groupe. L'attribution du prix à l'opposition vénézuélienne démocratique au président Maduro était une victoire des groupes de droite, qui avait provoqué l'amertume de la gauche de l'hémicycle. "Le choix du lauréat du prix donne parfois lieu à un combat entre groupes. Je souhaiterais que ce soit davantage une analyse des différentes situations", regrette le socialiste portugais Pedro Marques. "Nous devrions repenser ce processus qui se base peut-être trop sur une discussion politique entre groupes. On pourrait envisager un comité d'experts, comme pour d'autres prix, dont le Nobel, ou procéder à une élection du lauréat, avec une voix par député", s'interroge M. Marques.
Qu'importe le ton ou la teneur des négociations internes au Parlement, le prix Sakharov n'en concerne pas moins son aura et sa crédibilité. "Au final, on a toujours sélectionné quelqu'un qui le méritait", assure le Belge Philippe Lamberts, coprésident du groupe des Verts.