Le Parlement européen a quand même un pouvoir sur la politique étrangère: "Nous avons une influence sur le contenu d'accords commerciaux importants"
En matière de politique étrangère, le pouvoir de décision du Parlement européen est faible mais pas inexistant. Il l’exerce en tant qu’autorité budgétaire, un rôle qu’il partage avec le Conseil, qui décide de l’enveloppe de la rubrique budgétaire "L’Europe dans la monde", et de ce qui doit être financé, et comment, dans ce cadre.
- Publié le 04-02-2023 à 11h04
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Depuis fin 2009, le traité de Lisbonne a également conféré au Parlement européen un pouvoir d’approbation des accords commerciaux et internationaux conclus par l’Union. Sans l’accord des députés européens, ces accords n’entrent pas en vigueur.
Le Parlement européen n’intervient cependant qu’à la fin du processus : ce sont les États membres qui fixent et éventuellement amendent le mandat de négociations que mène la Commission au nom de l’Union. Une fois l’accord commercial ou international bouclé, les députés européens n’ont que deux possibilités : approuver le texte, sans pouvoir l’amender, ou le rejeter. Très conscient de cette réalité, Michel Barnier, le négociateur en chef du Brexit pour l’UE, avait pris grand soin de tenir les députés européens au courant de l’évolution des discussions avec le Royaume-Uni et de tenir compte de leurs observations, pour éviter qu’en bout de course, l’hémicycle ne rejette l’accord.
Le Parlement dit (très) rarement non
Statistiquement, le risque d’un feu rouge du Parlement européen n’apparaît pas très élevé. Depuis que le Parlement est doté du pouvoir d’approbation, ce n’est arrivé qu’une seule fois, en 2012, lorsque les députés européens ont rejeté l’accord commercial anticontrefaçon (Acta) jugé potentiellement liberticide.
Les eurodéputés ont également lancé un avertissement, au printemps 2021, en faisant savoir dans une résolution qu’il était impensable que l’Union continue à négocier avec la Chine un accord global d’investissement, alors que Pékin avait pris des sanctions contre des députés européens et nationaux défendant la cause de la minorité ouïghoure.
Un rôle d’influence ?
Une "exception et demi" qui confirme la règle très générale selon laquelle le Parlement européen approuve les accords conclus par la Commission, même si, à gauche, certains groupes politiques trouvent la pilule amère à avaler.
"Nous avons une influence sur le contenu d'accords commerciaux importants", défend cependant l'eurodéputé portugais Pedro Marques, qui juge que le Parlement en général et son groupe, celui des socialistes et démocrates (S&D), ont fait beaucoup "pour mettre en avant la question de la durabilité, des droits de l'homme plus haut sur la liste des priorités".
L'élue verte belge Saskia Bricmont est dubitative. "Dans le discours, tout le monde est favorable à l'intégration de chapitres sur le développement durable et les droits humains dans les accords commerciaux. Mais dans les faits, la plupart des députés ne sont pas prêts à voter dans ce sens", grince l'eurodéputée, pointant le sort d'amendements qu'elle avait déposés. Pour les conservateurs de l'ECR et du PPE, les libéraux et une partie des socialistes, le développement du commerce prime sur les autres considérations.
Cible du lobbying
Même si le Parlement européen n'est pas l'acteur principal dans le domaine de la politique commerciale de l'Union, il n'en reste pas moins la cible du lobbying des pays concernés - celui des États membres de l'Union qui défendent leurs intérêts commerciaux, mais aussi celui des pays tiers. En marge des négociations de l'accord commercial et de l'accord d'investissement UE-Vietnam, approuvés en 2020, le Parlement européen avait élaboré un rapport réclamant que le partenaire asiatique s'engage à mettre en œuvre des réformes conformes à son statut d'adhérent à l'Organisation internationale du travail. "À cette époque, beaucoup de Vietnamiens sont venus promettre que ces engagements seraient tenus, afin d'assurer un vote positif du Parlement. Il y a même le cabinet d'un ministre wallon qui a essayé de nous mettre en contact", se rappelle Saskia Bricmont. Le lobbying a payé : au final, l'accord a été approuvé par le Parlement européen sans que l'engagement vietnamien n'y soit formellement adjoint.
Membre de la commission du Commerce international du Parlement et de la commission parlementaire mixte UE-Maroc, la socialiste belge Kathleen Van Brempt a été désignée rapporteure d'une résolution sur l'opportunité de faire appel de la décision du Tribunal de l'UE, qui invalidé deux accords commerciaux entre l'Union et le Maroc, parce qu'ils s'appliquaient au territoire contesté du Sahara occidental. "C'est un accord très important pour le Maroc, sans doute plus que pour l'UE. Le plus important pour eux reste la position sur le Sahara occidental. J'ai des discussions avec des collègues marocains, l'ambassadeur du Maroc en Belgique et l'ambassadeur du Maroc auprès de l'UE. Cette pression intense n'est pas agréable, mais ce n'est pas scandaleux non plus."