Guerre en Ukraine : Valéri Guerassimov, le général de Poutine fragilisé au milieu des loups
Le chef d’État-major, à qui l’on prête la création d’une doctrine tout sauf révolutionnaire, est au cœur des conflits, en Ukraine comme en Russie. Il vient d’être nommé à la tête des opérations de l’armée russe en Ukraine. Portrait.
Publié le 04-02-2023 à 15h00 - Mis à jour le 04-02-2023 à 15h04
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Le 11 janvier dernier, l’annonce, par les autorités russes, de l’éviction du général Sourovikine, placé quelques semaines plus tôt à la tête des opérations en Ukraine, a surpris nombre d’observateurs. Ce “boucher”, connu pour ses bombardements intensifs de zones civiles en Syrie, avait pourtant rempli sa mission principale en Ukraine : abandonner Kherson aux Ukrainiens en limitant les pertes.
Le 11 janvier, il a été remplacé par un homme, qui avait été temporairement désavoué, un fidèle du président russe Vladimir Poutine : le général Valéri Guerassimov.
Né en 1955 à Kazan (700 km à l’est de Moscou), fils d’une famille d’ouvriers, Valéri Guerassimov, 67 ans, numéro deux de l’armée, est vu par les Russes comme un militaire exemplaire dans une institution pourtant loin de l’être. La légende raconte que cet homme, qualifié de “militaire jusqu’au bout des cheveux” par le ministre de la Défense Sergueï Choïgou, a écrit ses premières nouvelles militaires à… 8 ans.
Souhaitant suivre l’exemple d’un grand-père et d’un oncle envoyés au front pendant la Grande guerre patriotique, comme on appelle en Russie la Seconde Guerre mondiale, il a réalisé un parcours universitaire exemplaire et s’est spécialisé dans le commandement de troupes blindées. En 1977, il a terminé ses études, non sans recevoir une médaille d’or, et rejoint le commandement de troupes soviétiques dans la ville de Borne Sulinowo en Pologne. Il dirigera ensuite d’autres bataillons en Extrême-Orient et dans le district militaire de la Baltique.
Remarqué en Tchétchénie
C’est finalement un conflit, la deuxième guerre de Tchétchénie, qui lui permettra de se faire connaître des Russes. Sa capacité à reprendre des villes et villages aux indépendantistes sera vite remarquée à Moscou. Mais c’est un autre fait qui fera sa renommée. Alors commandant de la 58e armée, il fera arrêter le colonel Iouri Boudanov. Ce gradé s’était rendu coupable de viol, torture et assassinat d’une adolescente tchétchène. Des faits communs au sein de l’armée, et rarement condamnés. Cette arrestation avait même poussé la plus fervente opposante au président russe, la journaliste Anna Politkovskaïa, à le qualifier “d’homme qui a réussi à maintenir la dignité des officiers dans le contexte de la guerre”.
Mais le système n’abandonnant jamais ses hommes- selon le célèbre slogan de l’armée russe -, Boudanov avait été libéré quelques années plus tard. Le nouveau leader de la région, Ramzan Kadyrov, en avait fait un scandale public, ce qui avait mené, peu après, à l’assassinat de l’ancien colonel.

L’uniforme couvert de médailles, Valéri Guerassimov apparaît régulièrement dans les tribunes des champs de tir, jumelles en mains, entouré de ses deux chefs, Vladimir Poutine et Sergueï Choïgou. Le général est l’artisan principal de la modernisation de l’armée que les Russes mettent au crédit de Vladimir Poutine.
Une doctrine à son nom
Nommé chef d’État-major en 2012, il est également au cœur d’une méprise internationale qui l’a fait passer pour meilleur stratège qu’il ne l’est certainement. L’homme serait à l’origine de la “doctrine Guerassimov”, une façon de faire la guerre qu’il aurait théorisée et intellectualisée. Elle consiste en une coordination de toutes les formes de guerre : militaire, médiatique, diplomatique, économique, culturelle… La technique pouvant aller dans la partie militaire jusqu’à l’utilisation de mercenaires pour faire la guerre. Des méthodes pas anodines, dont il a fait part dans un ouvrage publié en 2013, alors que des hommes sans insigne, puis des mercenaires, allaient s’emparer de la Crimée et d’une partie du Donbass quelques mois plus tard.
Le militaire n’a pourtant jamais eu l’ambition de créer la moindre doctrine : son livre décrit des méthodes que la Russie estime appliquées par les États-Unis et ses partenaires depuis de nombreuses années. L’ouvrage est en fait une critique des Printemps arabes, que l’auteur affirme fomentés par l’Occident, une façon de prévenir les Russes qu’aucune révolution ne serait permise au pays. “Les guerres ne sont plus déclarées”, assène-t-il. “Il faut influencer l’ennemi avec des informations, soutenir les oppositions et utiliser d’autres mesures non militaires.”
Un fidèle critiqué mais protégé
Si les troubles politiques ont vraisemblablement été évités en Russie, Guerassimov est demeuré incapable de faire avancer son armée sur le terrain ukrainien. Le voici fragilisé au milieu des loups. Les critiques fusent, du tchétchène Kadyrov jusqu’à l’homme d’affaires et chef des miliciens de Wagner, Evguéni Prigojine. Tous ont demandé sa démission à l’automne dernier.
Guerassimov aura finalement été remis au centre du jeu par le Kremlin. Une façon de calmer les loups ? Une façon de rappeler, certainement, qu’aucune défaite militaire ne doit permettre à des éléments extérieurs au système d’aspirer à plus de pouvoir. Aussi efficaces ces acteurs extérieurs puissent-ils être, Vladimir Poutine entend bien protéger ses fidèles pour maintenir les jeux d’influence au sein des sphères de sécurité.